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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Le Lauragais et l'Espagne dans l'histoire et aujourd'hui - 20ème et 21ème siècles

Dans la population globale du Lauragais historique (limites de la sénéchaussée de 1553), soit environ 140 000 habitants, de très nombreux résidents sont d’origine espagnole, descendants des Catalans et autres Aragonais arrivés dans nos collines durant la guerre civile 1936-39. La troisième génération, et souvent la quatrième sont rarement exploitants agricoles mais plutôt artisans, ouvriers, fonctionnaires.

Groupe de réfugiés au camp de Bram

Arrivée d'u
n groupe de réfugiés au camp de Bram le 7 mars 1939
Crédit photo - Rougé - 1939 - Archives Départementales de l'Aude

Un sujet largement étudié
Une foule de livres est consacrée actuellement à l’étude de la guerre civile espagnole 1936-39. Le dernier est de René Grando, "al Campo" (novembre 2006), et consacré aux Espagnols réfugiés en France lors de la Retirada (exode vers la France), la défaite des Républicains et l’internement de 500 000 soldats, femmes, enfants dans des camps indignes, entourés de barbelés, les célèbres "camps du mépris" comme ceux d’Argelès sur Mer (100 000 personnes enfermées sur la plage), Collioure, le Barcarès, Bram, Rivesaltes, Gurs, Setpfonds, Agde, le Vernet d’Ariège (ne pas confondre avec le Vernet de la Haute-Garonne près de Venerque).

Cimetière du camp du Vernet

Au cimetière du camp
du Vernet, les tombes des Brigades Internationales

La géographie
Elle nous montre combien Toulouse et le Lauragais sont proches de l’Espagne, de la Catalogne, de Barcelone, du Perthus, en ligne droite : 150 km entre Villefranche et le Perthus. Les habitants de Baziège ont été très tôt sensibilisés à la Seconde Guerre Mondiale qui, pour nous, commence en juillet 1936 avec la guerre civile à Barcelone et Madrid. Des convois de camions chargés d’énormes caisses en bois passaient sur la route RN 113, à Baziège et avaient quelques difficultés pour se glisser sous la voie ferrée, à "la Vierge". Il s’agissait de transport d’avions soviétiques qui traversaient la France, de Dunkerque à Toulouse, et gagnaient Barcelone. De très anciens habitants de Nailloux m’ont également affirmé qu’ils entendaient le bruit des canons franquistes et des avions allemands de la Légion Kondor, en janvier 1939, lorsque des combats violents se déroulaient vers Gérone et le Perthus. J’ai eu de nombreuses confirmations de ces sourds grondements à Mirepoix. La guerre était à nos portes. Mêmes bruits, perçus personnellement, le 15 août 1944, lorsque les Américains et les Français débarquent en Provence.

Des rapports étroits
L’histoire nous fournit de nombreux exemples de rapports étroits entre la région toulousaine et le Lauragais et la Catalogne, l’Aragon, la région de Valence et Castellon. Je choisis quelques exemples : l’admirable abbaye cistercienne de Fontfroide (15 km au Sud Est de Narbonne) a fondé deux immenses abbayes en Catalogne : Poblet et Santas Creus, ordre de Citeaux, à 30 km à l’Ouest de Tarragonne. En Lauragais, Villelongue et Boulbonne sont du même Ordre. Au temps des cathares (12ème et 13ème siècles), pourchassés par la Croisade contre les Albigeois et l’Inquisition, beaucoup de Croyants et de Parfaits occitans se réfugient en Catalogne ; ainsi le dernier Parfait, Belibaste, un occitan, traverse Baziège, puis se réfugie à Morella et San Matéo où il vécut une dizaine d’années ; une rue y porte son nom et des manifestations du souvenir m’ont amené à faire des conférences sur le catharisme lauragais dans cette ville. Pendant la Croisade contre les cathares (1209-1229), le comte de Barcelone se fait tuer à Muret (septembre 1213) pour défendre l’Occitanie et son beau-frère, le comte de Toulouse Raimon VI, contre les Croisés envahisseurs de Simon de Montfort. La langue occitane était parlée depuis Poitiers au Nord, jusqu’à Valence au Sud, en incluant Barcelone et Tarragone et le catalan. A San Matéo, petite ville à hauteur de Peniscola, les noms des jours de la semaine (en 2007) sont les suivants : dilus (lundi), dimars (mardi), dimecris, dijeus, divendre, disate, dimenge. Les occitans de Villefranche et Castelnaudary ont reconnu leur vocabulaire occitan et lauragais. San Matéo est jumelée avec Baziège.
L’invasion de Napoléon 1er en Espagne (1808-1813) a laissé de très mauvais souvenirs outre-Pyrénées avec les pillages systématiques des abbayes et monastères de Catalogne ou les atrocités du siège de Saragosse. Autre lien avec notre région, la retraite de ces mêmes Français du maréchal Soult se termine à Toulouse par la bataille du 10 avril 1814, et celle de Baziège le mardi 12 avril, au lieu dit Sainte Colombe.

De nombreux espagnols s'installent à Toulouse avant 1914 et 1936
A la fin du 19ème siècle, une colonie espagnole se forme à Toulouse, des ouvriers à la Poudrerie, surtout des artisans, dans le textile, des tailleurs, des tuiliers. Après 1920, ce mouvement continue de façon modérée, des commerçants dans les fruits et légumes ; plus important, le mouvement des saisonniers qui "font" les vendanges dans le vignoble du Bas Languedoc (Narbonne-Béziers) et Bram. Il s’agit en majorité d’Andalous qui venaient "couper du raisin" pendant 5 à 6 semaines, en septembre. A Bram et sa région, les descendants d’Espagnols sont particulièrement nombreux.

La guerre civile et la retirada
C’est la guerre civile d’Espagne (1936-39) qui provoque l’arrivée massive d’Espagnols en Lauragais et à Toulouse. Le soulèvement du général Franco contre la République est le vecteur d’une guerre atroce avec la participation des puissances européennes : l’Allemagne nazie, l’Italie fasciste, la Russie communiste. Des volontaires internationaux (les Brigades) soutiennent la République. Peu à peu, avec le soutien d’une remarquable aviation allemande, l’armée franquiste fait la conquête du territoire républicain et, en novembre-décembre 1938, une puissante offensive balaie la Catalogne. Barcelone ne se défend plus. Madrid tombe en mars 39. Une chape de plomb s’abat sur l’Espagne jusqu’en 1975 (mort de Franco). En janvier 1939, 500 000 réfugiés quittent l’Espagne par le col du Perthus, soit 200 000 soldats et 300 000 enfants, vieillards qui sont enfermés dans "les camps du mépris" (c’est le titre d’un livre célèbre), comme Argelès, le Barcarès, Collioure. Ils se disperseront ensuite dans toute la France et à l’étranger (Mexique-Chili). Cette tragique migration ex-plique le nombre élevé d’espagnols en Lau-ragais.

Le camp de Bram
Il est très différent des atroces camps du littoral catalan. Les autorités françaises fournissent des matériaux pour construire des baraquements, les travaux étant effectués par les internés eux-mêmes. Les constructions sont menées très rapidement : elles sont considérées comme habitables dix jours après le début des travaux (Benassar, page 373) et reçoivent les 2500 premiers occupants dès le 16 février 1939. C’était quand même une prison avec des barbelés et des gardes mobiles. Le 22 mars le camp est complet, soit 17 000 personnes, sur 12 hectares. Je cite Benassar : "à en croire Antonio Soriano, quiconque y arrivait en provenance d’Argelès croyait découvrir "l’hôtel Sheraton". Il était pourvu d’eau potable en suffisance, mais les pensionnaires devaient aller laver leur linge dans le canal du Midi, à deux kilomètres de là. "C’était formidable, on était propres !" se souvient Soriano. Le camp possédait une vaste infirmerie et un service de santé efficace, dirigé par un médecin capitaine français assisté de cinq confrères espagnols, dix aides-soignants, deux pharmaciens, vingt infirmiers, tous réfugiés. Destiné surtout aux fonctionnaires, instituteurs, employés, le camp n’en était pas moins une prison enclose de barbelés et gardée par deux pelotons de gardes mobiles. A partir de mars, la vente de certains journaux, la Dépêche, l’Indépendant de Perpignan, puis le Midi Socialiste, fut autorisée.

Camp de Bram : les repas

Camp de Bram : Pr
éparation des repas le 21 février 1939
Crédit photo - Rougé - 1939 - Archives Départementales de l'Aude

Le camp du Vernet
Celui-ci est bien différent, c’est l’enfer. C’est le camp le plus célèbre de la région toulousaine, un camp très original concentrant tous les hommes reconnus extrémistes et dangereux (anarchistes, communistes, socialistes, les Brigades internationales) de toutes nationalités. A côté de milliers d’Espagnols (dont la célèbre 26ème division), on observe des Italiens, des Allemands antinazis, des Polonais, des Yougoslaves. Le Vernet a vu passer 58 nationalités, de très nombreux juifs y furent entassés avant d’être déportés vers les camps de la mort, en Pologne. Dans cette immense prison (40 000 détenus), les conditions de vie étaient indignes, déplorables, des hommes y sont morts de froid, de faim, de mauvais traitements, durant l’hiver 40-41. Des enfants y furent également internés, un document (extrait de l’exposition de Baziège en 1998) fait état d'une liste d’enfants déportés en août 42, avec leur âge : Fanny Reich avait deux ans. Ami lecteur, si vous êtes intéressé par ce camp, allez visiter l’exposition permanente à la mairie du Vernet. Dans son livre "la lie de la terre", Arthur Koestler écrit "le Vernet était au point zéro de l’infâmie".

Transport des réfugiés espagnols

Exposé au Vernet, ce type de w
agon de train servait à transporter les internés aux camps de la mort
Crédit photo : collection Jean Odol

250 soldats espagnols à Ayguesvives en 1940-41
A partir de 1940, les soldats espagnols sont répartis en Groupes de Travailleurs Etrangers (GPE) et utilisés pour divers travaux dans de nombreuses régions françaises. C’est ainsi que le 501ème groupe est implanté dans le village d’Ayguesvives où de nombreuses maisons étaient inoccupées (chez Mme Dehoey, Lambert, Berseille, Oustric, Odol) et surtout par la présence d’un ancien moulin hydraulique près de l'écluse, immense bâtisse où furent logés 250 soldats. Les deux cadres espagnols étaient accueillis dans ma maison natale (voir document). Les conditions de vie étaient très dures, couchant à même le sol, dans de la paille et enroulés dans des couvertures, ils consommaient beaucoup de pommes de terre, de riz, des tonnes de morue, rarement de la viande. Pour préparer les repas, l'armée française avait établi une "roulante". Ils travaillaient au creusement d'un ruisseau, l'Amadou, qui depuis l'aqueduc d'Ayguesvives (construit par Vauban) rejoignait l'Hers mort par la nauze de l'Entourrat. Ils creusèrent aussi tout un réseau de nauzes (grands fossés) dans la plaine de l'Hers, en direction de Baziège. Cette compagnie stationna environ un an puis ils partirent pour les forêts de l'Ariège pour abattre des arbres et préparer le charbon de bois nécessaire au fonctionnement des gazogènes. A partir de 1943 beaucoup constituent des maquis qui luttent ouvertement contre l'occupant allemand.

Le moulin de Ticaille à Ayguesvive

250 soldats espagnols ont passé une année au Moulin de Ticaille à Ayguesvives
Crédit photo : Josiane Lauzé

Reçu de loyer acquitté par les officiers espagnols

Le reçu de loyer acquitté par les officiers espagnols qui résidaient à Ticaille

Les espagnols dans la résistance (1942-1944)
Ils sont très nombreux et actifs notamment en Ariège où ils libérèrent Foix et Pamiers au mois d'août 44. Le monument élevé à la mémoire des "guerrilleros" en témoigne, au Sud de Foix, à Prayols. Un groupe important fut une compagnie intégrée dans notre célèbre Corps Franc de la Montagne Noire, au dessus de Revel, dans la zone de la Galaube et Fontbruno. N'oublions pas en-fin que ce sont des Espagnols de la 2ème Division Blindée de Leclerc qui entrèrent les premiers dans Paris insurgé le 25 août 1944, et que les chars stationnés devant l'Hôtel de Ville s'appelaient : Brunete, Gadalajara, Belchite, Ebro.

En 2007 les descendants des Espagnols des années 1936-1945 sont dispersés dans tous les villages et villes du Lauragais, ils sont omniprésents. Il s'agit des troisièmes et quatrièmes générations. Dans tous les corps de métier, dans l'artisanat (boulangerie, pâtisserie, maçonnerie) commerçants, mais aussi médecins, professeurs, ils jouent un rôle très actif dans l'économie laura-gaise, de Revel à Castelnaudary ou à Bram.
Une autre population immigrée est présente dans la région. Il s'agit des Italiens qui eux se tournent vers l'agriculture et apportent leur aide dans un contexte de crise du monde rural.
Aujourd'hui, le tourisme nous lie à l'Espagne. Ainsi, des milliers de toulousains et de lauragais passent leurs vacances sur la Costa Brava et beaucoup y ont installé des résidences secondaires. Dans l’autre sens des milliers de catalans viennent en touristes à Toulouse et à Carcassonne.

Jean ODOL

Bibliographie :
Documents J. Odol : archives privées
B. Benassar : "La guerre d'Espagne"
R. Grando : "Camps du mépris" 1991 - "Al Campo" novembre 2006


Couleur Lauragais n°91 - Avril 2007