En décembre 1996, l’UNESCO (Organisation des Nation Unies pour l’Education, la Science, la Culture) classe le canal du Midi au patrimoine mondial de l’humanité, comme les Grandes Pyramides d’Egypte, Notre Dame de Paris, la Cathédrale de Chartres et dans notre région le cirque de Gavarnie et la Cité de Carcassonne. Seul canal ainsi distingué, il est mieux connu aux Etats-Unis ou au Japon que dans la France contemporaine. Afin d’initier nos lecteurs à ses charmes, nous proposons quelques circuits de découverte, des balades vers la prise d’Alzeau, les quatre bassins de l’écluse Saint Roch de Castelnaudary, ou le lavoir de Montgiscard. La merveil-le de l’Occitanie mérite bien cet hommage.
Le Canal à Naurouze - Crédit photo : Couleur Média
Son génial concepteur
A l’origine, Pierre Paul Riquet n’était pas destiné à réaliser un tel ouvrage. Et pourtant ce "percepteur des gabelles" (impôt sur le sel, monopole d’Etat affermé à des financiers qui lèvent les sommes dues sur les consommateurs, aboli en 1789) imagine de relier l’Atlantique à la Méditerranée, afin d’éviter le détour par le détroit de Gibraltar. Le canal est creusé, mis à la navigation en mai 1681 ; il est ensuite amélioré par un ingénieur des fortifications tout aussi génial, envoyé par Louis XIV : Vauban, qui fait passer les ruisseaux sous le canal par la construction de 49 aqueducs, et sauve ainsi le canal de l’ensablement. En effet Riquet avait fait déboucher directement dans le canal les ruisseaux apportant de l’eau mais aussi des terres, des limons et des sables. Le nom de Vauban doit toujours être associé à celui de Riquet. Ce dernier possédait la propriété de Bonrepos, et passera 10 années à Revel (vers 1650-1660). Il acquit ainsi une connaissance unique des lieux où s’élèvera le canal. C’est sur le terrain qu’il en découvrit la clef : capter les eaux des torrents de la Montagne Noire pour les conduire, grâce aux Ri-goles, jusqu’à Naurouze, point de partage des eaux vers l’Océan Atlantique et la Méditerranée. Autres œuvres uniques de Riquet : le tunnel du Malpas, près de Nissan lès Ensérunes, le port de Sète, un bief de 53 km de long (Arzens), la tranchée du Conquet, la digue de Saint Ferréol, l’escalier des quatre bassins de Saint Roch à Castelnaudary.
Riquet connaissait les difficultés de fonctionnement du canal de Briare, ouvert en 1642 entre la Loire et la Seine ; il aura la hantise de manquer d’eau pour assurer la marche des écluses, prévision qui sera avérée jusqu’en 1992 ; depuis cette date, le canal est alimenté par les eaux pompées et refoulées à Naurouze depuis le lac de retenue de la Ganguise (commune de Belflou, près de Salles sur l’Hers).
Quelques remarques sur le canal et les ouvrages secondaires (aqueducs, moulins, abreuvoirs)
C’est un canal à bief de partage avec deux gigantesques escaliers au départ de Naurouze, l’un jusqu’au bassin de l’Embouchure à Toulouse (140 mètres d’altitude), l’autre jusqu’aux Onglous, étang de Thau, port de Sète (niveau de la mer). Les biefs sont parfaitement horizontaux en suivant une courbe de niveau ; ils sont ponctués d’écluses, à 1 ou 2 bassins, parfois davantage : 4 à Castelnau-dary, 8 à Fonserannes (près de Béziers) ; une écluse permet de s’élever, ou de descendre, d’un dénivelé de 3 à 6 mètres (environ). Le lit du canal présente une largeur de 10 toises soit 19,49 mètres au "miroir", c’est-à-dire la surface de l’eau, depuis l’écluse de Castanet jusqu’à Sète ; en aval de Castanet jusqu’à l’Embouchure, à Toulouse, le lit est moins large : un œil averti perçoit cette différence (1 à 2 mètres). Les terres de l’excavation forment des digues de part et d’autre du lit : les terriers, bordés d’arbres de diverses variétés. Riquet a planté beaucoup de mûriers, d’où l’importance en Lauragais de l’élevage du ver à soie (sériciculture).
Le grand bassin de Castelnaudary - Crédit photo : Couleur Média
Le creusement à la main de cette voie d’eau artificielle exige 10 000 ouvriers et ouvrières : on dit que ce sont les paysannes du Lauragais qui ont "fait" le canal de Toulouse à Bram ; le travail se faisait avec des brouettes, et surtout des couffins, des "bayards" (sortes de caissons portant 30-40 kilos, avec un homme devant, un homme derrière le soulevant grâce à des "bras" comme une brouette). Afin de retenir sur le canal les paysans qui souvent au temps des moissons quittaient le chantier, les salaires étaient élevés, le double d’un salaire ordinaire, et les ouvriers bénéficiaient d’un système de "sécurité sociale" avec des paiements assurés par temps de pluie, ou en cas de maladie.
Les écluses sont formées d’un bassin (ou sas) allongé, en maçonnerie, fermé à ses deux extrémités par des portes constituées de deux vantaux mobiles dont l’ouverture permet le passage de barques. Au bas des portes des vannes, les vantelles (ou empellements) servent au remplissage et à la vidange du bassin. Autrefois ces vannes étaient manœuvrées au moyen d’une vis en bois dont la tête était percée de deux trous croisés dans lesquels on enfilait une barre pour la faire tourner. Jusque vers 1945, les portes étaient construites en bois armé de ferrements ; à l’origine on les ouvrait en poussant une flèche de 5 mètres de long, et servant de levier. Très souvent, en aval, on aménage une dérivation, sorte de petit canal qui actionne les meules d’un moulin. (Aujourd’hui tout est automatique et commandé à distance, excepté à Naurouze).
Les ponts multiples permettent le passage des chemins, mais surtout l’exploitation des terres dont le canal a divisé les parcelles. Ils sont construits très souvent après 1681 ; les plus beaux, en briques foraines rouges, datent des 18ème et 19ème siècles.
Les aqueducs sont dus à Vauban qui a sauvé le canal de l’ensablement, en 1685. (Riquet était décédé en 1681). Après sa visite sur le terrain, Vauban ordonne de construire 49 aqueducs, c’est-à-dire des ponts-canaux avec 1, 2, 3 galeries (ou voûtes) qui dirigent les eaux des ruisseaux sous le lit du canal : aqueducs de Madron, Castanet, Nostre Seigne, Ayguesvives, Encons, Negra, Villefranche (pour l’Hers mort), entre Toulouse et Naurouze. Les travaux sont effectués de 1689 à 1695.
Les ouvrages mineurs méritent quelques remarques, comme les "batardeaux à tampes" : petits barrages provisoires établis sur une section du canal, afin d’effectuer des réparations ; des poutres sont superposées pour faire barrage, une toile est disposée dessus et la pression de l’eau fait pénétrer la toile dans les interstices. Ainsi le barrage est parfaitement étanche. On a construit un batardeau à tampes en novembre 2005 à l’écluse d’Ayguesvives pour des travaux sur les portes amont.
Les ports et les routes aboutissant aux ports sont les bases fondamentales du commerce des grains, avant tout l’exportation du blé - froment du Lauragais. Un port du canal est très simple : un quai d’embarquement d’une longueur variable pour 1 à 10 barques (Castelnaudary), des magasins-entrepôts dont certains sont intacts comme à Bram ou Renneville, quelques bornes d’amarrage. Les principaux ports sont ceux de Castanet, Baziège, Gardouch-Villefranche, Castelnaudary, le Ségala, le Mas Saintes Puelles, Bram. A partir de 1720 un réseau routier est mis en place vers les ports ; quelques routes principales : Lanta-Caraman-Villefranche ; Castres-Revel-Castelnaudary ; Nailloux-Gardouch ; Belpech-Fanjeaux-Bram ; Mirepoix-Fanjeaux-Bram. 200 barques naviguent sur le canal en 1780, transformant le Lauragais en véritable "usine à blé", exporté vers la Provence ou la Cata-logne. Grâce au canal, le Lauragais connaît un développement social et artistique ; la région se couvre de "châteaux du froment" (18 et 19ème siècles).
Le magasin entrepôt de Renneville - Crédit photo : Jean Odol
Les moulins sont édifiés sur les Rigoles ou près des écluses du canal ; le premier que construisit Riquet, vers 1670, fut le moulin du Roy, à Revel ; utilisant la dénivellation de l’arrivée de la Rigole venant de Pont-Crouzet, dans le bassin de port Louis, il était destiné à remplacer les 4 moulins à blé de Revel dont l’eau avait été détournée pour l’alimentation. A l’autre extrémité de la Rigole de la Plaine, Riquet fit ériger le moulin de Naurouze, à l’emplacement de l’actuelle minoterie. A Toulouse, dès 1674, on bâtit les moulins de Bayard, Matabiau, les Minimes. On en trouve un à Castanet, un à Castelnau-dary (1680), à la tête de l’écluse quadruple de Saint Roch, un à Ayguesvives (Ticaille, 1830, énorme par ses dimensions).
Les abreuvoirs : très nombreux sur le canal et les rigoles, soigneusement empierrés de galets et de moellons posés sur chant (sur la plus petite face, dans le sens de la longueur). Les lavoirs sont à proximité des bordes et des villages. Celui de Montgiscard est probablement le plus ancien : c’est un long bâtiment en briques couvert d’une toiture de tuiles ; à l’intérieur une banquette court sur le mur du fond, interrompue vers son milieu par une cheminée.
Je vous propose 4 circuits de découverte de ces ouvrages sur les bords du canal.
Circuit 1 : de Castanet à Naurouze
Nous suivons le canal, en signalant dans les agglomérations proches, les monuments dignes d’intérêt.
L’écluse de Castanet est transformée par les travaux de 1975-80. Au village, on voit de très beaux tableaux dans l’église. A Pompertuzat, église avec clocher mur pignon typique du Lauragais, 3 baies campanaires ; monument aux morts original ; dépôts de loess (poussières quaternaires) dans la partie du village proche de la RN 113. Deyme : aux Monges, souvenir de la guerre de 1939-45. Donneville : église avec clocher triangulaire (16ème siècle).
A Montgiscard : église ; un seul bassin, un très beau lavoir (qui ne se voit pas depuis la RN 113) ; clocher mur à tourelles (16ème, reconstruit vers 1880). Sur le canal, le pont de Baziège correspond à l’ancienne voie romaine du premier siècle avant J.C. ; superbes vestiges archéologiques avec la voie sur des ponceaux appelés pountils. Baziège : la plus ancienne cité gallo-romaine du Lauragais connue sous le nom de Badera : borne militaire dans l’église ; magnifique clocher mur pignon ; carillon ; le port au blé de Baziège, sur le canal, se situe au lieu dit les Landes, très actif jusqu’en 1975.
A Ayguesvives : écluse transformée ; bassin ovoïde ; la borne Jefferson du nom d’un Président des Etats Unis qui a couché en ces lieux en 1787.
Le moulin de ticaille et l'écluse d'Ayguesvives - Crédit photo : Jean Odol
L’écluse du Sanglier : première écluse intacte, magnifiquement conservée avec deux bassins, un pont en belles briques les enjambant, une maison éclusière type, sans étage, datée de 1757.
Ecluse de Negra-Montesquieu : intacte, aqueduc de la Thésauque, chapelle pour les voyageurs empruntant "la barque de poste". A Montesquieu, église du 17ème siècle, château du pastel (mairie) ; un ancien cimetière cathare.
Le port de Gardouch-Villefranche, avec le quai Riquet, est l’un des plus actifs du canal, avec convergences de routes du blé. Avignonet : église géante par ses dimensions, datant de la Reconquista catholique (14ème siècle) dans une région cathare ; style gothique, clocher tour octogonal.
Naurouze : l’arrivée de la Rigole, le bief de partage, l’ancien bassin comblé par les sables apportés par la Rigole, l’écluse de l’Océan.
Continuer jusqu’à Montferrand, ancienne ville romaine Eburomagus, une église chrétienne du 4ème siècle témoin de l’arrivée du christianisme depuis Narbonne en suivant la voie romaine, 40 sarcophages wisigoths, thermes gallo-romains ; église romane ; belle série de stèles discoïdales ; sur la colline on voit une porte du fort, muraille du château pris par Simon de Montfort durant la Croisade contre les cathares en 1209-1229 et trahison du comte Baudouin frère de Raimon VII ; le phare de l’Aéropostale avec ses panneaux explicatifs.
Au Ségala : usine à briques ; port sur le canal.
A Labastide d’Anjou : la dernière bastide du Lauragais (1376), le gouverneur du Languedoc lui a donné son nom.
Circuit 2 : aux sources du canal, dans la Montagne Noire
La Montagne Noire est très vieille, aplanie avec un versant sud drainé par des torrents qui se jettent dans le Fresquel et l’Aude et un versant nord dont les ruisseaux coulent vers le Sor, l’Agout, le Tarn, et plus loin l’Atlantique. La montagne est très humide : 1200 à 1500 mm, 650 à Revel. L’idée géniale de Riquet est de capter ces torrents et de construire des Rigoles jusqu’à Naurouze. Le point de départ du circuit est Revel : gagner Labruguière et tourner à droite, vers Fontbruno ; route splendide dans des forêts. A Fontbruno se trouvent des vestiges de combats de la dernière guerre, de violents combats opposèrent des maquisards à l’armée allemande. De là rejoindre la Galaube et à 800 m gagner à pied la prise d’Alzeau, point de départ de la Rigole de la Montagne, 60 km de canalet jusqu’à Naurouze. Le barrage de la prise d’Alzeau est plus moderne que le classique barrage à tampes du temps de Riquet. Ensuite, aller à Saissac (de multiples panneaux indiquent la route à suivre). La Tranchée du Conquet est le point stratégique où les eaux des torrents méditerranéens (Alzeau, Bernassonne, Lampy) sont détournées vers le bassin versant atlantique du Sor. C’est là que l’on remarque le prodigieux sens de l’observation du terrain : sur 150 m, la tranchée permet à la Rigole de "voler" les eaux destinées à la Méditerranée. A Saissac, le Lac du Lampy est proche : construit vers 1780 afin d’alimenter la nouvelle déviation du canal de Narbonne à Port la Nouvelle. Aux Cammazes, il faut voir la voûte de Vauban, galerie où se glisse la Rigole avant d’atteindre Saint-Ferréol.
Le lac de Saint-Ferréol est retenu par un barrage-poids sans équivalent en Europe en 1670, long de 800 mètres, large de 120 mètres à la base et 30 au sommet, il contient 6 millions de m3. De nombreux panneaux expliquent la constitution du barrage.
Le lac de Saint Ferréol à Revel et sa digue - Crédit photo : Couleur Média
Pour terminer ce circuit, depuis Revel se rendre à la prise du Sor, à Pontcrouzet, près de Durfort, où naît la Rigole de la Plaine. Les deux Rigoles se joignent aux Thomasses, près de la route Revel-Castelnaudary, les eaux se dirigent finalement vers Naurouze.
Circuit 3 : de Port Sud à Port Lauragais, à vélo sur la piste cyclable
De Port Sud (Ramonville) à Port Lauragais, suivre avec prudence la piste cyclable goudronnée. Port Sud est un port de plaisance récent (1960). A Montgiscard voir le lavoir, monter au village pour admirer le clocher mur à tourelles. A hauteur du pont de Baziège, quitter la piste pour la voie romaine (via aquitania, 1er siècle avant J.C.). Au Sanglier, s’arrêter pour observer une écluse traditionnelle sans modification depuis 1681. A Gardouch, arpenter le quai du port, un des plus importants du Lauragais, avec une ancienne minoterie. Aller à Villefranche, une bastide du 13ème siècle (1250) avec un clocher mur à tourelles. La rue de la République correspond à la voie romaine. A hauteur d’Avignonet, quitter la piste pour admirer l’église, son clocher énorme, la place d’Alfaro et les murs de la base du château médiéval où furent massacrés les Inquisiteurs dans la nuit de l’ascension du 18-29 mai 1242 ; le résultat de cette tragédie fut le siège et la chute de Montségur en 1244, d’où étaient venus les Faydits, seigneurs d’Occitanie dépossédés. De Port Lauragais, continuer jusqu’à Baraigne : église romane, portail, stèles discoïdales, arcatures lombardes, splendide château du pastel, une source du Fresquel. Aller jusqu’au lac de la Ganguise avec son bleu unique. Le retour se fait par Saint Michel et Gardouch.
Circuit 4 : une journée à Naurouze
Près de l’ancienne minoterie voir l’arrivée de la Rigole, puis le bief de partage, le bassin comblé, les traces d’une ancienne écluse témoin de la navigation qui s’opérait sur la Rigole (vers 1700-1720). Monter à l’obélisque de Riquet, voir la maison de l’ingénieur du canal où fut signé l’armistice mettant fin aux combats entre les armées de Soult et de Wellington (18 avril 1814). Depuis l’obélisque, vers l’Est, on aperçoit sur la RN 113, une cabine téléphonique qui matérialise la ligne de partage des eaux perpendiculaire à la route : à l’Est on descend vers la Méditerranée, à l’Ouest vers l’Atlantique. On peut se souvenir du nom de tous les peuples qui sont passés là : les Volques Tectosages, Romains venant de Narbonne, Wisigoths, Francs, Normands, les Croisés de Simon de Montfort, le Prince Noir (1355), les Anglais de Wellington en 1814. Sur la route un simple panneau fournit quelques explications. Si vous disposez d’un peu de temps, avancez jusqu’à la Ganguise où après les travaux de 2004-2005, le lac se remplit lentement pour atteindre un volume énorme de 40 millions de mètres cubes ; voir le château de la Barthe-Belflou et celui, restauré en 2005, de Belflou, splendide.
Depuis Naurouze, on peut entreprendre une balade à pied en remontant la Rigole, ou bien se diriger vers Montferrand pour voir les thermes romains, l’église paléochrétienne, l’église romane, les stèles et sur la colline les vestiges du château, le phare de l’Aéropostale.
Jean ODOL
Bibliographie :
"Le canal royal du Languedoc" par Adgé, Marfaing, Marconis - Editions Loubatières - 1992
"Les ouvrages d’art du Canal du Midi" - Michel Adgé Editions Loubatières - 1984
Edition du tricentenaire 4 tomes - collectif J.D Bergasse - 1982
Couleur Lauragais n°84 - Juillet/Août 2006