Les maisons du Lauragais : matériaux et styles Le Lauragais, entité géographique et historique, recouvre cependant une réalité géomorphologique hétérogène, que reflète son habitat, tant dans les matériaux utilisés que dans l’architecture. Gérard Thomas nous explique l’origine de cette diversité qui s’offre à notre regard lorsqu’on traverse nos villages, pourquoi certains sont entièrement "rouges" alors qu’ailleurs la pierre leur donne un aspect blanc ou mordoré. |
Au cœur du pays d’Oc, à l’intérieur de limites historiques encore peu précises, le Lauragais s’est forgé une forte identité. Sous plusieurs aspects, néanmoins, il offre une grande diversité, source de richesse qui ajoute encore à son attrait. Le relief présente un modelé très varié. Dans la Montagne Noire, il est élaboré dans des terrains métamorphiques de l’ère primaire et, partout ailleurs, dans les dépôts molassiques de l’ère tertiaire. Le paysage est parcouru par des cours d’eau appartenant à deux bassins divergents : celui de la Garonne et celui de l’Aude, soumis aux influences climatiques atlantique et méditerranéenne. L’hydrographie, pas plus que le relief ou la géologie, ne lui offre de frontières naturelles nettement définies, à l’exception de son quart sud-ouest, au contact de la large plaine alluviale de l’Ariège. Sa gestion administrative est éclatée sur quatre départements rattachés à deux régions (Languedoc et Midi-Pyrénées).
L’architecture s’inscrit dans cette diversité. Elle est d’abord induite par la nature des matériaux de construction, dont la disponibilité dépendait jusqu’au XIXème siècle des ressources géologiques locales : pierre, brique et, accessoirement, galets. Cette opposition pierre-brique est bien connue tout autour des pays toulousain et albigeois, mais la limite entre les deux types de matériaux n’a pas été tracée avec précision alors qu’elle se manifeste sur tous les types d’édifices. Dans le Lauragais, on peut délimiter des secteurs où les matériaux et les styles architecturaux sont identiques, en prenant en compte seulement les habitations. L’époque considérée peut être située entre l’abandon progressif du colombage et la fin du XIXème siècle.
Les matériaux :
La brique. Dans la région toulousaine, les constructions en briques sont particulièrement réussies. La partie nord-occidentale du Lauragais appartient à ce domaine car l’argile y est abondante. Les grands formats des briques foraines héritées de l’Antiquité romaine ont été conservés jusqu’au XIXème siècle : la longueur dépasse toujours les 22 cm de la brique industrielle actuelle, pour 3 à 4 cm d’épaisseur. C’est un matériau onéreux, du fait de sa cuisson exigeant une grande quantité de bois. La brique crue, permettant de réduire considérablement le coût, lui est souvent substituée sur les murs latéraux des habitations les plus modestes, ou sur les bâtiments annexes.
Utilisation de |
Alternance de briques |
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La pierre provient, dans la Montagne Noire, des formations métamorphiques et, partout ailleurs, des niveaux de calcaire ou de grès interstratifiés dans les assises molassiques. La pierre de taille est un matériau coûteux, surtout à cause de son extraction et de sa mise en forme, d’autant plus que dans le Lauragais elle est issue de bancs compacts relativement épais ne se délitant pas, donc difficiles à équarrir. Sa mise en place réclame en outre l’intervention d’appareils de levage. Elle est donc réservée aux monuments et aux luxueuses demeures. Ailleurs, on l’utilise surtout dans les endroits sensibles (arêtes, linteaux, claveaux…). Le moellon provient de bancs moins compacts, et seule sa face de parement reçoit une taille plus ou moins grossière ; il est donc d’un coût bien moindre. Le moellon est le matériau de choix pour la maçonnerie dans le domaine de la pierre.
Le galet est utilisé de manière plus marginale : on le trouve dans l’étroite frange sud-ouest du Lauragais (vallée de l’Ariège et du Grand Hers). Ce matériau se ramasse dans le lit des cours d’eau ou à la surface des terrasses fluviatiles et ne nécessite ni extraction ni façonnement ; tout au plus demande-t-il un tri par calibrage. Il est généralement appareillé en arête de poisson à des fins esthétiques et pratiques (meilleure stabilité, évacuation de l’eau de ruissellement). On rencontre la disposition à plat entre Cintegabelle et Molandier. Le galet est toujours maçonné entier, et non cassé en deux comme dans d’autres régions (en Haute-Normandie, par exemple). Le galet n’est jamais utilisé seul : deux à cinq rangées sont systématiquement séparées par deux à trois rangées de briques du plus bel effet.
Les maisons maçonnées uniquement en brique ou en pierre sont réparties sur deux domaines situés respectivement dans les parties occidentale et orientale du Lauragais. Elles sont séparées par une zone de transition où les deux matériaux sont utilisés conjointement et montrent une grande diversité d’association. On y distingue deux sous-zones :
- A l’Ouest, la brique est encore très largement utilisée, et l’appareillage mixte autorise une grande diversité : alternance régulière de bandes horizontales, disposition en damier (rare), répartition très irrégulière (le plus souvent). Le mode de répartition des matériaux est très variable d’une maison à l’autre. Quelquefois la façade est ostensiblement traitée uniquement en brique et le mélange est réservé aux murs pignons mitoyens et à la façade arrière. Le plus souvent, la pierre coexiste avec la brique sur chacun des murs de la maison.
- A l’Est, la pierre est largement dominante. La brique est absente des murs, mais elle est systématiquement utilisée dans l’encadrement des ouvertures. Ce caractère permanent justifie l’individualisation de cette sous-zone. Ce type d’encadrement se rencontre aussi dans le domaine de la pierre, mais il est rare pour les maisons d’habitation. Il est réservé aux bâtiments annexes et aux dépendances.
Les styles : Dans le domaine de la brique s’épanouit la maison dite toulousaine, caractérisée par ses décors. Son style est lié à l’utilisation de la brique foraine , et son ornementation est très diversifiée. La corniche, réalisée en céramique moulurée, possède un profil uniforme, mais elle peut s’enrichir de modillons et de denticules hérités de l’art roman. En façade, des bandeaux soulignent la séparation des étages. Un bandeau secondaire relie parfois les seuils des fenêtres. Les oculi du grenier sont très souvent décorés d’un motif trilobé ou quadrilobé en céramique. Des blocs de pierre de taille forment parfois ornement dans les encadrements. Les façades peuvent être enduites, ou laisser la brique apparente. |
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Perte de la corniche et des oculis dans la sous-zone ouest (Labastide Beauvoir) |
Dans le domaine de la pierre, la maison est édifiée à l’aide de moellons selon un style très sobre, voire austère, où le décor est limité au strict nécessaire. La corniche est une génoise conçue à l’aide de tuiles canal identiques à celles de la couverture, en une, deux ou trois rangées disposées en encorbellement. L’encadrement des ouvertures, en légère saillie, est simplement agrémenté d’une rainure (feuillure) pour le logement des volets des fenêtres (ces éléments sont aussi présents sur la toulousaine). Le chambranle est réalisé en pierre de taille. Les linteaux, rarement appareillés, sont monolithiques. La brique est parfois utilisée dans l’encadrement des ouvertures de bâtiments annexes. La façade principale est toujours enduite de même que, souvent, les murs pignons.
Dans la zone de transition, on trouve une plus grande diversité architecturale en raison de l’utilisation conjointe de la pierre et de la brique. Vers l’Est, où la brique devient plus rare, le décor toulousain se raréfie ; le style enjoué de la toulousaine se dilue dans l’austérité de la pierre. Deux sous-zones se distinguent.
Dans la sous-zone Ouest, les maisons construites avec les deux matériaux sont les plus fréquentes, même si les constructions en brique sont encore présentes. Leur proportion varie d’une agglomération à l’autre. La construction en pierre seule est très rare. De l’Ouest vers l’Est, le décor du style toulousain s’appauvrit par perte progressive de ses éléments. L’égout de la toiture montre la transformation suivante : corniche toulousaine - avant-toit sans corniche laissant apparaître les chevrons - génoise. Cette évolution est tout à fait logique car la corniche moulurée représente ce qu’il y a de plus onéreux. La céramique de l’oculus se raréfie aussi rapidement, suivie par les nervures (chaînes, bandeaux, arêtes). Cet appauvrissement s’effectue selon des combinaisons complexes et une délimitation précise de sa disparition est délicate. Néanmoins, elle a pu être tracée avec une bonne approximation.
Dans la sous-zone Est la brique n’est pratiquement plus utilisée dans la maçonnerie des murs, elle est réservée aux ouvertures. Ce type d’encadrement est très répandu, parfois même systématique, à l’Ouest de Revel. Ostensiblement, les murs maçonnés en brique et le décor toulousain associé apparaissent çà et là sur une ou deux maisons bourgeoises par village.
La répartition spatiale des styles architecturaux et de l’utilisation des matériaux :
Le domaine de la maçonnerie de galet et de brique s’étend le long d’une étroite bande qui va de Venerque jusqu’à Mazères et Belpech, longeant la limite méridionale du Lauragais. Cette disposition est évidemment dictée par la présence des terrasses fluviatiles de l’Ariège et du Grand Hers, pourvoyeuses de galets.
La limite du domaine de la brique, orientée Nord-Sud, est pratiquement rectiligne. Elle est ja-lonnée par Lanta, Labastide-Beauvoir, Villenouvelle, Seyre et Gibel où elle vient rencontrer la limite du domaine du galet. Elle se situe logiquement dans la zone de disparition des bancs durs de la molasse ; en s’enfonçant vers l’Ouest, ils sont recouverts par des terrains plus récents qui en sont dépourvus. Le recours à l’argile devient alors indispensable.
La limite du domaine de la pierre dessine une ligne brisée. Au Nord-Est, elle longe le relief de la Montagne Noire jusqu’à Vaudreuille où elle s’infléchit brusquement vers l’Ouest. À Bélesta-en-Lauragais, elle prend une direction Nord-Sud jusqu’à Belpech. Ce tracé est étroitement lié au relief, et suit fidèlement la limite entre les départements de la Haute-Garonne et de l’Aude.
La zone de transition comprise entre ces deux domaines prend ainsi une forme en demi-entonnoir. Elle est traversée par la limite d’extension du style toulousain qui individualise les deux sous-zones. On remarque le parallélisme entre cette limite et la route du blé qui, depuis Caraman, rejoint Villefranche de Lauragais par Ségreville, Toutens et Cessales ; simple coïncidence ou élément d’explication ? On peut aussi s’interroger sur la raison de la présence d’encadrements en brique dans la sous-zone Est : absence de pierres suffisamment résistantes, manque de tailleurs de pierre, intention délibérée ?
On distingue donc dans le Lauragais cinq secteurs principaux selon les styles architecturaux des maisons d’habitation associés à l’utilisation des matériaux (brique, pierre, galet). Les causes de cette répartition sont multiples, elles sont d’ordre géologique, économique et historique.
Gérard THOMAS
Géologue Professeur d’Université
Lexique :
- métamorphique : qui a subi des transformations sous l’effet de la température et de la pression
- dépôts molassiques : terrains constitués d’argiles, de calcaires et de grès
- claveaux : pierres ou briques formant un arc ou un linteau appareillé
- terrasse fluviatile : sédiment accumulé par un cours d’eau et formant une plaine dite alluviale
- denticules : ornement fait de petits cubes séparés
- trilobé/quadrilobé : en forme de trèfle à trois/quatre lobes
- monolithique : fait d’un seul boc de pierre
- égout de toiture : bas de la pente d’un toit
Crédits photos : G. THOMAS