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Couleur Lauragais : les journaux

Reportage

Les voitures hippomobiles :
un patrimoine vivant


Un landau
Crédit photo : Mireille Duhalde
A partir du règne de Louis XIV jusqu’à l’aube du XXème siècle la carrosserie française tient une place dominante en Europe. Cependant, après la révolution, les corps de métiers sont complètement désorganisés et laissent la place à l’essor anglais qui atteint son apogée et influence la mode du 1er Empire : vis-à-vis, sociables, landaus, ducs et phaétons sont alors utilisés. Tirés par des chevaux, ils ont tous quatre roues.
Jusqu’en 1840 circulent berlines et grands coupés en hiver, calèches(1) en été. Pendant le second Empire, on assiste au développement des voitures à deux roues : tandem et dog-cart. Dans les campagnes, ce sont le plus souvent des jardinières rustiques qui sont utilisées, dérivées de la "charrette anglaise". Elles sont attelées à un cheval plus ou moins lourd, pour se rendre au marché hebdomadaire ou à la foire. Les chevaux étaient utilisés alors pour tous les travaux agricoles, du labour à la faucheuse, même si en Lauragais l’usage des bœufs était prédominant. On peut encore apercevoir dans les granges des fermes du Lauragais de grandes charrettes peintes en bleu pastel.


Henri Pique fabricant à Toulouse

A Toulouse, Henri Pique fut un célèbre fabricant de jardinières : brancards et roues étaient peintes, les caisses en bois verni. La maison a existé jusqu’après la première Guerre Mondiale(2).
La wagonnette voiture à quatre roues sert également comme voiture de service en ville ou à la campagne : deux bancs latéraux se font face à face et une porte permet d’accéder aux places arrières de la voiture.
Le phaéton tabatière a la particularité d’avoir à l’arrière un coffre en forme de boîte à tabac qui dissimule deux sièges ; une fois dépliés, ils peuvent accueiller deux personnes supplémentaires.
Le break est une voiture à quatre roues avec un siège pour les passagers parallèle à celui du cocher mais légèrement plus haut et une caisse arrière rectangulaire.
Dans les grandes maisons, il y a en général un grand break de chasse avec un coffre pour mettre les chiens, un omnibus à parois vitrées pour se rendre à la gare et un tonneau attelé à un vieux cheval très sûr pour promener les enfants.
Les roues de toutes ces voitures hippomobiles étaient ferrées et faisaient un bruit très caractéristique qui se mélangeait à celui des fers chaussant les sabots des chevaux. En particulier ce tintamarre annonçait l’arrivée des "rouliers" : ils conduisaient de solides camions tirés par plusieurs chevaux attelés qui ont donné leur nom aux gros véhicules actuels. Ils transportaient des matériaux, poutres de bois ou blocs de pierre provenant de la Montagne Noire, du blé du Lauragais aux minoteries de Toulouse. Des personnes âgées du Lauragais m’ont raconté qu’une de leurs distractions était d’attendre leur passage, et qu’elles se souvenaient du dormeur (l’aide du cocher), allongé sous la caisse du camion sur une sorte de banquette suspendue.

De la voiture hippomobile à la voiture automobile
Alors que déjà circulent les premières voitures automobile (sans chevaux), des constructeurs innovent : roues caoutchoutées, freins à pédale apparaissent sur les voitures hippomobiles. Ces innovations seront appliquées aux voitures automobiles ! En quelques années, ces dernières renvoient les chevaux à leur prairie. Certaines races frôlent l’extinction. Par contre les dénominations des voitures hippomobiles se perpétuent : les premières voitures monocylindre apparues sont des tonneaux. Berlines, coupés, cabriolets, breaks ont des formes dérivées de la forme d’origine. Il en est de même pour le camion.
La dernière voiture d’apparat de la République, une calèche transportant le Président Millerand, héritée de la royauté, descend les Champs-Elysées en 1924(3)!
Entre 1890 et 1910, disparaissent en même temps que les chevaux d’attelage, voitures, cochers, bourreliers, selliers, charrons et carrossiers. On m’a raconté que le père d’un constructeur et réparateur de voitures hippomobiles s’était vu donner toutes ses clefs de moyeux pour renforcer une dalle en béton car il n’en avait plus l’usage.
Pendant la 2ème guerre mondiale, par suite des restrictions de carburants, Victoria et autres Coupés de ville serviront de fiacres dans quelques grandes villes. Conséquence de l’exode vers le sud, on verra aussi ressortir les chevaux attelés.

Les voitures pour chevaux de nouveau fabriquées
De nos jours des descendants de constructeurs se remettent à l’atelier pour sauver les dernières voitures françaises ou construire de belles copies fidèles aux modèles complètement délabrés.. Comme l’écrit le conservateur national du patrimoine hippomobile : " splendeur et misère du patrimoine hippomobile français… ".
Belles petites jardinières laissées aux intempéries pour décorer le jardinet, elles-mêmes décorées de pots de fleurs ; tilburys, cabriolets et autres belles voitures abandonnées dans des remises aux toits percés de gouttières disparaissent inéluctablement ! D’autres sont bradées : un grand break de chasse, signé par un grand constructeur, découvert dans le Lauragais est "parti" vers les Etats-Unis. D’autres belles voitures retrouvent une seconde vie en Espagne, en Hollande ou en Allemagne….

L’attelage : une tradition
Le but de L’association Française d’Attelage con-siste à faire revivre ces magnifiques voitures et de les atteler. Ainsi se développent à nouveau des élevages de chevaux dit carrossiers et renaissent des métiers quasi disparus. Des rassemblements d’attelages permettent aux meneurs isolés de faire rouler sur nos chemins du Lauragais ce patrimoine incomparable et de susciter des vocations de restaurateurs ; ce travail se doit d’être accompli en respectant la tradition, le bon goût français et non pas en défigurant avec du plastique ou du contreplaqué ce qui avait été fabriqué avec soin par des artisans respectueux du travail bien accompli...
Les paysans allaient-ils à la foire du bourg en "tenue de travail", ou plutôt en "tenue de sortie", avec une voiture, un cheval propres et un harnais astiqué ? Quelle que soit la voiture attelée, le meneur se doit d’être aux rênes le fouet à la main dans une tenue en accord avec le style de voiture. Sans doute le baron de Roquette Buis-son(4) menait-il son attelage à quatre chevaux en tenue de ville quand il se rendait à Toulouse en empruntant la route Revel Toulouse au début du siècle dernier !

 


Une jardinière
Crédit photo : Gérald Holley


Une wagonnette
Crédit photo : Collection E. Vilàghy


Une wagonnette break
Crédit photo : Gérald Holley


Une wagonnette
Crédit photo : Collection E. Vilàghy


Un tonneau
Crédit photo : Couleur Média

Un gig
Crédit photo : Gérald Holley


Un petit duc
Crédit photo : Couleur Média


La "tenue de sortie"
Crédit photo : Couleur Média


Si par bonheur vous possédez un tel vestige, quel qu’il soit, mettez le avec soin à l’abris, les roues posées si possible sur des cales pour les protéger de l’humidité du sol. Vous sauverez ainsi notre patrimoine.

Etienne Vilàghy
31570 Préserville

(1) Calèche désigne un type de voiture de gala utilisée aujourd’hui uniquement dans les cours du Royaume Uni, de Hollande ou du Danemark. Elle ne saurait remplacer la désignation voiture hippomobile ou attelage. Un attelage désigne généralement l’ensemble cheval/chevaux et voiture.
(2) Voir Couleur Lauragais N°13 : Etre charron en Lau-ragais de 1840 à nos jours
(3) Cité par le Conservateur National du Patrimoine Hippomobile M JL Libourel, Attelages magazine hors série.
(4) Cité par le grand meneur Henry Baert, Attelages Magazine n° 8

 

Couleur Lauragais n°77 - Novembre 2005