Le Marché de potiers à Saint Félix Lauragais Le marché de potiers de Saint Félix est né de la rencontre d’un céramiste et d’un cuisinier. Eric Belasco, maître céramiste à Vallauris, son épouse Claudine tombée amoureuse de Saint Félix et le chef étoilé de l’Auberge du Poids Public Claude Taffarello sont à l’origine de cette manifestation dont la première investit nos rues et places en septembre 1991, avec la précieuse collaboration des présidents de l’Office de Tourisme le regretté Gilbert Blacque-Belair et Robert Daydé ainsi que du maire de l’époque Hervé Fabre. Le marché de potiers attire chaque troisième week-end de septembre plusieurs milliers de personnes et nous fêtons cette année son 15ème anniversaire. |
Le marché de potiers Crédit photo : Couleur Média |
Authenticité, qualité, originalité
Une trentaine de potiers et céramistes se trouvent réunis à Saint Félix, originaires de tout le Midi de la France : Vallauris, Nîmes, Sisterons, Labastide-Clairance (pays basque), La Rochelle. A l’écart des importations et origines douteuses, ils présentent des œuvres de qualité en apportant chacun leur originalité et leur personnalité. Ajoutons la venue les années précédentes de grands céramistes tels que Pierre Bayle, Joseph Giscard, Jean Derval, Roger Collet. Un hommage particulier sera rendu cette année à Pierre Bayle, décédé l’an passé, considéré comme l’un des plus grands céramistes contemporains - Chevalier des Arts et Lettres, primé à Faenza et lauréat du concours "l’intelligence de la main" prix Liliale Bettancourt (l’Oréal).
Le céramiste Pierre Bayle accueilli à l'Office de Tourisme par Hubert Roques
crédit photo :Collection Hubert Roques
Depuis la nuit des temps : la terre, l’eau, l’air et le feu
A partir de ces 4 éléments, l’univers et l’inventaire de la poterie et de ses dérivés sont impressionnants : poteries de nos ustensiles de cuisine, vases et récipients divers, grès, faïences, terres cuites et vernissées, porcelaine, raku (originaire d’Extrême-Orient), sculptures, céramiques avec ses différentes utilisations telles que prothèses, électronique, moteurs de voiture, têtes de missiles. C’est à partir de l’argile matière première, cette terre glaise de chez nous molle et grasse, imbibée d’eau que le potier façonne toute une gamme de cruches (la dourno) et cruchons, les grésales (la grasalo), les oules, le toupi, les pots "graissiers" et les cassoles du cassoulet. Concernant cette matière première que constitue l’argile, nous apprenons d’après Philippe Wolff, qu’au moyen-âge (vers 1350), les commerçants de Toulouse ajoutaient de l’argile pour conserver ou corser le vin.
Autre recette ou truc de cuisinier : pour rattraper un vin aigri ou piqué on plonge une cruche pleine d’eau bien bouchée dans le tonneau et le mauvais goût serait absorbé.
Et dans un chapitre que nous intitulerons poterie en histoire, citons d’après l’ouvrage de D. Allias : "Le vilain et son pot", qu’au XIIIème siècle, les cathares parfaits qui étaient végétariens, emportaient toujours leurs marmites et écuelles en terre, de manière à ne pas se trouver dans la nécessité d’utiliser d’autres ustensiles culinaires souillés par des viandes ou poissons.
Enfin au XVIème siècle, dans leurs "notes de voyage à Montpellier", Félix et Thomas Platters rapportent qu’en début de carême toute la vaisselle était cassée obstensiblement de manière à ne pas conserver goût et odeurs de viandes puis on utilisait des poteries neuves.
Tant va la cruche à l’eau
Avant l’eau au robinet, arrivée chez nous dans les années 50, la dourno (cruche de ménage) aux épaisses parois vernissées trônait sur le dournié (l’évier) et servait à aller quérir l’eau à la fontaine et la conserver au frais. Dodues mais fragiles, combien gisent certainement au fond de quelques puits ou, après accident, ont lamentablement terminé leur office en "testis" (tessons). Quant au cruchon, rempli d’un breuvage frais et quelque peu anisé, son arrivée sur le "sol" (aire de battage) dans la poussière et les chaleurs d’août marquait la pause bien méritée pour ceux qui s’activaient autour du "matériel" à dépiquer.
Terre et maçonnerie - le bâtiment : la tuile et la brique
Mais cette poterie "alimentaire" que nous venons d’évoquer n’utilisait qu’une quantité minime d’argile comparée à l’emploi qu’en faisait le bâtiment.
Le Torchis (ou paillebart), mélange de terre et de paille hachée servait à édifier des murs dont l’armature était constituée par des colombages : notre village en conserve de nombreux témoignages dont certains sont encore occultés par un crépis. Les colombages sont désignés également sous le nom de corondat.
L’Adobe : brique réalisée avec sable et boulbène dans un moule et cuite au soleil ; des murs ainsi édifiés sont visibles dans les environs de Saint Félix.
On peut citer encore le pisé, terre d’argile graveleuse et tassée mais peu utilisée chez nous.
Gilbert Serres dans ses œuvres Crédit photos : Collection Hubert Roques |
J’habite à la Tuilerie
A Saint Félix et dans les communes voisines quel-ques bâtisses portent le nom de "Tuilerie". Là, se fabriquaient autrefois des tuiles d’une façon très artisanale. Ainsi la romane en terre d’argile moulée sur la cuisse et séchée au soleil. Le "Teulié" pouvait être un artisan itinérant au même titre que le "jougatié" (fabricant de jougs), "l’Estamarou" (l’étameur) ou le fabricant de chaises ; il se déplaçait à la demande des particuliers et confectionnait des tuiles à domicile, en petite quantité certes, qu’il faisait cuire au feu de bois (à 600 ou 700° environ). Est-ce au teulié que l’on confiait la fabrication de la tuile à millas destinée à protéger de l’ardeur du foyer celle ou celui qui procédait à la cuisson du millas (1)?
Le teulié Lo téulié ven d’arribar Amb una carga (bis) Lo téulié ven d’arribar Amb una carga de taba Vira de ci, vira de la Causira la pus polida Vira de ci, vira de la Causira la que voldrà |
Le tuilier Le tuilier vient d’arriver Avec une charge (bis) Le tuilier vient d’arriver Avec une charge de tabac Tourne d’un côté, tourne de l’autre Il choisira la plus jolie Tourne d’un côté, tourne de l’autre Il choisira celle qu’il voudra |
(Lo teulié : danse et chant mimé par le groupe folklorique de Toulouse "Le Ramelet Moundi" et repris et mis en scène par le "Poutou de Toulouse")
Les tuiles de Vide-bouteille
Le lieu dit "Vide-bouteille" est situé à un carrefour de routes menant de Saint Félix à Castelnaudary et Soupex, à la limite du département avec l’Aude.
Vide-bouteille : certainement aux temps anciens un relais de poste, voire une auberge bien placée en cette croisée de chemins mais, plus près de nous une étape obligée pour l’autobus revenant, le lundi, du marché de Castel-naudary pour marquer une halte et vider… quelques bouteilles.
Au fait, Vide-bouteille ou Vide-bouteilles : chacun ju-gera selon ses capacités… Quant au culte de la Dive-bouteille prônée par le bon Rabelais, ce n’est là qu’une question d’inversion de let-tres.
Mais revenons à notre argile et plus précisement aux tuiles et briques qui étaient fabriquées ici par un certain J. Pinet qui y avait établi, voici environ 100 ans, une tuilerie et briqueterie avec fours de cuisson, signant ses briques que l’on peut parfois retrouver encore au hasard de travaux de restauration. Mais, tout comme nos moulins à vent, la tuilerie Pinel de Vide-bouteille, dévorée par la grande industrie a arrêté toute activité vers 1930.
Une tradition de potiers à saint Félix
Bâtie sur l’argile de notre Lauragais, une activité et tradition de poterie et briqueterie s’est toujours maintenue à Saint Félix. Citons au XVIIème siècle, Bor Gaillard, potier et sculpteur né à Saint Félix, à qui l’on doit la décoration de plusieurs églises dans Toulouse et ses environs. Plus près de nous, un atelier de poterie tenu par Mr et Mme Bathel était installé dans les années 1960 rue du Choléra Morbus (plus communément appelée rue du Commerce). Enfin, depuis 1991, le marché de potiers maintient cette tradition.
Les plaques de rues, œuvres de nos potiers
Les rues et plaques du village portaient bien un nom figurant déjà sur le cadastre de 1834 mais aucune plaque n’avait jamais été posée. A l’occasion d’un marché de potiers, ceux-ci étaient invités par la Municipalité à un concours dont le thème était précisément la confection de ces plaques qui désormais figurent en bonne place dans le village. Une décoration de l’ancienne école maternelle et une composition apposée sur la façade du groupe scolaire du Colombier sont également œuvre des potiers ainsi que l’énorme jarre de 1,80 m placée dans la cour d’honneur de la Mairie.
Le marché des 17 et 18 septembre 2005
La tradition se perpétuera une nouvelle fois cette année : exposition des œuvres de 35 potiers, construction d’un four en papier, d’un four gallo-romain, cuisson raku et fabrication de grosses jarres, ateliers pour enfants avec initiation à la poterie, traditionnel concours où les visiteurs expriment leur choix par un vote (il aura cette an-née comme thème "la danse de l’amour"). Autre tradition mais gastronomique : l’éclade, au cours de laquelle une impressionnante quantité de moules est cuite sous une braise d’aiguilles de pins, selon un procédé pratiqué sur les côtes charentaises et méditerranéennes : le tout ar-rosé d’un bon vin blanc sec. Après quoi, la confrérie de l’éclade procède à de nouvelles intronisations. Enfin, exposition de photos au Syndicat d’Initiative réalisées à travers le monde par le photographe globe-trotter Michel Bourguignon.
Ainsi va se dérouler le 15ème marché de potiers : rendez-vous de l’art et de l’amitié entre les Saint-Féliciens et les maîtres de la poterie et de la céramique sans oublier le dévouement des bénévoles sans qui cette manifestation ne pourrait avoir lieu.
Hubert ROQUES
(1) voir Couleur Lauragais N° 46 : Les pierres à millas
Couleur Lauragais n°75 - Septembre 2005