Bourg Saint Bernard et sa fête du pré de la fadaise
L'origine toponymique de Bourg Saint Bernard est liée au passage dans la région de Bernard, abbé de Clairvaux, en 1145, venu dans la région pour prêcher contre le Catharisme et seconder l'évêque Albéric, en-voyé par le Pape Eu-gène III. Mal reçus et chassés de Verfeil, ils durent se réfugier dans une bastide voisine où ils furent très bien accueillis. Saint Bernard sera canonisé en 1173 par Alexandre III. Par la suite, ce village prendra le nom de Bourg Saint Bernard et ce Saint deviendra le Saint Patron de la localité. Bourg Saint Bernard a perdu son nom à la révolution, pour s'appeler Bourg la Loi, mais pour peu de temps. |
"Prat contrast", "fadaise": qu'es aco ?
Aussi loin que l'on trouve traces, le pré est toujours nommé "prat contrast". Traduisons : pré de la contestation. Nous verrons, plus loin, que cette appellation lui va bien. Sur le cadastre de 1585, ce pré est indiqué comme appartenant à Sieur Pierre Pitorre. Le pré y est nommé : "al prat contrast". On ne sait ni quand, ni pourquoi, le prat contrast est devenu pré de la fadaise. Fadaise viendrait du provençal fadeza : sottise, bêtise, de fat : fou, fada. Ce sont bien quelques "fadas" qui vont faire des "fadaises" dans un pré.
Une fête historique des plus anciennes de France
En effet, la fête du pré de la fadaise trouve son origine en 1211 pendant la croisade contre les Albi-geois, menée par Simon de Montfort, envoyé par le Pape Innocent III. Là, il ne s'agit plus de prêche mais de guerre. La légende de cette fête dit que c'est pendant le siège de Lavaur, que de courageux jeunes gens de Bourg St Bernard ont délivré des mains des assiégés, le fils unique d'une riche veuve. Celle-ci, reconnaissante, aurait offert à la jeunesse du bourg une grande fête équestre dans un pré lui appartenant. Elle voulut que ce souvenir reste impérissable et exprima le souhait que cet événement soit célébré chaque année, le lendemain de Pentecôte, à perpétuité.
Bien sûr, la fête du pré a subi des modifications depuis le début
Dans un registre d'un notaire royal du Bourg, M. Olivi, conservé aux archives départementales, on trouve des détails sur la manière dont se déroulait la fête du pré. En 1599, un accord entre les habitants du Bourg, Teulat et St Martin de la Rivière indique "qu'ils vont annuellement, le lundi de Pentecôte, en signe de réjouissance, courir et danser à un pré nommé prat contrast, situé sur le consulat du Bourg St Bernard. Ils s'en vont, après, en courant droit sur l'église de St Martin de la Rivière, située dans le dit Bourg St Bernard et le premier qui peut entrer dans l'église à cheval et toucher la cloche est le roi et aussi, la première femme ou fille qui rentre dans la dite église est la reine".
Mais les habitants de St Martin se sont plaints qu'on entrait dans l'église à cheval. Le Cardinal de Joyeuse, seigneur et baron du Bourg, aurait trouvé cette coutume ancienne très bonne, sauf d'entrer dans l'église à cheval. Les autres coutumes seront conservées, à condition de mettre pied à terre à la porte de l'église.
Actuellement, la course se déroule dans le pré et, le cheval n'étant plus utilisé dans nos campagnes, ce sont des cavaliers d'un club hippique qui font la course.
Le départ de la course |
Rappellons la tradition : elle célèbre chaque année le courage de ces jeunes gens
Traditionnellement, le lundi de Pentecôte, à midi solaire (14 heures d'été) un cortège se forme dans le village avec en tête le Maire à cheval entouré de 4 cavaliers en costumes suivis de tout un cortège : les soldats portant casques et piques légendaires, les chars officiels transportant le blason de Bourg St Bernard, celui du pré de la fadaise, le livre de la chanson du pré, le perroquet, emblème des habitants de ce village, précédant les chars fleuris, voitures décorées (chaque année, un thème est choisi) et toute la foule d'amis venus de partout. Des groupes de musique et danses (banda, folklore...) animent et accompagnent ce défilé jusqu'au pré, à 2,500 km, au nord du village, au-delà du Girou, le long de la Mouissaguèse ( R.D. 42). Auparavant, l'herbe a été fauchée à l'entrée pour en permettre l'accès et autour pour délimiter la piste où aura lieu la course de chevaux.
Les valeureux soldats étudient la stratégie pour délivrer leur ami… |
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Mme Le Maire, prête pour le départ du défilé |
Le perroquet, emblême des Bourguignons |
Le Maire entre dans le pré à cheval, c'est le départ des festivités. Les groupes chantent, dansent. Alors commence un ballet traditionnel : aucune fille ne doit rester debout. Ainsi, les garçons sont tenus de les porter au fond du pré, de les asseoir dans l'herbe, délicatement, bien sûr. Elles ne se relèveront qu'après avoir concédé un "poutou". On cherche l'herbe d'amour, briza média ou brize, que l'on offre en gage de fidélité et l'an prochain, ce rituel recommencera.
On cherche l’herbe d’amour |
Puis vient l'heure de la course. Après trois tours de piste à bride abattue, le gagnant aura le privilège de choisir la reine de la fête parmi les jeunes filles qui se présentent et les suivants, les demoiselles d'honneur.
Après cette cérémonie, le cortège se reforme pour revenir au village. La fête foraine retient son souffle le temps du passage de ce défilé agité, bruyant, très animé, pour le bonheur de tout ce monde joyeux. La cavalcade va traverser le Bourg par la rue principale, à grand renfort de bataille de confettis, de démonstrations de grou-pes de danses et de musiques. Les costumes et décorations des chars fleuris donnent à ce défilé une ambiance particulièrement joyeuse. Le défilé va prendre fin pour laisser la foule participer au bal donné sur la place d'Auta. C'est le moment de se rafraîchir, de danser jusqu'à l'heure du repas et de participer à la fête foraine. Tout le monde reviendra à la tombée de la nuit, pour admirer le feu d'artifice tiré sur le stade Alain Boyer, suivi du bal, place d'Auta, pour clôturer les 3 jours de fêtes de Pentecôte de Bourg Saint Bernard.
Un char fleuri : celui de l’Association Pré de la fadaise, du Comité des Fêtes et du 3ème âge rencontre |
Le char de la Cassagne…
Une 203 fleurie |
800 ans d'histoire, riches en rebondissement : "Prat contrast", le pré de la contestation
En effet, tout au long de son histoire, le pré de la fadaise a fait l'objet de contestations de toutes sortes. Tout d'abord, les différents propriétaires n'ont pas toujours été d'accord pour que les Bourguignons viennent fouler le pré pour y courir une fois par an.
De 1211 à 1585, le Prat Contrast a été la propriété successive de plusieurs personnes dont les noms se sont perdus. Si les propriétaires du pré, pendant 3 siècles sont demeurés inconnus, il est certain que les gens du Bourg avaient observé la convention exprimée dans la légende de 1211. En effet, au folio 445 du livre terrier de la ville et consulat du Bourg St Bernard de 1585, il est écrit : "sire Pierre Pitorre, marchand de Moncabrié, tient dans le consulat du Bourg les possessions suivantes : premièrement, deux arpents et quatre boissels al Prat Contrast, là où ceux du Bourg vont courir annuellement, le lendemain de la fête de Pentecôte, de toute an-cienneté …".
En 1628, Jean Pitorre, fils de Pierre, vendit le pré à François Delguy, seigneur de Pugnère. Puis, Dardé Delguy, nouveau propriétaire, essaya pendant dix ans de procès avec la commune du Bourg, d'empêcher d'aller au pré. De guerre lasse, le propriétaire du pré abandonna son procès et fut même nommé Capitaine de la jeunesse. Ainsi fut rétablie l'harmonie entre ce propriétaire et la commune.
Le pré devint en 1775 propriété du comte François Fleury de Peytes, seigneur de Montcabrier. Celui-ci décida d'empêcher la jeunesse du Bourg de se rendre au pré. Sur sa plainte, le préfet demande à la gendarmerie de s'y rendre afin d'interdire l'accès au pré. Le Maire, M. Fauré, aidé par les gendarmes de Caraman, se dirige vers le pré pour faire exécuter l'ordre reçu de la préfecture. Ils sont suivis par une foule de Bourguignons qui, forçant le barrage des gendarmes, pénètrent dans le pré et y séjournent pendant une heure. Procès verbal est dressé contre les plus récalcitrants qui seront condamnés à verser 30 Fr. de dommages en-vers le comte de Peytes. Le Maire, M. Fauré, fit des recherches sur les registres des 16ème, 17ème et 18ème siècles, constitua un dossier adressé au conseil de Préfecture qui rédige un arrêté dont on n'a pas trace dans les archives, mais qui devait être favorable à la commune puisque les usages purent continuer.
D'autres propriétaires tentèrent d'empêcher la fête et intentèrent des procès, essayèrent par la force en fauchant la totalité du pré avant la fête ou en creusant des fossés pour en interdire l'accès.
Enfin, la commune acheta le pré en 1885. Depuis, la fête du pré de la fadaise, avec sa course et ses animations, put avoir lieu chaque année, sauf à certaines périodes. Les anciens racontent encore que, durant l'occupation, tout rassemblement étant interdit ; c'est en se cachant dans les fossés que les jeunes y allèrent et qu'une année, le Girou ayant débordé, c'est une maie qui fut mise à l'eau pour ne pas faillir à la tradition.
Ces quelques exemples prouvent combien la population de Bourg St Bernard est attachée à cette coutume que nous maintenons encore aujourd'hui.
Le blason
Le pré de la fadaise a son blason, il est placé sur un char du défilé. Nous en trouvons la description dans la monographie de l'instituteur (1886) : "Ce blason porte : parti au premier d'or, à la tour de granit, sommée de trois donjons surmontés de lances ; Au deuxième de gueules, au lion d'or dressé contre une pique ; Au chef d'azur, à la lune d'argent, au coursier ailé. Le blason couronné, feuillé de chêne, avec nœud d'herbe d'amour, Au bas, le millésime douze cent onze. La tour rappelle la forteresse où le fils de la veuve était retenu captif par les Albigeois, le lion, dressé contre une pique, est l'emblème des libérateurs courageux qui étaient armés de piques, la lune est le signe du lundi, le coursier ailé, celui de la course, la couronne et le chêne figurent le prix du vainqueur, l'herbe d'amour est le don symbolique offert par le vainqueur à la jeune fille qu'il choisit pour partager son triomphe. Le millésime mil deux cent onze marque la date de l'origine de la fête". |
L'air du pré de la fadaise
Il est chanté en occitan et joué pendant le défilé :
Aniren al prat, al prat, al prat de la fadéso Le loun de la Mouyssagueso Beouren de boun bi blanc, Bibo le rouge, a mail le blanc. |
Nous irons au pré de la fadaise, le long de la mouyssaguèse, nous boirons du bon vin blanc, buvons le rouge et puis le blanc. |
Le premier couplet situe bien le pré de la fadaise le long de la route départementale 42, appelée "la mouyssaguèse". Dans un manuscrit de Bruno Sieurac, où il décrit les évènements qui se déroulèrent dans le pré un certain 2 juin 1884, il notait : "la musique au milieu du cercle jouait avec enthousiasme l'air du pré", ce qui nous permet de penser que cet air était connu depuis très longtemps. Les couplets suivants expliquent le déroulement de la fête.
L'herbe d'amour
Gage de bonheur, elle est cueillie dans le pré de la fadaise. Il s'agit de "briza media" ou brize, appelée encore amourette. C'est une graminée dont les épillets en forme de cœur, montés sur de longs pédoncules lui donnent cette allure souple, gracieuse et fragile. Cette herbe dite "herbe d'amour" est offerte en souhait de bonheur dans la maison et de fidélité dans le couple.
Brizamédia ou brize… herbe d’amour |
Lundi de Pentecôte 2005 ne sera pas férié !
Cette année, les enfants seront en classe et les adultes au travail pour le lundi de Pentecôte. Encore une fois dans l’histoire, un nouvel empêchement survient. Afin d'assurer une fête du pré comme chaque année, l'association organisatrice décide de reporter les animations du lundi, au dimanche.
C'est donc dimanche 15 mai 2005, à 14 h précises, que le défilé de chars fleuris, les danses et chants, la course de chevaux, le choix de la reine de la fête auront lieu. Un bal, en fin d'après midi et le soir nous permettra de nous retrouver sur la place d'Auta.
Et lundi ? Malgré la décision de supprimer ce jour férié du lundi de Pentecôte, l'association pré de la fadaise, maintiendra la descente au pré le lundi, pour ceux qui le pourront, avec en clôture, à la tombée de la nuit, le feu d'artifice et le bal.
Malgré les obstacles rencontrés au cours des siècles, l'attachement pour la fête du pré de la fadaise est inaltérable. Tout au long de son histoire, la fête du pré de la fadaise a rencontré de nombreux empêchements. Les propriétaires successifs refusant l'accès dans le pré, faisant intervenir la justice et les forces de l'ordre, les pires évènements de la guerre interdisant tout rassemblement, même "mai 68" y eu son rôle. Mais le pré attend tous les ans, le même jour, lendemain de Pentecôte, ceux qui, depuis très longtemps y ont leurs habitudes. Et de nos jours encore, les Bourguignons qui travaillent devront descendre au pré le dimanche, avec la cavalcade. Le lundi, peut-être, en rentrant du travail, ils pourront passer par le pré de la fadaise pour cueillir un bouquet d'herbe d'amour, afin que la tradition soit respectée, car ils y tiennent depuis longtemps, vous imaginez, depuis 1211, presque 800 ans…
Association Pré de la Fadaise
Sources : Tradition du Lauragais de Jacques Bouvier
Monographie de l'instituteur M. Dardenne (1886)
Site internet :pedagogie.ac-toulouse.fr/histgeo/monog/bsb/bsb2.htm
Crédits photos : Association Pré de la Fadaise
Couleur Lauragais n°72 - Mai 2005