L’empreinte de l’homme sur les paysages du Lauragais
Couleur Lauragais vous présente une étude originale sur l’action des hommes sur la nature lauragaise, comment ils ont défriché une immense forêt pour établir leurs champs et construire leurs bordes et leurs villages. |
|
Labastide Beauvoir : les quartiers nouveaux Crédit photo : Couleur Média |
Paysages naturels et végétation
Les formes du relief se répartissent en plusieurs régions : au Nord Est la Montagne Noire, au pied de ce vieux massif une dépression périphérique est jalonnée par les villes de Revel, Castelnaudary, Bram, enfin vers l’Ouest un immense massif de collines divisé en deux par un couloir (une gouttière) emprunté par des rivières, l’Hers mort et le Marès. Ici sont fixées les villes de Castanet, Villefranche, Castelnaudary et Bram. Les grands axes de communication le suivent, l’autoroute et le Canal du Midi.
Si les hommes n’étaient pas installés sur ces collines, une immense forêt couvrirait l’ensemble du Lauragais, avec comme essences principales des chênes blancs (pédonculés) et noirs (pubescents), des hêtres, des conifères, des aulnes dans les zones humides, quelques chênes-verts sur les versants méditerranéens des vallées de cette même montagne. Les hommes ont presque entièrement arraché cette forêt et ne subsistent que quelques lambeaux vers l’Ouest "la forêt de Saint Rome" et dans la Piège quelques bois sur des sols très pauvres. Le Lauragais est une des régions les plus déboisées de France et seule la Montagne Noire a conservé un manteau forestier de très belle allure (forêts de Ramondens, de la Loubatière, de la Montagne Noire).
L’empreinte de l’agriculture Les hommes ont arraché les arbres pour établir des champs cultivés indispensables pour leur nourriture et celle des animaux, cela vers 6000 av. J.C. Les formes des parcelles (ou champs) sont très différentes si leur étude est faite avant ou après 1950, date marquant les débuts de la mécanisation. |
Avant 1950, et depuis les origines, les champs sont de très petites dimensions, de forme carrée ou rectangulaire, un carré de 50 m de côté environ, un rectangle de 40 sur 60 m, ces parcelles souvent minuscules sont travaillées à la main avec bêches et sarcloirs. Seuls les labours résultent des efforts de puissants boeufs gascons. Les parcelles sont systématiquement délimitées par des haies omniprésentes, ou de petits fossés, des talus. La haie est composée de buissons, ronces, arbrisseaux, parfois des pommiers, pêchers, figuiers, elle sert de pâturage pour les moutons et elle produit du menu bois de chauffage pour la cuisine de la borde. Les haies donnaient au Lauragais l’allure d’un bocage verdoyant, totalement disparu aujourd’hui. Le parcellaire (voir carte) d’Ayguesvives est une reconstitution de l’ensemble de la commune ; le document est daté de 1743, on distingue bien la multiplication des micro- parcelles, certaines ont la superficie d’un jardin, des vignes ont une seule rangée de ceps. Depuis 1950 la révolution du tracteur et de la moissonneuse-batteuse conduit à une transformation totale des paysages. Les machines ont besoin d’espace, aussi les haies disparaissent en pratiquant la politique "des grands champs" nécessaires au déplacement de ces véritables monstres mécaniques : certaines moissonneuses ont une barre de coupe de 6 m de large, des tracteurs tirent des charrues à 6 socs. |
Le parcellaire d’Ayguesvives vers 1740 |
Pour cela, pelles mécaniques, buldozers, détruisent les haies, les talus, les fossés et ménagent des parcelles immenses dignes de celles de la Beauce, ainsi des blocs de 20-30 ha sont courants, le record me paraît être de 70 ha, dans un souleilha du côté de Cintegabelle ou vers Lanta-Caraman. Le bocage a disparu entraînant une intense érosion des sols lors des orages estivaux ; en 2005 ce mouvement de concentration parcellaire est stationnaire, on assiste même à la replantation des haies. |
L’habitat rural traditionnel, bordes et villages Les bordes ou métairies traditionnelles sont des bâtiments à l’usage des hommes, des animaux mais encore des constructions pour abriter le matériel, charrues et charrettes, les récoltes, les grains. Les matériaux employés sont le pisé, la brique verte (moulée mais non cuite), la brique rouge dite "foraine", la pierre, du grès ou du calcaire, dans la partie orientale du Lauragais, vers Salles sur l’Hers, Belpech, St Félix, Revel. Les maisons en brique sont sans étage, dites maisons bloc à terre, en pierre ; elles ont généralement un étage, le toit, toujours en tuiles-canal. |
Si nous commentons le plan type ci joint d’une maison bloc à terre, nous observons des bâtiments orientés en fonction des vents dominants : l’axe est parallèle au vent d’autan soufflant du Sud Est. Si une borde n’est pas orientée selon cette règle, elle est appelée "malvirada", c’est à dire "mal tournée". La face B C est toujours sans ouverture, pas de fenêtre, des murs en brique verte, de même D A est aveugle, le Cers apportant la pluie ou le froid hivernal. Le plan général est un rectangle plaçant les entrées (portes et fenêtres) au Sud, au soleil, en occitan "davant", c’est à dire devant, au soleil, au Midi, par opposition à "darré", la direction du Nord-Ouest ou du Nord. |
|
Les principales parties sont une immense cuisine et l’étable des bovins, la cuisine est très vaste avec une cheminée imposante, l’entrée est parfois indirecte, par un passage qui ouvre sur l’étable, cela signifie qu’on entre d’abord dans l’étable puis dans la cuisine tout en surveillant les bovins (moteur vital de l’exploitation), ce souci expliquant cette particularité. Dans la cuisine le chef de famille dispose d’un lit accolé à une cloison qui lui permet d’écouter, la nuit, les bruits suspects de l’étable (animaux malades, coups de pieds...). Les chambres à coucher des autres membres de la famille sont toujours au Nord de la cuisine, sans chauffage, avec de très petites fenêtres. En avant de la cuisine, au midi, "la capelada" ou auvent, sur piliers, largement ouverte, sorte d’avant cuisine où l’on se réfugie en cas de pluie. Le sol de l’étable est en terre battue puis cimentée vers les années 1930-40, opération réalisée beaucoup plus tôt que la cuisine des métayers... j’ai connu des cuisines au sol en terre vers 1940-50. Soigneusement balayée, l’étable a de petites ouvertures permettant un faible courant d’air pour régulariser la température de l’air, notamment l’été. A l’Est de l’étable la bergerie des moutons, et son fumier que l’on enlève tous les 6 mois ou une fois par an. Les hangars abritent charrettes et charrues, petit outillage, avec de beaux arcs en briques foraines ; une arcature correspond à une charrette, une charrue, donc une famille, si deux arcs donc deux familles ; une famille travaillant 8-10 hectares environ, une borde avec deux arcs correspond à 15-18 hectares. A l’extérieur, deux petits bâtiments isolés, d’une part, le fournial (fournil) avec le four à pain et une grande cheminée, le logement des volailles, des pigeons, la soue à porcs ; d’autre part, la garde-pille est une pièce soigneusement carrelée dans laquelle le propriétaire entasse son blé et dont il a, seul, la clef de cet édicule. |
Les villages lauragais sont très nombreux et souvent très petits par le nombre d’habitants agglomérés autour d’une église et d’un château, des rues étroites, tortueuses, exemple le coeur de Caraman. Plusieurs types sont à distinguer, selon "leur plan" : des villages-tas : exemple Auriac, des villages au plan circulaire : le plus caractéristique est Bram mais aussi Montesquieu Lauragais, des villages-rues : Nailloux (avant les constructions récentes), un village-carrefour : Baziège. |
|
Les bastides sont des villages neufs, apparus aux 13ème et 14ème siècles dans une nature vierge comme une forêt. Le plan est dessiné sur le sol avant la construction des maisons. Quelques bastides : Montgeard, Nailloux, Calmont, Salles sur l’Hers, Labastide Beauvoir, Villefranche, Villenouvelle, Saint Félix, Revel (la mieux conservée), Labastide d’Anjou, la dernière 1376. Les bastides royales affirment la puissance du roi, sa présence et son autorité en ce Lauragais qui fut cathare et hostile au Roi. Les bastides sont toutes construites après 1249, date de la disparition du dernier comte de Toulouse Raimon VII ; elles sont le symbole du rattachement du Lauragais au domaine royal. Leur plan est un damier avec des rues bien droites, une place avec une halle et un beffroi, des galeries ou converts (à Revel) ; les murailles sont percées de deux portes : celle d’auta et celle de cers (Ouest). |
Bram : un village en circulade Crédit photo : Bernard Bouchard |
Au village, habitent les nombreux artisans, les commerçants, souvent les paysans brassiers qui ne sont pas logés dans les bordes ou dans les châteaux. |
L’habitat des seigneurs : les châteaux
Trois types de châteaux jalonnent la longue histoire du Lauragais : les châteaux forteresses du Moyen Age ont disparu sauf trois : Auriac (sert de clocher à l’église), Salles sur l’Hers, Roquefort (entre les Cammazes et Durfort), les châteaux du pastel (15ème -16ème siècles) construits par les négociants en or bleu et les très grands propriétaires nobles. Mes recherches m’ont permis d’en repérer 70 environ ; les plus beaux : Baraigne, Tarabel, Cambiac, Montmaur, Ferrals. Les châteaux du froment apparaissent au 18ème siècle et première moitié du 19ème, donc entre 1681 et 1857, plus d’une centaine, faciles à reconnaître par leurs façades classiques, pâles imitations de Versailles ; voir : Mourvilles Basses (famille de Villèle), Ayguesvives, Baziège, Bellevue à Ramonville ; souvent, à proximité, isolé, un pigeonnier : Monestrol, Cintegabelle, la Comtesse à Ramonville.
Le réseau des voies de communication Les voies de communication débutent par des sentiers, herbeux et boueux, gaulois et se terminent par les autoroutes 61 (Toulouse-Narbonne) et A 66 (Toulouse-Pamiers). |
|
Deux mots sur la célèbre et antique voie romaine : Via Aquitania, voie d’Aquitaine, construite après 118 av. J. C., date de l’installation des Romains à Narbonne et Toulouse, entre Montgiscard et Baziège elle traverse la vallée de l’Hers sur des ponceaux (les pountils) toujours visibles, puis elle suit, en gros, la RN 113 jusqu’à Castelnaudary. De là, elle gagne Bram par la RD 33, elle était jalonnée par de grosses agglomérations : Badéra (Baziège), Elusio (Montferrand), Sostomagus (Castelnaudary), Eburomagus (Bram). Cette voie a été la seule route empierrée jusqu’en 1750, date à laquelle sont mises en place plusieurs routes aboutissant aux ports au blé du Canal du Midi. Ouvert en 1681, ce canal déclenche une belle période de prospérité économique (l’âge d’or du froment) jusqu’à l’arrivée du chemin de fer en 1857. |
L'autoroute A66 traverse les côteaux du Lauragais Crédit photo : Couleur Média |
La voie ferrée Toulouse-Narbonne permet l’arrivée en Lauragais des blés russes d’Odessa débarqués à Marseille et ceux du Bassin parisien ; ces blés étrangers sont moins chers que le blé du Lauragais d’où la mévente qui perdurera jusqu’en 1940 et qui provoque un intense exode rural. Après 1950, le redressement de l’agriculture se traduit dans les paysages par les énormes silos de Baziège, Castelnau-dary, Bram, Belpech. L’autoroute A 61 (Toulouse-Narbonne) est accompagnée par le développement de zones industrielles près des échangeurs : Villefranche, Castelnaudary, Bram, l’autoroute A 66 Toulouse-Pamiers et l’échangeur de Nailloux provoquent une véritable explosion démographique pour ce petit village, 3 000 habitants en 2006, contre 650 vers 1990. |
L’empreinte religieuse
Le Lauragais a été, et est encore, un pays profondément marqué par le catholicisme et, politiquement ultraconservateur, royaliste jusqu’en 1936. L’Eglise romaine a joué un rôle important lors de l’insurrection royaliste de l’An VII (août 1799) ; à la fin de la première République (1792-1799) le Lauragais se soulève contre le gouvernement du Directoire qui menait une politique antireligieuse et de déchristianisation. Des milliers de paysans (40 000 ?) encadrés par la noblesse et les prêtres réfractaires, menacent Tou-louse puis sont écrasés à Montréjeau, leurs chefs était de Paulo de Calmont et Rougé de St Orens.
Le Livre du Prévôt de Saint Etienne de Toulouse énumère 280 églises et chapelles en Lauragais, aux 13 et 14ème siècle, aujourd’hui il en reste 180 environ. Ces églises, soit romanes, soit gothiques, soit plus récentes ont des clochers intéressants, des clochers-murs pignons (triangulaires), des clochers murs à tourelles (Villefranche), des clochers à base carrée, des clochers octogonaux (Castel-naudary, St Félix, Caraman). De nombreux calvaires, en brique sont placés aux carrefours de routes ; au sommet des collines (Ayguesvives) sur l’emplacement d’anciens cimetières (Montesquieu), des statues de la Vierge, de Sainte Germaine, de Jeanne d’Arc se dressent dans tous les villages. Des monastères et des abbayes sont toujours visibles dans les paysages lauragais comme l’abbaye école de Sorèze qui a été le siège d’une Ecole royale militaire célèbre par ses méthodes pédagogiques. Saint-Papoul a été le siège de l’évêché du Lauragais jusqu’en 1790. L’abbaye cistercienne de Boulbonne (au Sud de Mazères) a été détruite vers 1570 et reconstruite au 17ème siècle à Trames Aygues, près de Cintega-belle ; elle possédait des granges en Lauragais dont les noms sont demeurés vivants dans la toponymie ("la grange", "le cardinal", à Montgiscard). Le célèbre monastère de Prouille est toujours très actif, fondé par Saint Dominique en 1206, il possédait des milliers d’hectares et a joué le rôle de banquier pour l’Ordre des Frères Prêcheurs.
La religion cathare a été très puissante en Lauragais aux 12ème et 13ème siècles ; seule une stèle, au bord de la route, à Auvezines (commune de Montgey) témoigne de la défaite et du massacre des Croisés (1211) par l’armée du comte de Foix (6 000 morts). Aux Cassès un panneau indique la direction "du Fort" où se dressa le fameux bûcher collectif de 1211, allumé par Simon de Montfort, après le siège de Lavaur.
Les empreintes du 21ème siècle
Le parcellaire agricole sem-ble stabilisé, les champs im-menses sont immobiles dans leurs dimensions géantes, cependant on assiste à une plantation de haies pour lutter contre l’action du vent et surtout freiner l’érosion des sols. Ce renouveau des haies est encore très limité et le Lauragais ne retrouvera pas de sitôt son aspect bocager passé. De nombreux lacs collinaires sont aménagés pour arroser le maïs de semence, le maïs-grain a disparu.
Les bordes ont perdu leur vocation d’habitat paysan par leurs transformations en résidences secondaires ou principales, les nouveaux propriétaires travaillent à Toulouse, Labège, Revel ou Castelnaudary dans les secteurs secondaires et tertiaires. Les exploitants agricoles qui ont survécu à la tourmente de la concentration foncière ont construit une maison moderne à côté de l’ancienne borde laquelle sert de dépôts. D’immenses hangars métalliques abritent les machines ou parfois un élevage de bovins ou de canards (pour les foies) ou des chèvres (pour le fromage). L’élevage des moutons est demeuré important dans la Piège et la Montagne Noire, celui des volailles dans la région de Castelnaudary sous l’influence du GCO (ancienne CAL). Un "petit" exploitant travaille 100-200 ha, en blé, tournesol, un "gros" cultive 500 ha et sème le blé sans labours préalables.
Les transformations sont spectaculaires dans les villages en pleine expansion démographiques comme Escalquens, Baziège, Revel, Villefranche, Castelnaudary. Des quartiers nouveaux de maisons isolées entourent le noyau urbain ancien, parfois des bandes d’habitations jointives ont un aspect social (HLM), ces quartiers récents sont habités par une population jeune dont les besoins conduisent à l’ouverture de crèches, maternelles, centres de loisirs, écoles élémentaires agrandies, ouverture de collèges flambant neuf : 4 en quelques années (pour l’ensemble du Lauragais). D’anciens villages éclatent : Escalquens 5500 habitants, Baziège 3300, Montgiscard 2500, Nailloux 2000, 4000 en 2007.
Empreintes des guerres
J’ai oublié l’empreinte des guerres, avec les monuments aux morts dans chaque commune, ces édifices d’architecture très variée témoignent tragiquement des hécatombes qui ont décimé la jeunesse lauragaise. J’ai découvert un monument (Saint Michel de Lanès) avec les morts de la guerre 1870-71 (complètement oublié) : 6 paysans occitans, ce qui paraît beaucoup pour une petite commune. La guerre de 1914-18 est une catastrophe : 5500 disparus pour la ville de Toulouse, 53 pour Baziège, 30 pour Ayguesvives. Le Lauragais ne s’en remettra pas : on dut faire appel à partir de 1920 à la main d’oeuvre italienne qui sauva l’agriculture lauragaise. La guerre de 1939-45 est beaucoup moins meutrière.
La mutation des paysages lauragais est, en 2005, en pleine accélération alimentée par une explosion démographique sans précédent. Le symbole de ces bouleversements me semble résider dans les délicates pales et supports des éoliennes d’Avignonet. Le Lauragais des vents, aussi bien l’autan que le cers, est devenu producteur d’électricité ! Le moulin à six ailes de Nailloux (près de l’échangeur), reconstruit en 2005, représente le Nailloux de l’avenir.
Jean ODOL
Bibliographie : R. Brunet : "Les campagnes toulousaines" 1965
J. Laviale : "La population du Lauragais" 2005
J. Odol : "Le Lauragais" 2004