Gens d'ici
Un métier du Canal du Midi : le cordier de Saint Roch à Castelnaudary Les cordiers étaient des artisans qui fabriquaient et vendaient des cordes et cordages de chanvre ; une profession très répandue autrefois. L’activité maritime était une importante consommatrice de ces cordes, notamment pour le halage des bateaux en rivière. |
Le halage d’une péniche sur le Canal Crédit photo :Collection Jacques Batigne |
Francis Falcou a étudié la généalogie de sa famille, bateliers et cordiers depuis plusieurs générations à Castelnaudary, et nous donne quelques "ficelles" de ce métier pas ordinaire. |
Les Falcou : bateliers de père en fils
Au tome III des ouvrages qu’il a consacrés au Canal du Midi, Jean Denis Bergasse fait étudier les bateliers de Castelnaudary par Jean Carles, ex-conservateur des Archives municipales de Castelnaudary (1984).
Poursuivant à cette période, des recherches généalogiques, j’avais bien noté que le patronyme Falcou, connu depuis 1627 en Lauragais, se répandait autour de l’activité du Canal après son ouverture à la navigation ; celle-ci prend de l’importance à partir de 1686 :
- Yves Falcou est batelier en 1696,
- Guillaume - Bonaventure Falcou fils de Yves, patron de barque naît en juillet 1703,
- Jean Falcou, fils de Guillaume, facteur de barque naît le 6 mai 1716.
Le 1er juin 1761 a lieu le baptême de Guillaume Falcou, fils de Libéral Falcou, barquier et de Marie Anne Gouttes.
- Le 4 mars 1770, naissance de Yves Falcou, fils de Sébastien, patron sur le Canal.
- Le 25 octobre 1774, mariage de Guillaume Falcou, 24 ans, fils de Yves patron de barque.
- Le 8 septembre 1835, décède Jacques Falcou, patron sur le Canal.
Ainsi, pendant près d’un siècle et demi, les Falcou on été une importante famille de bateliers sur le Canal du Midi. Le patronyme allait rester pendant un siècle encore bien connu de "ceux du Canal" grâce à la branche des cordiers : après les voyages, la famille choisissait la sédentarité.
Le cordier Falcou A Castelnaudary, le personnage du cordier Falcou est très familier dans le quartier de Saint Roch, aux écluses du même nom où il exerce son métier tout autant sur le chemin de halage que sous le hangar de sa maison. Il l’est aussi au centre-ville, car il vend ses cordes sur la place de la République, en face du kiosque à journaux puis du kiosque à musique, aujourd’hui disparus. Il n’a qu’un concurrent : Gabaldo, époux Escar-gueil, qui, lui, fabrique au petit bassin et vend "sous la terrasse", au marché au bois, place Laperrine, où s’élèvera plus tard (1925) le monument aux morts. Comme tous les chauriens, mon trisaïeul est affublé d’un surnom : c’est le "ficeleur", celui qui fabrique la ficelle. |
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Les quatre bassins de l’écluse Saint Roch à Castelnaudary Dessin de Paul Sibra |
La ficelle
On sait les expressions que la langue du peuple a construites sur le mot "ficelle", et leur sens ironique : "il sait tirer les ficelles", "la ficelle est un peu grosse"...
Il est donc naturel qu’à l’occasion du Carnaval, le cordier n’ait pas échappé au chansonnier. Le félibre chaurien Joseph Dupuy (1868-1916) a été l’auteur d’une chanson intitulé "la ficèlo" et son fils Auguste Dupuy, en a composé la musique ; tandis que Paul Sibra le très grand peintre du Lauragais (1889-1951) l’a illustrée du dessin du cordier et de son ouvrier (voir illustration en première page). L’ensemble est paru dans un recueil intitulé "Ramado de falhos mouïssos" imprimé chez Gabelle à Carcassonne (sans date 1910 ?).
Le texte est en occitan "la lengo maîralo" assorti de sa traduction française. Après un couplet de présentation du personnage : |
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Le métier de cordier |
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Deux autres évoquent, sérieusement d’abord, puis ironiquement, le produit du travail du cordier : |
dont la traduction française serait : |
"La ficelo touchoun servis per estacar dam un utis las garbos que fa la machino e les sacs que porto l’esquino. Voulets penja de salcissots ? Sarra d’apargam sus de pors ? Ou de tripous uno roudelo ? Per tout vous caldra de ficelo !" |
"La ficelle sert toujours pour attacher avec un outil les gerbes que fait la machine Et les sacs que porte l’échine ; voulez-vous pendre des saucissons ? serrer du parchemin sur des pots ou une rouelle de boudins ? Pour tout il vous faudra une ficelle !" |
Que produisait le cordier ?
- de la ficelle pour le montage des scies,
- de la ficelle manille pour sacs de batardeaux et pour liens de jeunes plantations,
- des cordeaux en chanvre pour les cantonniers, toutes dimensions : 2,50 m - 3 m - 5 m - 7 m - 12 m - 15 m - 18 m - 25 m - 50 m...,
- des cordeaux pour échenilloir,
- des cordes pour échafaudages des calfats et des maçons,
- pour les faucards des calfats et charpentiers pendant le chômage en chanvre,
- des cordes d’amarre pour la barque des terrasses (108 fils, 66 fils), pour la drague Perris (40 fils, 25 cannes, 8,8 kg),
- des cordes en coco pour la manoeuvre des gabarres (10 m, 24 fils, 4,50 kg) le coco n’apparaît dans les comptes qu’à partir de 1889, des cordes suiffées (28 fils, 30 m, 22 kg) à partir de 1895,
- différentes cordes en chanvre : 20 m, 0,075 m de circonférence, 12,40 kg - 24 m, 0,090 m, 19,50 kg - 22 m, 0,10 m, 22 kg pour les godets de la drague - 14 m, 0,02 m, 14,50 kg pour les sauvetages,
- de la corde manille, pour la main-courante autour du rouf du bateau porte drague
- des câbles pour la chèvre* du cantonnier-charpentier, 30 m,
- pour la manoeuvre des vannages du réservoir de Saint-Ferréol, en chanvre (30 m, 0,05 de diamètre, 37 kg, 20 m, 0,02 m, 10 kg) des mailles et maillettes : maille pour la barque des terrasses, 18 fils, maillettes chanvre à un cheval, maillette à 2 chevaux pour halage des embarcations de service (50 m de long, 12,80 kg), maillette de chanvre goudronnée pour le "Riquet".
Les derniers cordiers
François Falcou né le 21 janvier 1813, d’abord cordier à la rue Sainte Croix, vient s’installer en 1876 à Saint Roch où il décède le 6 juin 1888 ; il a succédé à Jean-Marie Boyer, installé en ces lieux en 1854. (Les Archives du Canal, au bureau de Castelnaudary renfermaient le Traité de la corderie de Saint Roch en date du 20 janvier 1876).
Son fils Germain Falcou, né le 4 avril 1852, épouse Eugénie Ourliac, fille de l’éclusier de Saint Roch. Il va exercer là son métier de cordier près de la maison familiale qui existe toujours, jusqu’en 1920 ; à sa mort, en 1925, son atelier est fermé ; aucun de ses trois fils ne prendra la suite ; le Canal voit son activité décroître et ce type d’artisan, vivant de la voie d’eau, disparaît à jamais de Castelnaudary.
Parmi les objets emblématiques de la profession, nous conservons dans la famille une enseigne en céramique très "parlante" : dans une ancre de 30 cm de haut, est placée une cuvette dans laquelle est sculpté en relief, de profil et de trois quart, le cordier portant son bâton de chanvre sur l’épaule gauche. Sur le large bord supérieur, on peut lire en relief : GN (abréviation de Germain) Falcou, Cordier. La partie inférieure a l’aspect d’une corde tressée sous laquelle est écrit "Castelnaudary".
L’ensemble, non estampillé, à un diamètre de 20 centimètres.
Francis FALCOU
Professeur certifié (e.r.)
Président des Amis de Castelnaudary et du Lauragais
*Chèvre : sorte de trépied assez léger et donc facilement maniable muni d'une poulie au sommet et qui sert au levage de matériaux relativement lourds.
Sources :
- Le dernier artisan cordier de la côte : Midi Libre du 30 août 1978,
- Bergasse Jean-Denis : le Canal du Midi - trois siècles de batellerie et d’aventures humaines (1983),
- Ourliac Jean : Castelnaudary et le Canal du Midi (1671-1800) mémoire de Maîtrise d’Histoire Université de Toulouse II juin 1996,
- Dupuy Joseph : Ramado de felhos mouïssos - Gabelle Carcassonne (sans date),
- Ramière de Fortanier Arnaud - Castelnaudary et son Canal - Castelnaudary notre ville - les Amis de Castelnaudary - 1994 page 44 à 53,
- Cazaban Jacques et Falcou Francis : le bel enracinement des Falcou Midi Libre 21 mars 1994 édition de Carcassonne,
- L. Teisseire (de l’Académie des Arts et Sciences de Carcassonne) : recherches sur la corderie de St Roch 2002.
Couleur Lauragais N°69 - Février 2005