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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Recherche sur la laine : l’or blanc du Lauragais

Le Pays de Cocagne, ou Lauragais, doit son nom aux coques de pastel qui semblait si bien adapté au Pays des Mille Collines. Des études très récentes ont permis de mettre en valeur d’autres productions, le blé évidemment, mais aussi, et surtout, la laine.


La Béguère - troupeau de brebis lauragaises dans les chaumes

De nouveaux travaux sur le Pastel
La célèbre thèse de Caster sur le pastel s’intéresse surtout au commerce de l’agranat, comme son nom l’indique d’ailleurs, et aux grands négociants plongés dans le commerce international, les d’Assézat, Bernuy, Boisson, en étudiant leurs registres de comptes, l’auteur démontre l’étonnante puissance financière des "princes du pastel", et leur empreinte dans l’architecture toulousaine du 16ème siècle, par contre, très peu d’éléments sur la production du pastel à la base, les rendements, les prix des coques au départ des bordes, rien sur le commerce et les négociants des petits centres, ou moyens, comme Avigno-net, Castelnaudary. D’autres historiens ont fait des recherches au niveau du sol producteur, des colloques se sont tenus, des publications très récentes démontrent la place modeste du pastel dans l’économie lauragaise des 16-17ème siècles, la laine y tenant une place plus importante.

A la production, le pastel était bon marché
En utilisant les registres des notaires, essentiellement de Castelnaudary et les résultats des enquêteurs des "Recherches diocésaines", Larguier démontre qu’il y a très peu d’actes notariés concernant le pastel alors que foisonnent à profusion les documents relatifs à la laine ou au blé. Surtout il dégage les prix : vers 1550, pour une centaine de coques, le négociant payait au producteur entre 12 et 15 sols, quelques fois 20. Il s’agit d’une somme très modeste, 12 sols c’est aussi le prix d’un setier de blé. Le pastel était très bon marché au départ de la borde. Autre indice révélateur : la centaine de coques s’évaluait fréquemment en "carolins", une monnaie de billon équivalent à 1 sol et quasiment jamais employée pour les autres produits, donc on a l’impression d’un certain mépris pour ce pastel peu intéressant (au niveau de la production). Seuls les très grands propriétaires et les très grands marchands s’enrichissent avec le pastel. D’où les formules chocs que j’ai relevé : "le produit-roi, en Lauragais, dans la première moitié du 16ème siècle, n’était pas le pastel, mais la laine ou encore "la laine produit phare du Lauragais" ou aussi : "le pastel, un négoce parmi d’autres pour les marchands du Lauragais". Ces conclusions sont valables pour le 16ème siècle, au 18ème siècle le prix du blé augmente régulièrement avec les exportations rendues possibles par le Canal du Midi. Cependant l’ouvrage de Théron de Montaugé souligne l’importance de la laine au 19ème siècle. Ces conclusions partielles m’incitent à vous proposer une modeste synthèse sur les moutons du Lauragais, jusqu’à nos jours.

La laine, or blanc du Lauragais, son domaine
Dans un tableau de l’agriculture de la Haute-Garonne en 1925 nous relevons dans ce département, deux grandes races de moutons : la race ovine pyrénéenne centrale et la race Lauragaise. Vieille et excellente race depuis longtemps, répartie et répandue sur tous les coteaux du département, particulièrement entre Montauban, Tou-louse et Castelnaudary. Le vrai centre d’élevage est le Lauragais dans les arrondissements de Castelnaudary et de Villefranche, auquels il convient d’ajouter la vallée de la Garonne, de Cazères à Montauban et les vallées de l’Hers et de l’Ariège depuis leur confluent jusqu’à Mirepoix et Pamiers. Les troupeaux, beaucoup moins nombreux qu’autrefois, y comptent encore de 30 à 60 brebis (par borde) et qu’on renouvelle par quart chaque année. En des temps lointains, en 1355, le monastère des Dominicaines de Prouille, au pied de Fanjeaux possédait 2500 brebis, avec deux races différentes.

Une race bien typée : rustique et bien adaptée à l’environnement
La race peut être ainsi définie : moutons de grande taille O,65 m à 0,70 m, pour un format moyen de 55 kilos, aux formes allongées, sur pattes fortes et hautes, couleur complètement blanche, sans la moindre tâche ou plaque sur la peau ni les muqueuses, tête volumineuse, longue, busquée, sans cornes, à oreilles longues, toison à mèches presque carrée, très faiblement étendue sur le tronc, laissant à découvert la tête tout entière, le dessus de la nuque, toute la face inférieure du cou, les membres en totalité, le dessous de la poitrine et du ventre, et souvent, une notable étendue des parois costales (toison en manteau). Le poids des moutons atteint ordinairement 55 kilos, celui des brebis entre 40 et 50, les béliers dépassent 70 kilos.

Race ovine lauragaise
(bélier, 3 ans)

Race ovine lauragaise
(brebis, 3 ans)

Sa rusticité
En 1985, j’ai rencontré le dernier troupeau de brebis lauragaises, un troupeau homogène de 80 têtes, à Lafage, commune de la Piège audoise, à proximité de la Vixiège, au Nord de Mirepoix. Le troupeau occupait toute la largeur de la route, paissant dans les fossés et les haies. Son propriétaire m’expliqua que ses brebis mangeaient obsolument de tout, comme les chèvres, y compris les ronces. La lauragaise est remarquablement adaptée au milieu naturel, au climat avec des hivers rudes (c’était en 1925) et des étés brûlants, un vent d’autan chaud et sec. Surtout les brebis sont peu exigeantes quant à la nourriture : plantes des haies, des talus, des fossés, des bois, des forêts. A Baziège, les troupeaux cherchaient leur maigre pitance dans les talus de l’Hers. Aux 18 et 19ème, les animaux se déplaçaient sur les chaumes (tiges de blé après la moisson), ils apportaient ainsi leur fumier au sol.

Une race prolifique et bonne laitière
Les brebis sont très prolifiques, les portées doubles ne sont pas rares (écrit en 1925). On compte 135 agneaux par troupeau de 100 femelles. Ces dernières sont bonnes laitières : un litre de lait chaque jour pendant 5 mois. "Le lait sert à l’engraissement des agneaux vendus à la boucherie quant ils présentent 12 kilos soit 20 à 25 jours après leur naissance. Le complément est récolté pour être vendu au consommateur toulousain ou transformé" sur place en fromages pour l’approvisionnement des caves de Roquefort. Ceci explique la fusion, après 1950, avec la race de Lacaune et de Roquefort. La toison peu fournie, ne donne guère que 2,500 kilos de laine, mais une laine très fine témoignant de l’intervention des mérinos d’Espagne im-portés à diverses reprises. La viande est de bonne qualité, avec un rendement de 55% du poids vif. L’engraissement est à base de maïs lauragais (la millette).


La bergère Collinette
œuvre d'André Lagarrigue (voir article Histoire de l'Art)

Les draps du Lauragais
La laine était lavée puis filée dans chaque borde, c’était la spécialité des personnes âgées, de nos paysannes lauragaises. Le tissage chez un spécialiste : le tisserand du village, certaines bourgades sont des centres plus importants, ainsi Avignonet, Revel, Castel-naudary surtout Toulouse et Carcassonne, au 19ème siècle Mazamet est spécalisé dans le délainage. Vers 1870, Cenne-Monestiés, dans la vallée du Lampy, compte 500 femmes et enfants employés dans le textile. Tout cela a disparu sauf à Mazamet.
Les moutons de notre race spécifique, la lauragaise, ont disparu vers 1940, à Ayguesvives le dernier troupeau en 1970, la race de Lacaune-Roquefort a absorbé la lauragaise, donc si vous souhaitez approcher des lauragaises, ou quelque animal très proche, allez à Lacaune où l’élevage ovin est demeuré très dynamique, pour le lait et le fromage. La lauragaise a joué dans l’économie traditionnelle un rôle fondamental dans la trilogie : blé-vin-laine, ces 3 productions sont vieilles de plusieurs milliers d’années, depuis la Préhistoire, quelques 5000 ans avant Jésus Christ ; la vigne a été introduite en Gaule par les Romains (venez écouter les conférences de Lucien Ariès sur les vins gallo-romains, à Baziège).
Las fedas (les brebis) ont disparu de nos collines, en quelques lignes bien courtes, j’ai rappelé leurs spectaculaires qualités. A côté de l’or bleu du pastel, de l’or jaune du blé, n’oublions par l’or blanc de la laine.

Jean Odol

Bibliographie
L’agriculture de la Haute-Garonne - 1925
Annales du Midi : sur le pastel n° 236 - 2001
Les ouvrages de Caster, Jorré, Brunet, Maguer (2004), Théron de Montaugé, Piat
Dossier documentaire : L. Semenou.