Gens d'ici
Joseph Brualla, 40 ans de pâtisserie sur Castelnaudary
Joseph Brualla a exercé ses talents d’artiste pâtissier pendant plus de quarante ans sur Castelnaudary. Couleur Lauragais l’a rencontré pour vous. Une interview qui vous mettra l’eau à la bouche
Joseph Brualla dans sa cuisine restée intacte
Crédit photo : Couleur Média
L’installation en Lauragais
Né en 1916 à Nantes, Joseph Brualla arrive en 1919 dans la petite ville d’Albas dans l’Aude où ses parents s’installent. Joseph a deux sœurs et deux frères et la famille vit de l’élevage d’un petit troupeau de moutons et de chèvres. Dès son plus jeune âge, Joseph est curieux de tout et bon élève. Il obtient son certificat d’étude, reçu avec les félicitations. Mais ses parents ne sont pas riches ; il ne peut continuer ses études et doit rapidement travailler. Il s’occupe donc de la garde du troupeau familial et "se loue", durant les vendanges, aux vignerons des Corbières. Il part chaque année pour la région de Narbonne et ces courts séjours sont toujours attendus avec impatience. Ils sont en effet l’occasion de prendre le train pour la ville (Narbonne) et de découvrir les attraits de la vie urbaine. Tout y est objet de fascination, mais ce sont les odeurs qui impressionnent le plus Joseph. Celles du salon de coiffure, mélanges de parfums, ou, bien plus encore, celles de la pâtisserie d’où émanent les senteurs subtiles des gâteaux les plus variés. Joseph ne sait pas encore précisément ce que sera son futur métier mais il devine déjà que ces odeurs auront une influence sur sa vocation.
L’apprentissage
Sa chance, Joseph l’a saisi dans une annonce lue dans un journal local : "Recherche apprenti pâtissier, nourri, logé, blanchi". Il y répond rapidement, dépose sa candidature et, à sa grande surprise, il est embauché. Nous sommes en 1931. Il entre au service d’un pâtissier de Castelnaudary et apprend le métier : la réalisation des croissants, des pêches, ces gâteaux à la crème imbibés de sirop de pêche et de rhum, la recette des choux à la crème, éclairs, jésuites, millefeuilles et autres pâtisseries. Les journées sont dures et les semaines longues : lever à 4 ou 5 heures du matin tous les jours de la semaine sauf parfois le mardi qui est chômé. Les conditions de logement sont également spartiates : un matelas de paille dans le grenier du magasin. Joseph travaille sept à huit heures uniquement sur la matinée ; l’après-midi, il prépare le travail du lendemain, par exemple en montant au grenier les fagots de bois, nécessaires au fonctionnement du four. Les journées les plus dures étaient les vendredis et samedis en préparation du dimanche qui constituait l’une des plus grosses journées de la semaine. La pâtisserie est en effet installée dans une rue proche de l’église, lieu de passage important. L’apprenti qu’il était n’avait de son côté que peu d’occasions de goûter à ses réalisations. Joseph évitait même de s’essuyer les lèvres pendant le travail de peur d’être accusé d’avoir croqué dans l’un des gâteaux.
Palais oriental, imagination de J. Brualla Noël 1951 Crédit photo : Collection J. Brualla |
Pâques 1952 - le Grand Bassin de Castelnaudary dessiné à main levé sur l'œuf Crédit photo : Collection J. Brualla |
Montée en grade
Après deux à trois ans d’apprentissage, Joseph part travailler à Carcassonne comme "demi-ouvrier". C’est le statut intermédiaire entre l’apprenti et l’ouvrier : il connaît déjà les bases de la pâtisserie mais sans avoir une maîtrise complète du métier. C’était plus sûrement un moyen pour les patrons de l’époque d’utiliser une main d’œuvre qualifiée à bon compte. En 1936, Joseph rentre enfin comme ouvrier dans une pâtisserie de Carcasson-ne. Il n’y restera qu’un an. Il est en effet contacté pour partir en Amérique du Sud pour y exercer ses compétences. Il signe le contrat mais, rattrapé par ses obligations militaires, il ne pourra pas prendre le bateau. En 1936, il est incorporé et part pour Angoulême faire ses deux ans de service réglementaire. Il restera même un an de plus avec la déclaration de la guerre en 1939.
La dure épreuve de la guerre
En 1940, Joseph revient enfin dans la région. Mais les époques de guerre ne sont pas propices aux artistes en général et aux pâtissiers en particulier. Les allemands interdisent les pâtisseries, coupables d’utiliser des matières premières vitales pour des denrées jugées non prioritaires. Joseph se convertit en bûcheron de 1940 à 1942. C’est une fois de plus grâce au journal qu’il reprendra en 1942 son ancienne activité. Une nouvelle annonce demande un ouvrier pâtissier qualifié pour un établissement de Perpignan. Joseph y répond et, une fois de plus, est embauché. Perpignan reste un souvenir fort pour Joseph qui y rencontrera celle qui deviendra sa femme en 1943.
Il est mobilisé à nouveau pour le débarquement des alliés en Provence et doit repartir pour quelques mois. A la démobilisation en 1945, sa femme l’avertit d’un courrier de son premier patron pâtissier de Castelnaudary. Celui-ci souhaite revendre son affaire et a aussitôt pensé à Joseph, un ouvrier particulièrement doué. Cette lettre va changer la vie de Joseph qui rachète l’affaire et s’installe à Castelnaudary.
Le magasin de Castelnaudary
C’est là, durant plus de 40 ans, que va s’épanouir cet artiste. Pour égayer sa vitrine et montrer son savoir-faire, Joseph réalise régulièrement des pièces montées en sucre. Il y travaille le soir, après la fermeture du magasin, dans le calme de son laboratoire. Monuments ou évènements de l’actualité sont autant de sujets pour de nouvelles réalisations : le carrosse de la Reine d’Angleterre en 1952, les monuments les plus variés, cathédrales, châteaux, …
Dôme de Milan - Noël 1961 Crédit photo : Collection J. Brualla |
Notre Dame de Paris - Noël 1959 Crédit photo : Collection J. Brualla |
Joseph se fait aussi connaître pour son savoir-faire. Il est l’un des premiers à faire du chocolat glacé et possède à son actif de nombreuses créations. Trois gâteaux sont restés comme des réussites dans la mémoire de ses nombreux clients. Le "cassoulet glacé" d’abord réalisé en nougatine et repris, par la suite, par de nombreux autres pâtissiers de Castelnaudary. La "Véronique" ensuite, du nom de sa petite fille à qui ce gâteau est dédié, une réussite mêlant fonds de pâte à choux, bavarois, chocolat et chantilly. "L’échaudé" enfin, un gâteau sec très apprécié dans toute la région
La fabrication familiale de chocolats glacés - 1956 Crédit photo : Collection J. Brualla |
Pièce d'art - Pâques 1964 Crédit photo : Collection J. Brualla |
Mais Joseph a aussi émerveillé les papilles de nombreuses vedettes des années 70-80 : par exemple Gilbert Bécaud et Dalida ont eu l’occasion d’apprécier ses réalisations.
La plus grande fierté de Joseph reste malgré tout d’avoir formé, tout au long de sa carrière, bon nombre d’apprentis, tous aujourd’hui professionnels reconnus.
Le Castillet de Perpignan réalisé avec des grains de sucre Noël 1954 Crédit photo : Collection J. Brualla |
J. Brualla et sa femme, leur chien apprécie le gâteau des rois - 1980 Crédit photo : Collection J. Brualla |
Joseph Brualla, sa femme et une cliente le jour de la fermeture définitive, le 1er décembre 1986 Crédit photo : Collection J. Brualla |
En 1986, Joseph prend sa retraite. Il conserve encore aujourd’hui les lettres de ses clients qui, à cette occasion, l’ont remercié d’avoir exercé son métier avec autant de passion que de savoir-faire. Beaucoup à Castelnaudary se souviendront sans doute de la petite pâtisserie de la rue de l’église. Joseph y vit encore aujourd’hui dans le décor intact où, lui et sa femme, ont travaillé durant tant d’années.
Interview
:
Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°68 - Décembre 2004/Janvier 2005