Histoire
Le
Maquis de la Montagne Noire - 1944
Je
suis dans la forêt de Ramondens, seul, écoutant le silence et
essayant de faire parler ces arbres centenaires qui ont vu passer des bombardiers
allemands, en juillet 44, à 200 m d’altitude je glisse vers le
Nord ; entre terre d’Aude, Revel, Mazamet et Saissac, sur la départementale
203, les forêts de Ramondens et de La Loubatière, des plateaux
plantés de conifères et de hêtres énormes, des
chemins forestiers encadrés de nombreuses rigoles où coule une
eau glacée et, malgré le soleil, l’air y est vif. Après
avoir été imprégné par la lumière tamisée
et obscure du sous bois je découvre brusquement, jaillissant comme
un éclair, une flamme de pierre blanche : le mémorial du corps
franc de la Montagne Noire à Fonbruno(1). Isolé au coeur de
la forêt immense, défiant le ciel et surmontant une crypte dans
laquelle, dans la pénombre, des cercueils de pierre avec des noms,
des croix catholiques, un symbole juif, un croissant musulman. Atmosphère
étrange, un silence de marbre, froid. La vie renaît avec le soleil...
Puis,venant de nulle part, ou du ciel peut-être, des bruits étranges,
puissants, des maquisards qui chantent "le chant du maquis", des
rafales de mitrailleuses, des bombes éclatent lâchées
par des Junkers 88. Nous sommes en juillet-août 1944...
Par les quelques lignes qui suivent, je souhaite rendre un vibrant hommage
à Monpezat, aux officiers, aux gamins de 20 ans, à tous les
combattants de l’ombre qui se sont dressés contre la barbarie
nazie. Je donne fréquemment la parole au chef du maquis en utilisant
son "journal de marche".
La
Montagne Noire
Crédit
photo : Couleur Média
Le
cadre géographique
Partie méridionale du Massif Central, la Montagne Noire domine de plusieurs
centaines de mètres les plaines et les cuvettes qui l’enserrent
; la zone centrale s’élève progressivement de l’Ouest
vers l’Est : Revel est à 220 mètres, les Cammazes à
600 m, la Régine 650, le Pic de Nore 1211 m. Les rivières ont
creusé des vallées profondement encaissées, de véritables
gorges comme celles du Sor, du Lampy, de l’Alzeau sur le versant méditerranéen.
Le climat est très humide avec beaucoup de brouillards hivernaux permettant
ainsi le développement d’immenses et puissantes forêts
de chênes, de hêtres, de conifères. Les plus célèbres
sont les forêts de Ramondens, de l’Aguille, de la Loubatière,
de la Montagne Noire. Le cadre géographique du maquis est donc celui
d’une forteresse boisée, dominante, mais un point faible : facile
à encercler, si l’on dispose de troupes nombreuses, ce que font
les Allemands le 25 juillet 1944.
La
résistance dans la région toulousaine
En 1940, l’armée française est écrasée en
moins d’un mois par les divisions blindées allemandes appuyées
par une aviation largement supérieure. Hitler préparait la guerre
depuis 1935 (rétablissement du service militaire obligatoire), avec
un matériel neuf à cette date (avions et chars) et essayé
dans la guerre d’Espagne (1936-1939), conflit dans lequel l’aviation
nazie de la Légion Kondor jouèrent un rôle décisif
dans la victoire de Franco. Le maréchal Pétain prend le pouvoir
et installe un gouvernement qui rapidement, pratique une politique de collaboration
avec l’Allemagne, avec soutien économique, envoi de main d’oeuvre
(STO). Un général français continue cependant de se battre
du côté des Anglais : de Gaulle, avec une poignée de soldats.
Il lance son célèbre appel du 18 juin, "la France a perdu
une bataille mais pas la guerre". Il sera très peu suivi jusqu’en
novembre 1942, date à laquelle les Américains et les Anglais
débarquent au Maroc et en Algérie. Une infime minorité
de Français refuse de s’agenouiller devant les nazis et organise
spontanément la Résistance, par la mise sur pied de réseaux
de renseignements transmis à Londres par radio, de sabotages et, à
partir de 1942, de maquis armés dans les zones montagneuses (Pyrénées,
Massif Central, Alpes).
En Lauragais(2), le terrain découvert se prête mal à l’implantation
de maquis, sauf dans la Montagne Noire. Ainsi la Résistance lauragaise
se limite au faible maquis de Nailloux dirigé par Manuel Palos, à
Revel un groupe de résistants crée une antenne du mouvement
Libération. Un maquis FTPF se forme en 1942 dans la région d’Arfons
sous la direction de Jacques d’Andurin, d’autres maquis dans la
Piège en 1944, vers Salles sur l’Hers. La troupe la plus nombreuse
se constitue sous le nom de "Corps franc de la Montagne Noire" dont
nous racontons l’histoire très partiellement.
Henri Sevenet | Roger Monpezat | Richardson |
La
formation du Maquis
Le maquis de la Montagne Noire est avant tout l’oeuvre d’un homme
à l’exceptionnelle personnalité, Roger Monpezat, avec
une poignée de résistants, courageux et dynamiques, le capitaine
de Kervenoael, Henri Sevenet, l’abbé de Villeneuve, l’Anglais
Richardson (responsable des liaisons radio avec Londres). Roger Monpezat né
à Bordeaux en 1899, est l’un des premiers à entrer dans
la Résistance en août 1940. Il adhére à différents
réseaux Alliance, Pat O’Lary, Buckmaster, Libération-Sud.
En 1944, il participe à la création du Conseil Départemental
de la Résistance de la Haute Garonne ; il disparaît en 1958.
C’est avant tout un organisateur qui a tout prévu avant même
l’installation des maquisards. Il souhaitait 500 combattants, or en
juillet ils seront près de 1000, c’est beaucoup trop. Pour le
ravitaillement, le pain venait d’Arfons, de Revel, la viande de Mazamet
; l’habillement est réussi en "empruntant" les tenues
de Chantiers de Jeunesse, à Toulouse, en plein jour, en déménageant
avec un camion. Des motos, divers véhicules, notamment des camions
sont réquisitionnés, pour l’armement ; des caches à
Saverdun, permettent un premier équipement, puis plusieurs parachutages
sur les pelouses du Pic de Nore. Voici le récit d’une opération
de ce type où les mitrailleuses tombaient du ciel, d’abord le
message "les ermites ne sont plus solitaires", 2 fois. Sur le grand
plateau du Pic de Nore couvert de bruyères roses, terrain idéal
aussi bien pour les parachutages de matériel que de personnel, les
hommes, disposés en cercle contre le vent attendent la venue des avions
d’Alger. A minuit et demi, un avion passe dans le voisinage ; est ce
un Français, un Allemand ? On ne le saura pas car l’avion disparaît
dans la nuit, une demi heure plus tard ; une énorme respiration se
fait entendre dans le ciel. Les feux sont à nouveau allumés
et flambent sans discrétion, le vrombissement grandit et l’avion
est visible à 300 m de hauteur. Richardson fait sans arrêts des
"point-trait-deux points". L’avion passe et repasse, perdant
chaque fois de sa hauteur ; à 200 m il fait lui aussi "un point-trait-deux
points" et, au même instant, largue ses containers dans le vide.
Le vent emporte les parachutes un peu partout au dessus des bois. L’inventaire
est composé de beaucoup de mitraillettes, des explosifs, des grenades,
quelques mitrailleuses lourdes, beaucoup de munitions, mais pas de mortier.
Les hommes sont disposés en plusieurs camps : Plo Del May, Fonbruno,
Le Rietgé, Co de David, La Galaube (voir croquis).
La composition des maquisards est d’une extraordinaire diversité
; à côté d’une majorité de jeunes venus de
l’Aude, du Tarn, de Revel, nous rencontrons des Alsaciens-Lorrains déserteurs
de l’armée allemande, des Nords Africains venus des mines de
Salsigne (150), des Espagnols républicains, quelques Italiens, des
Belges, des Polonais, un Croate, un Américain (Pagels, pilote d’un
avion US abattu), un Anglais, des Israélites formant une troupe autonome.
Stèle du camp du maquis - Plo Del May Crédit photo : Jacques Batigne |
Camp du Rietgé |
Camp de la
Galaube
Bombardement
et combat du 20 juillet
Devant le danger que présente ce maquis aux nombreux combattants, l’armée
allemande réagit avec vigueur. Voici le récit, par Monpezat,
de l’attaque allemande. "20 juillet, 6h45, il fait à peine
jour, les hommes se frottent les yeux avant de se lever. Un bruit grandit
dans le ciel, devient énorme. Huit avions, six Junkers 88 et deux mouchards
survolent la Galaube, dans les vallées étroites de la Montagne
Noire, le ronflement des moteurs prend des proportions formidables. Les avions
sont à peine à 200 mètres, le camp de la Galaube paraît
particulièrement visé, la première bombe est lâchée,
le téléphone est coupé, le commandant Henri Sévenet
est tué (décapité par un éclat). Les bombes tombent
dru, six avions de bombardement s’acharnent sur le camp mesurant à
peine quelques centaines de mètres de côté, les projectiles
sont de grosses torpilles à ailettes de plus de 300 kilos qui, s’ouvrant
après avoir été lâchées, laissent échapper
de nombreuses petites bombes de quelques dizaines de kilos seulement. Après
avoir lâché leurs bombes, les avions se livrent à une
véritable fantasia au dessus du camp et mitraillent les baraques à
bout portant, le bruit est effroyable, la terre tremble, fume et brûle...
Les mitrailleuses sont installées en position de DCA, l’un au
Riedgé l’autre à Plo Del May, volant très bas,
les bombardiers reçoivent du plomb, l’un d’eux accuse nettement
le coup, pétarade et s’éloigne à vitesse réduite,
un second stoppe brusquement ses moteurs et part en se délestant d’une
épaisse fumée noire. A 8 heures les avions reviennent; ils ne
sont plus que 4, les bombes sont pour le Riedgé, les mitraillages pour
Plo Del May ; un troisième bombardier est touché. En même
temps, à la Galaube le canon gronde et les feux de mousqueterie éclatent,
l’attaque de l’infanterie a commencé. Un troisième
bombardement a lieu vers 9h30 sur Plo Del May. Les camps sont détruits,
4 hommes ont été tués".
Char d’assaut
de la 11ème Panzer division à Castelnaudary
Crédit photo : Doc. Paul Tirand
La
Dispersion
L’infanterie et les blindés allemands ont encerclé les
camps et avancent inexorablement malgré l’héroïque
défense des maquisards. Les Allemands ont certainement mis en ligne
des forces considérables, des blindés, 12 à 1500 fantassins
lourdement armés (mitrailleuses), le groupe principal semble venir
du Sud par Saissac, St Denis, Lacombe. D’autres colonnes montent de
Revel et de Mazamet, les garnisons de Carcassonne et de Castres comptent chacune
4000 combattants... Avec ces moyens, les nazis occupent la Galaube, les chars
sont à Plo Del May ; devant cette situation dramatique, vers 16 heures,
Monpezat ordonne le décrochage général en direction du
Pic de Nore, en utilisant les camions, en passant même par Mazamet cependant
toujours occupée. L’opération réussit parfaitement.
Les combats du 20 juillet ont démontré la combativité
du maquis. Les pertes françaises sont très faibles : 4 morts,
les Allemands ont perdu 3 avions, 2 automitrailleuses, de nombreux hommes
(une centaine). Si les Allemands sont maîtres du terrain, le Maquis
n’a pas été détruit.
Les Allemands préparent une deuxième opération par l’installation
d’un état-major à Saint Ferréol et la disposition
de 4 divisions, dit-on, car on ne possède aucune précision chiffrée
d’origine germanique. Devant cette menace mortelle l’ordre de
dispersion est donné le 24 juillet : les groupes de maquisards gagnent
d’autres maquis dans les départements du Tarn, de la Haute Garonne
et dans les monts de Lacaune, d’autres au maquis de Picaussel, dans
l’Aude ; les moyens de liaisons entre ces groupes divers sont mauvais
ou inexistants ; le Maquis de la Montagne Noire a perdu son unité et
son efficacité.
C’est le 17 août que Monpezat essaie de regrouper ses hommes,
avec beaucoup de difficultés. Cette date marque le début de
la Libération et le départ désordonné des Allemands
vers la vallée du Rhône. De nombreux accrochages se développent,
au cours de l’un d’eux, des prisonniers du maquis sont fusillés
(26) par l’ennemi aux abois. Des combats acharnés ont lieu dans
la région de Saint Pons.
En septembre 44, les hommes du Corps Franc, avec d’autres groupes, forment
le premier bataillon de l’Aude ; d’autres s’engagent dans
la colonne Schneider qui sera incorporée dans la 1ère armée
française de Lattre de Tassigny; ils prendront part aux combats libérateurs
de l’Alsace (poche de Colmar) et de l’Allemagne du Sud en mai
1945.
Le Corps Franc de la Montagne Noire a écrit une courte, mais brillante
page de la Résistance française. Les historiens soulignent le
fait d’avoir rassemblé un nombre trop élevé de
combattants, ensuite d’occuper des camps fixes et immobiles, donc de
s’exposer à un encerclement par des forces ennemies toujours
supérieures ; ainsi le Corps Franc connut le sort tragique des gros
maquis du Vercors, des Glières, du Mont Mouchet, tous écrasés
et suivis de représailles sanglantes sur les populations civiles, tous
des échecs.
Malgré cela l’enthousiasme des jeunes Français de juin
44, des maghrébins de Salsigne, ceux de la Galaube ou du Plo Del Rey
ont écrit, avec leur fusil, une page poignante de l’histoire
de France.
18 août 2004, sur la route d’Arfons à la Galaube, dans
la forêt, une biche et son faon traversent la voie...
Le Corps Franc
de la montagne Noire
Stèle
du camp du maquis - Arfons
Crédit photo : Jacques Batigne
Jean
ODOL
(1)
Pour se rendre à Fonbruno : depuis Revel, prendre la route des Cammazes,
Saissac, Saint Denis, Lacombe, la Galaube, Fonbruno.
(2) Michel Goubet et Paul Debauges : "Histoire de la Résistance
en Haute-Garonne" - Milan 1986
Bibliographie
:
R. Mompezat : "Le Journal de marche du Maquis"
M. Goubet et P. Debauges : "Histoire de la Résistance en Haute
Garonne"
Jean
Odol : "Le Maquis de Saint Lys" dans revue R 4 n° 7 1979