Gens d'ici
Emile
Rivière, garagiste à Labastide-Beauvoir
Emile Rivière a exercé le métier de garagiste à Labastide-Beauvoir pendant un demi-siècle. Il nous raconte cinquante ans de passion dévorante pour la mécanique.
L’apprentissage
Emile Rivière est né à Labastide-Beauvoir en 1925. A
quatorze ans, il devient apprenti puis ouvrier dans deux garages de Baziège
et où il apprend le métier de mécanicien. Après
plusieurs années d’apprentissage, il est obligé de partir
pour quinze mois en Allemagne pour "la Relève" (*).
A son retour, en 1947, il vend sa moto et regroupe ses économies pour
s’installer à son compte à Labastide-Beauvoir. Une installation
de fortune : Emile n’a pas encore de local pour faire les réparations
et il travaille donc sur le trottoir devant son domicile. Très peu
de voitures passent à cette époque dans le petit village : une
quinzaine de personnes seulement dans la région possèdent un
véhicule. Emile travaille en fait essentiellement en réparant
les moteurs agricoles.
Emile Rivière
Crédit photo : Couleur Média
Le
premier garage
Ce n’est qu’en 1950 qu’il construit un garage et embauche
son premier employé. Puis il se marie en 1951. Les voitures commencent
à se banaliser et le garage voit passer tous les modèles : de
la Berliet 944, en passant par la Peugeot 201 sortie en 1929, et qui inaugure
la méthode d’appelation de Peugeot à trois chiffres avec
un zéro au milieu ; mais aussi de la Citroën C4 (modèle
de 1930) à la Rosalie B2, Renault Mona 4 ou autres tractions. Emile
est connu dans la région pour être le grand spécialiste
des moteurs V8 (huit cyclindres en V) : sa compétence et son sens du
commerce en font un professionnel reconnu et apprécié bien au-delà
des limites de Labastide-Beauvoir.
Il étend son activité en vendant des pièces automobiles
ou des véhicules sans exclusivité de marque. En 1968, il décide
de s’agrandir et ouvre une station-service. Jusque là, l’essence
était vendue dans des fûts de 200 litres placés en bord
de route à l’entrée du village. On venait avec son bidon
de cinq litres et il en coûtait 0,30 francs du litre. Emile ouvre alors
une station Caltex (pour Californie-Texas), une marque qui n’existe
plus aujourd’hui en France mais qui fait toujours partie de Chevron
Texaco, seconde société pétrolière aux Etats-Unis.
La Famille Rivière - 1970
Crédit photo : Emile Rivière
Pompe - 1967
Crédit photo : Emile Rivière
Un
demi-siècle d’évolution automobile
Emile a vu toute l’évolution de l’automobile sur 50 ans
: de l’apparition de la soudure autogène jusqu’aux dernières
évolutions mécaniques qui se sont accélérées
à partir des années 80. Il a connu les véhicules qu’il
fallait vidanger tous les 2000 kilomètres Emile a toujours investi
dans les dernières techniques qui ont largement contribué à
l’amélioration de son travail au quotidien. "Le premier
gonfleur de pneumatiques que j’ai acheté, explique-t-il en riant,
a constitué une évolution majeure dans la commune et l’on
venait s’émerveiller de pouvoir, aussi rapidement et avec peu
d’effort, gonfler un pneu récalcitrant". Il a pu aussi constater
l’évolution du statut de l’automobile. "Avant, explique-t-il,
la voiture était un bien précieux qui marquait le statut social
de son propriétaire et dont on prenait soin". Plusieurs de ses
clients, par exemple, dans les années 50, ne sortaient jamais la voiture
par temps de pluie de peur qu’elle ne se mouille. Les véhicules
étaient-ils plus solides pour autant ? Tout est relatif répond
Emile. A cette époque, on roulait à 60 km/h contre 130 aujourd’hui
: l’usure n’était pas la même !
Emile Rivière dans son garage
Crédit photo : Emile Rivière
Mécanicien
ou électronicien ?
Emile n’est pas passéiste mais il constate qu’aujourd’hui
pour "changer une ampoule, on est désormais obligé de démonter
la moitié de la voiture". L’apparition de l’électronique
dans les années 90 a certes apporté des améliorations,
notamment au niveau de la sécurité, mais a aussi fragilisé
le bon fonctionnement des véhicules. Les mécaniciens d’antan
ont été obligés de se reconvertir à marche forcée
en électronicien, seuls capables de dépanner un véhicule.
Ce sont ces évolutions et l’usure de longues heures en atelier
qui le poussent à céder son bail en 1978. Il revend donc son
garage et achète un taxi qu’il conduira pendant huit ans avant
de prendre une retraite bien méritée.
Sa grande fierté reste, encore aujourd’hui, d’avoir formé
de nombreux apprentis qui ont tous, souligne-t-il, occupé ensuite des
postes de chefs d’équipes et contremaîtres dans des garages
de la région.
Garage d’Emile Rivière
Crédit photo : Emile Rivière
La
passion de l’automobile
Mais sa passion de l’automobile a toujours dépassé le
simple cadre professionnel. Une preuve ? Il entend un jour un reportage sur
les 24 heures du Mans qui montre la Peugeot 905. Le bruit de cette voiture
est incroyable. Ni une, ni deux, il prend sa voiture et fait 700 kilomètres
uniquement pour vérifier de visu la puissance du moteur.
Emile vit aujourd’hui l’évolution de l’automobile
en simple spectateur : mais toujours passionné, il n’oublie pas
ses 50 ans de carrière dans le monde de la mécanique.
Pascal RASSAT
(*) "La Relève" : mesure adoptée en 1942 par le gouvernement de Vichy qui prévoit l’envoi de trois travailleurs français pour chaque prisonnier retenu en Allemagne. Elle sera remplacée en 1943 par le Service du Travail Obligatoire.