L'indispensable cassole
Le mot cassole est typiquement occitan et vient de "cassolo" (du latin catinum plat en terre creuset et du grec Kyathion écuelle, assiette en terre creuse et épaisse). Dans le dictionnaire languedocien - françois de Pierre Augustin Boissier de Sauvages édité en 1785 le mot cassolo désigne une grande terrine en terre cuite à 2 anses. Ainsi, conformément à ses origines anciennes, la cassole actuelle est un récipient en terre cuite de type grésale. Récipient à tout faire, la grésale, fabriquée en plusieurs dimensions répondait aux multiples usages domestiques. La cassole est "vernissée" à l'intérieur pour la rendre non poreuse.
Le palhassou et la cassole
Chimie et cassoulet
Après les diverses préparations préalables essentielles (confection d'un bouillon très élaboré, cuisson des haricots dans ce bouillon, préparation des viandes, de la saucisse…), le tout est impérativement disposé dans une cassole et mis à mijoter dans un four. C'est dans la cassole que s'opère le subtil mariage des différents ingrédients et que se fait le cassoulet. Comme pour toute autre préparation culinaire, c'est la transformation des ingrédients au cours du chauffage qui conduit aux composés savoureux recherchés pour leurs arômes et leurs goûts spécifiques. Cette transformation implique notamment des réactions chimiques des différents constituants entre eux ou avec l'oxygène de l'air. Ainsi la cassole est un véritable creuset de chimiste. Le cassoulet est probablement l'un des plats cuisinés les plus complexes, compte tenu de la grande diversité des ingrédients, des viandes (plusieurs types), des légumes (haricots et divers autres légumes dans le bouillon de cuisson des haricots) et des épices... Toutes les transformations indispensables pour le développement des arômes et bonnes saveurs sont très lentes, se produisent à des températures modérées et demandent à être conduite avec douceur ; les cordons bleus du Lauragais sont des "chimistes moléculaires accomplis".
Croûte du cassoulet
La forme de la cassole, tronconique à large ouverture et à base étroite, offre une grande surface libre au contact de l'air. Cette forme favorise les réactions à sa surface au contact de l'atmosphère chaude du four, auxquelles participent notamment les différents types de graisses (canard, oie, porc) . Les composés naturels bruns et goûteux créés conduisent à la formation de la belle croûte dorée ou rousse, typique du cassoulet. Les recettes ancestrales conseillent de rompre la croûte plusieurs fois (7 fois selon la tradition) et de la laisser se reformer ; on évite ainsi le phénomène d'épaississement de la couche qui ralentit les réactions de surface au contact de l'air. La croûte "enfoncée" dans le cassoulet lui communique par ailleurs son bon goût et sa couleur brun doré ; point n'est besoin de tomate pour donner une belle couleur au cassoulet. La nature de l'atmosphère du four plus ou moins chargée d’arômes provenant du combustible utilisé pour le chauffage du four intervient aussi sur les réactions de surface ; au temps jadis, le four du boulanger chauffé au bois d’ajonc (fagots) faisait merveille ; les ajoncs étaient cultivés dans la Montagne Noire toute proche.
L'ajonc en fleur Le bois de l'ajonc servait à chauffer
le four du boulanger
Des tours de main transmis de bouche à oreille
Certains ajoutent un peu de tomate ou du jus de tomate et d'autres un filet de vinaigre...à chacun son tour de main ; ces ajouts qui agissent sur l'acidité du milieu, modifient certainement la nature et la vitesse de formation des composés goûteux, en bien ou en mal. La qualité de l'eau utilisée pour la cuisson des haricots, pH et dureté, influence la cuisson des haricots ; il est bien connu que les eaux pures et légères comme celle de la Montagne Noire conviennent mieux pour la cuisson des haricots que les eaux dures chargées en calcium (eaux calcaires, eaux de puits..). L'acidité et la teneur en calcium du milieu intervient en effet dans le mécanisme complexe de dégradation des parois végétales pendant la cuisson ; en renforçant (établissement de liaisons chimiques avec les ions calcium qui perturbe la cuisson) ou en affaiblissant la cohésion moléculaire, ces facteurs agissent sur l'amollissement des haricots.
La cassole et les potiers du Lauragais
La fabrication de cassoles
Contrairement au métal, très conducteur de la chaleur, la terre cuite de la cassole a un caractère isolant (barrière thermique) qui favorise la cuisson lente et la répartition uniforme de la chaleur au sein du plat en évitant les surchauffes locales notamment contre la paroi (fond du plat au contact de la sole surchauffée).
Véritable creuset à réactions allant au feu, la cassole présente la nécessaire propriété de pouvoir supporter sans risque de fêlure la chaleur du four ou de la cheminée.
Ce sont les potiers du Lauragais et au tout début ceux d'Issel dès le XIVème siècle qui fabriquent les cassoles ; ils ont contribué à leur manière au développement et au renom du cassoulet. Même si l'activité céramique date de plus de 2000 ans en Lauragais, il a fallu tout le savoir faire et le génie des maîtres potiers de l'époque pour maîtriser les propriétés des différentes argiles, les techniques de cuisson adaptées et la fabrication des cassoles allant au four. |
En effet, les propriétés des argiles dépendent de la nature et de la proportion d'impuretés qu'elles contiennent. La terre argilo - calcaire (marne) du Lauragais contenant du carbonate de calcium n'est pas sans poser de problèmes pour la fabrication de cassoles.
Après cuisson des argiles calcaires communes du Lauragais, à l'échelle microscopique, les composés du calcium formés autour des grains du constituant principal (silicate d'alumine) fragilisent la structure lorsqu'elle est soumise à de brusques variations de température (chocs thermiques). Les potiers surent maîtriser la cuisson de ses argiles (température) et la technique de fabrication des cassoles en mélangeant l'argile commune du Lauragais à des argiles réfractaires non calcaires silico-alumineuses (carrières d'Issel, de Saint Papoul, de Revel..). Ce n'est pas par hasard que la pre-mière mention de potiers concerne le village d’Issel : on y trouve de l'argile particulièrement apte à faire d'excellentes cassoles. |
Aimé Not confectionne une cassole |
Le cassoulet mijoté dans le four du boulanger
Les plus anciens se souviennent avec nostalgie des cassoulets que les ménagères portaient au four du boulanger ; elles le ramenaient en le tenant à pleines mains dans un coffin de paille et de ronce (palhassou) pour ne pas se brûler ou enveloppé dans une serviette épaisse en guise de manique. A Castelnaudary, ils se souviennent aussi du charreton à bras du restaurant Fourcade rempli de cassoulets à raz bord que l'on descendait par la rue des Carmes, une fois par semaine jusqu'au four chauffé aux ajoncs de la boulangerie Caldairou 23 place de la République, pour être enfournés façon boulanger, à la pelle à pain.
Four de la boulangerie Caldairou
dans les années 50 à Castelnaudary
Le pays du cassoulet
Les très excellents haricots cuisinés sont à l'honneur sur toutes les tables depuis le grand Toulouse jusqu'à Carcassonne. Le Lauragais et en particulier la région toute proche de Castelnaudary capitale mondiale du cassoulet, possède dans sa tradition culinaire familiale le cassoulet élaboré selon les règles de l'art : mijoté et servi dans la mythique cassole.
Lucien ARIES
Bibliographie : Le cassoulet de Castelnaudary - F . Falcou - Editions Loubatières 1986
Les poteries culinaires lauragaises - Odette Bedos
Couleur Lauragais n° 25 septembre 2000
A la découverte de la gastronomie lauragaise - Jean Odol
Couleur Lauragais n° 43 juin 2002
Crédit photos :Couleur Média
Couleur Lauragais n°66 - Octobre 2004