Histoire
Le commerce du pastel et de l’épicerie d’environ 1450 à 1561 - Les zones productrices
Les documents agricoles faisant défaut, c’est aux textes commerciaux que nous demanderons de nous éclaircir sur les lieux de culture du pastel. On peut supposer qu’à la fin du XVème siècle, le Pastel gagna la Haute-Garonne entre Toulouse et Noé ; il est certain qu’on le cultivait après 1530 autour de St Sulpice de Lézat ; les champs pastelliers de Roquette et de Portet ne faisaient qu’annoncer tous ceux que l’on pouvait voir en remontant la Vallée de l’Ariège, adonnée aux coques depuis longtemps. Des documents attestent la culture du pastel à Clermont, le Vernet, Venerque, Calmont et Mazères. Le pastel se cultive aux creux de la plaine de l’Hers qui suit la route narbonnaise sur terrain plat et dans le tronçon entre Toulouse et Castelnaudary. On retrouve les mêmes lieux producteurs : Montlaur, Montgiscard, Ayguesvives, Montesquieu Lauragais (an-ciennement Montesquieu sur le Canal) et Gardouch. Le pastel escalade le bord de la vallée, pousse déjà des pointes en plein pays de collines, à Caraman et Lanta, qui seront bientôt deux de ses centres principaux. Mais le Lauragais, c’est aussi le bloc de terrefort, découpé en mille collines entre l’Hers et le Girou, sur les bords de cette rivière un village, Loubens Lauragais, le rappelle très justement.
Champ
de pastel dans le Lauragais
Crédit photo : Jacques Batigne
La culture du pastel
Feuilles de pastel Crédit photo : Jacques Batigne |
Pastel en fleur Crédit photo : Jacques Batigne |
Le pastel est une plante qui vit un an et demi environ : semé en février
ou mars il pouvait, si on le laissait suivre son existence normale, traverser
l’hiver pour fleurir en mai, juin et grainer. Mais les paysans n’accordaient
ce plein développement qu’à quelques parcelles destinées
à fournir la semence. Le pastel de teinture était récolté
très jeune, à l’âge de quatre mois environ. En 1554
et 1558, des baux ruraux placent à part un arpent de graines de pastel,
des vieux plants de l’année précédente qu’on
avait sauvés pour en obtenir la semence. Ces feuil-les vert-bleu étroites
ne mesurent aujourd’hui qu’une dizaine de centimètres.
Les quelques plants que les paysans laissaient grainer projetaient hors du
bouquet des feuilles oblongues, une forte tige de 40 à 140 centimètres
garnies de feuilles toutes différentes. Le pastel trouvait au XVIème
siècle, dans le Lauragais une terre certainement meilleure qu’aujourd’hui.
Le sol peut-on croire fut lessivé depuis par des précipitations
accrues de 1820 à 1880 par la rotation blé-maïs qui fit
gloire du pays toulousain. On doit éviter de faire pousser continuellement
du pastel sur le même champs. Cette plante épuise le sol et une
récolte de pastel doit être suivie par une année de jachère,
pendant laquelle on fait paître du bétail, qui engraisse la terre
de ses déchets. Puis vient un an de culture avec une récolte
abondante car elle bénéficie d’une terre très travaillée
auparavant pour le pastel. Les champs destinés à celui-ci sont
en effet labourés profondément à trois reprises, et même
jusqu’à six fois dans tous les sens. Suit une préparation
de surface, les mottes sont brisées avec des mailles en bois, la terre
complètement défaite avec une houe à deux dents. Au XVIIème
siècle, dans le Midi de la France, le pastel était soigné
comme une plante potagère. Mais au Moyen Age et dans les cultures étendues
la fumure ne pouvait pas être d’usage général, c’était
là, on le sait, la faiblesse principale de l’agriculture ancienne.
On devait utiliser de préférence un fumier vieux d’un
an. Le fumier frais contient de nombreuses graines qui n’ont pas le
temps de pourrir et il infeste le champs de mauvaises herbes. Sur un sol préparé
venaient les semailles. Parmis les procédés de nettoyage, l’un
semble basé sur le fait que la graine du pastel est très lisse,
vêtue de laine, c’est à dire d’un vêtement
pelucheux ; la trieuse secoue les graines accrochées. Après
le nettoyage, toutes les graines de pastel n’étaient pas admises
à servir de semences, on les triait une par une en choisissant les
plus noires. Il fallait les conserver à l’abri de la chaleur
et de l’humidité. Le moment des semailles approchant, certains
éveil-laient la graine en la faisant macérer dans un mélange
d’eau et de fumier de boeuf. La graine de pastel supportait bien le
froid du plein hiver. Le pastel de printemps rapportait beaucoup plus : chacune
de ses récoltes était trois ou quatre fois supérieure
à celle du pastel primeur et on en faisait au moins deux successivement
et parfois quatre. Dès que le pastel sort de la terre, la lutte contre
les mauvaises herbes commence, elle se fait à la main et ne connaîtra
aucun répit jusqu’à la fin des récoltes. Des foules
entières sont constamment occupées à désherber
; on voit dans un seul champs une troupe de vingt personnes penchées
sur le travail. Il y a là toute la main d’oeuvre à bon
marché, journaliers, femmes peu robustes, jeunes filles, enfants de
pauvres. En effet, le pastel ne se récoltait pas en blocs comme les
céréales, tous les plans ne mûrissaiant pas au même
moment. Le travailleur muni d’une faucille courte et progressant à
genoux examinait chaque pied de pastel pour ne couper que les rosettes parvenues
à maturité (voir dessin). On les connaissait facilement, alors
qu’à l’état normal la feuil-le du pastel est de
couleur vert-bleu, la rosette qu’il fallait récolter commençait
à devenir jaune et tombante. Il s’agissait donc d’une cueillette
avec choix, comme le coton ; un désherbage suivait. On faisait ainsi
trois ou quatre cueillettes et quelques fois plus. Dans le Midi de la France,
on procédait autrement. On mentionne cinq récoltes, la premières
vers la St Jean, la deuxième en juillet, la troisième en août,
la quatrième fin septembre et la cinquième vers le 7 novembre.
Pastel en rosette |
Pastel monté en fleur |
L’industrie
du pastel, les coques
Les cueilleurs de pastel allaient de temps en temps vider leur panier à
l’extrémité du champs, où se formait un grand tas
de feuil-les. Celui-ci ne devait pas subsister plus de quelques heures, sinon
il risquait un pourrissage. Quand on ne pouvait pas enlever le tas avant le
soir, on l’étalait pour la nuit. En les maniant à la fourche
on les plaçait sur un char qui se dirigeait vers le ruisseau le plus
proche, un homme engagé dans l’eau y remuait un moment les feuilles,
qu’un grillage de bois ou un filet empêchait d’être
emportées par le courant. Elles étaient ensuite séchées
sur le pré ou des travailleurs munis de râteaux les étendaient,
puis les retournaient à plusieurs reprises. On avait évidemment
intérêt à ce que le séchage fût rapidement
obtenu car la petite faune du sol dévorait la verdure ainsi exposée.
Aussitôt que les feuilles étaient propres, elles étaient
portées au moulin pastelier. Il y avait des moulins bladiers (moulins
à blé) qui les distinguent des moulins pasteliers. En effet,
la plupart des contrats envisagent strictement le moulin pastelier sous l’angle
juridique, il s’agit de savoir comment seront répartis les bénéfices
et les frais. Le moulin à pastel était utilisé par tous
les voisins, moyennant une redevance qui devait probablement consister en
une portion du pastel moulu. Logiquement, le métayer qui prenait une
exploitation comprenant un moulin devait reverser au propriétaire la
moitié des profits. Mais on discutait pour savoir si l’entretien
retomberait sur le maître ou sur le tenancier. Ces moulins ne servaient
pas seulement à écraser les feuilles, mais plus tard à
broyer les coques, opération suivies par une putréfaction dirigée
du pastel. L’hygiène toulousaine, avait tout à gagner
à ce que les diverses préparations du pastel se fissent loin
de la ville. Les habitants du Lauragais ne pouvaient se dérober : un
moulin à pastel répandait ses effluves dans la grand’rue
de Beauteville ; il y avait un autre moulin à pastel à Baziège,
et en pleine campagne, le moulin était accolé à la maison.
La ferme comprend ordinairement : une maison, un ort (un jardin), une yère
(un sol), une botique c’est à dire une boutique qui servait à
stocker les coques ou à faire pourrir le pastel et souvent un moulin
pastelier. Les feuilles récoltées ne pouvaient pas attendre
très longtemps. Il fallait donc pouvoir mettre en coques le pastel
au jour le jour et à volonté, ce qui écarte l’usage
du moulin à vent. Quand aux ressources hydrauliques, elles sont faibles
en Lauragais, or quelques rivières avares tombent en ruisseaux précisément
à l’époque des cueillettes. Ceux-ci étaient donc
mus par des animaux et le moulin à force animale appartient généralement
au type de la meule roulante ; autour d’un poteau central tourne un
rayon horizontal sur lequel est fixé une meule ronde, dressée
sur tranche, tirée par l’animal ; elle roule dans une rigole
circulaire où se trouve le produit à broyer. Des hommes jetaient
la feuille sous la meule et un autre suivait l’action de plus près
rectifiant la position du pastel dans la rigole, s’adaptant au travail
du moulin. On voit le danger de ce poste, outre qu’il est toujours périlleux
de se trouver à proximité d’une grosse masse en mouvement
violent, cette évolution giratoire peut provoquer un vertige, quelquefois
l’homme tombait sous la meule. Les feuilles du pastel se voyaient donc
réduites en bouillie, le but premier de l’opération était
d’éliminer l’eau, de faire une conserve par séchage.
L’autre motif était de donner au pastel une présentation
commode pour le transport et les transactions ; une fois la pulpe égouttée
devenue assez ferme, on la formait en balles avec la main. Les boules obtenues
appelées coques ou coquagnes dans le Midi avaient des dimensions variables
mais toujours réduites du fait de leur origine manuelle. Les plus petites
devaient être grosses comme le poing, les plus grandes pouvaient difficilement
dépasser quinze centimètres de diamètre. Ce modelage
des boules, travail léger, occupait la main d’oeuvre féminine.
La pâte pouvait se dessécher jusqu’au durcissement total
à condition que les coques fussent exposées aux courants d’air,
sur une seule couche et sans se toucher. Pour cela, on les rangeait sur claies
horizontales, superposées. Ce séchoir, par crainte des orages,
était souvent couvert d’un large toit. Le séchage des
coques prenait une qunzaine de jours. Une bonne coque était lourde
noire à l’extérieur. Brisée, elle montrait un intérieur
sombre, qui frotté sur du papier ou un mur blanc, laissait une traînée
verdâtre continue ; les mauvaises coques ne donnaient que des touches
irrégulières, ou même ne laissaient aucune trace. Ces
coques dures circulaient avec facilité. On pouvait les stocker en tas,
les empiler dans des sacs et des chars, les compter dans le marché
(l’unité de vente était en Lauragais le Cent-de-Coques).
Mais le pastel en boules n’est pas apte à la teinture, la "mèse
en coquagnous" n’est qu’une commodité physique, de
même qu’aujourd’hui la compression de la paille en balles
parallèlépipédiques.
Coque de pastel, crayons ou craies
de fleurée de pastel, graines et siliques (gousse) de pastel
Crédit photo : Jacques Batigne
Préparation
chimique : la fermentation
Les coques devaient subir pour donner le produit tinctorial une préparation
chimique longue et difficile. Elles étaient brisées, écrasées
; à ces granules on mélangeait de l’eau croupie et la
pâte obtenue était vite attaquée par les bactéries.
On pourrait imaginer qu’une telle matière était travaillée
dans les cuves. Mais il semble plutôt que la préparation chimique
se faisait à même le sol, pavé de briques du magasin,
ceci permettant de remuer plus facilement la pâte. La poudre grossière
était entassée au centre avec un espace libre pour la circulation
des ouvriers. Puis on humectait. La bouillie était remuée en
la changeant de place, la jetant à pelletées d’un côté
du magasin à l’autre. Il s’agissait donc d’une pâte
consistante, capable de rester en tas, même pendant la modification
chimique. La préparation consiste dans la fermentation continue presque
jusqu’à la putréfaction ; le pastel s’échauffe,
fume ; la bouillie crépitante de bulles exhalait une odeur ignoble
et des vapeurs nocives. Aussi la préparation n’avait-elle jamais
lieu dans Toulouse, mais à l’air libre du Lauragais. Tout l’art
consistait à contrôler et à réduire la fermentation
qui devait être assez forte pour oxyder le sucre des feuilles (car le
produit colorant se dégage par élimination du glucose), mais
ne pas dépasser ce stade, faute de détruire ensuite le colorant
lui-même. Aussi, au début, quand on humectait la poudre, il fallait
veiller à mettre une quantité correcte d’eau croupie :
le pastel qui avait poussé par temps sec ou qui était livré
en coques très sèches ne supportait que peu d’eau, le
pastel humide devait être plus largement arrosé. La fermentation
commencée, il fallait selon le cas l’accélérer
ou la ralentir. Lors d’hivers exceptionnellement durs, le froid pouvait
arrêter le pourrissement. Pour le faire repartir on enfouissait dans
le tas de paste (pâte) un pot garni de charbons ardents. La fermentation
pouvait s’accélérer en arrosant la pâte avec de
l’urine humaine que l’on collectait soigneusement à cet
effet. Un autre moyen était d’incorporer à la pile du
vieux pastel de l’année passée qui gardait des ferments.
Les réactions chimiques terminées, la pâte se dessèchait
peu à peu tandis que l’on continuait à déplacer
les piles. Celles-ci prenaient donc progressivement l’aspect de tas
de cailloutis. Un criblage éliminait les morceaux trop gros, on les
pillonnait en poudre grossière que l’on remettait en tas, retournés
plusieurs fois jusqu’à séchage complet. De la coque au
pastel préparé se produisait une perte de volume et de poids
: il fallait environ 400 coques pour obtenir cent kilogrammes d’agranat,
c’est à dire de produit industriel utilisable par les teinturiers.
On peut imaginer l’aspect de cet agranat. D’abord il offrait une
couleur très sombre. On appréciait d’autant plus le pastel
qu’il était noir et les fraudeurs l’assombrissait en mêlant
à la pâte en fermentation des écorces vertes de noix.
Quand à sa consistance, le pastel définitivement prêt
pour le commerce était un produit finement granulé. Au XVIème
siècle, la préparation chimique du pastel durait quatre mois.
Boule de cocagne
Crédit photo : Jacques Batigne
Le
ramassage : l’achat anticipé
L’acquisition du pastel sur pied était peu pratiquée des
marchands toulousains, sans doute parce que cette opération très
proche du paysan regardait des collecteurs locaux. Deux cas peu éloignés
(1528 et 1535) et d’une similitude rassurante donnent quelques idées
du procédé. Moyennant des arrhes non négligeables, "100
livres", le laboureur promet de vendre au seul bénéficiaire
toute la feuille qu’il récoltera, soit jusqu’à la
date limite, soit jusqu’à la fin de la saison. Le prix de vente
n’est nullement fixé à l’avance, on s’accordera
de jour en jour, selon les cours. On passe le contrat en juin c’est
à dire au moment où commencent les cueillettes. Il ne s’agit
pas d’une mesure dès le mois de juin, mais d’un dernier
expédient au milieu d’une "mamine" monétaire
comme on n’en avait pas vu paraît-il de mémoire d’hommes.
On a donc l’impression que vers 1560 les grossistes toulousains laissaient
en temps normal à d’autres groupes sociaux la technique d’achat
sur pied. Les marchands toulousains avaient toutes leurs propriétés
à la campagne, ils pouvaient les agrandir par l’achat de parcelles
mitoyennes ou par des échanges. Il fallait donc gagner le bon vouloir
des paysans voisins ou obtenir contre eux un moyen de pression. Chose facile
au XVIème siècle, où l’endettement paysan exerce
des ravages redoublés. D’une manière ou d’une autre,
le but à atteindre restait toujours le même, contrôler
assez la collecte du pastel pour ne pas payer trop cher la certitude d’être
fourni correctement en volume et en quantité.
Maurice
REICHARD
Montgeard (31)
Les
lieux d’achats de pastel attestés de 1540 à 1565 Les
lieux d’achats du pastel attestés de 1515 à 1540 |
Couleur Lauragais N°60 - Mars 2004