Le Lauragais producteur de textiles
Maison
de Tisserand
Crédit photo : Odette BEDOS
Cycle
vestimentaire
Les gens des campagnes fournissaient la matière première aux
tisserands de village qui fabriquaient les pièces de tissu avec lesquelles
tailleurs d’habits et lingères confectionnaient jupes (coutilhous),
corsage (casabets), chemises (camisos), "vêtements de dessous",
linge de maison (toualhos d’oustal) et draps (lansols) pour les trousseaux
de mariés (nobis). Le chanvre plus rude et plus grossier donnait la
toile pour les paillasses, les rideaux de lit. Avec l’étoupe
du chanvre, le cordier faisait les "torons" des câbles, des
cordes et des longes ("juillos" et "courdils") pour attacher
les jougs des bœufs.
Préparation
des fibres
Arrivées à maturité, les bottes (massous) de lin et de
chanvre étaient soumises au teillage qui avait pour but de faire pourrir
l’écorce ou teille renfermant les fibres textiles. On les mettait
à tremper au bord d’un ruisseau afin de provoquer la fermentation
butyrique. Cette opération s’appelait aussi rouissage. On procédait
ensuite au barguage qui consistait à hâcher les fibres afin d’obtenir
la filasse que les femmes filaient au rouet(1) (lé biroulét)
lors des veillées.
Un rouet
Temps de tisserand
Le tisserand de village était surnommé "lé Pierrou
de las ficellos". Il y avait le tisserand de toile, tissant le lin et
le chanvre : le tissaïre de telo, et le tisserand de laine ou "cadissaïre",
tissant les "lanuds"(cadis, burat, cordélat droguet et rase).
Les préparatifs du tissage étaient très longs. La mise
en place des fils de chaîne sur l’ensouple ou ourdissage demandait
de la minutie et du temps. Il fallait tendre 200 fils de chaîne (4 fils
au cm).
La fabrication d’un mètre de tissu exigeait environ trois heures.
Le tisserand passait plus de seize heures par jour devant son métier
à bras. Il devait à la fois presser sur les pédales de
sa machine afin d’actionner les lisses (fils de trame) et lancer la
navette (la naouetto) de ses mains agiles. L’effort commençait
au petit jour afin de profiter de la lumière. Il ne cessait qu’à
la tombée de la nuit.
L’échoppe
abritait le métier à bras (outil de travail)
L’encombrante mécanique occupait une bonne partie de sa modeste
maison envahie par les odeurs de cuisine, de feu de bois et de fibres végétales.
Le tisserand était obligé d’entasser dans les coins les
pelotons de filasse et les pièces de tissu enroulées. Les enfants
vivaient à l’étroit dans cet atelier.
Un métier à bras
extrait de l’Encyclopédie "Faites tout vous-même"
Une
officine ouverte à tous
Bien que travaillant seul, le tisserand avait de nombreux contacts avec la
population. C’est dans sa boutique que les nouvelles se propageaient
de bouche à oreille.
Au XIIème siècle, les tisserands jouèrent un rôle
important dans la diffusion de la religion cathare.
Conscience
professionnelle
Contrairement au dicton calomnieux : "Cent mouliniés, cent tissaïres
et cent talhurs soun très cent boulurs" (cent meuniers, cent tisserands
et cent tailleurs, sont trois cents voleurs), un tisserand de village n’était
pas malhonnête. Il devait rendre à son client un poids de tissu
égal au poids de fibres apporté, compte tenu d’une légère
perte. Si toutefois la différence de poids était trop importante,
le pauvre ouvrier était passible d’une amende.
Au fond, on voit un champ de chanvre
A gauche, dans l’eau, le chanvre rouit - A droite, on écrase
les tiges rouies.
Les
mesures en usage
L’aune canebassière valait environ 1m18, l’empan valait
de 22 à 24 cm, et le pouce valait 27 mm07.
Particularité
La largeur de la pièce de tissu réalisée correspondait
aux dimensions du métier de l’artisan. C’était un
lès.
Pour faire un grand drap de campagne, il fallait deux lés que la lingère
ajoutait en surjet à la couture médiane.
Mode
de vie familial
Rompant avec les usages des familles lauragaises, à cause du manque
de place et de l’exiguïté de sa demeure, cet artisan, (ménestral)
ne pouvait "vivre à même pot et feu" avec ses enfants
mariés.
Les fileuses (quenouille - fuseau et dévidoir)
Mini-généalogie
d’un tisserand de tradition
(Source : Registres Paroissiaux de Trébons et minutier du notaire Soulages)
Etienne ASTRIC 1633-1693) est tisserand En Ferréol (*)
En 1654, il épousa Marguerite Capelle, originaire du village voisin.
Ils eurent 5 enfants : 3 garçons et 2 filles (dont l’une décédée
jeune)
- L’aîné Guillaume, marié en 1685, succède
à son père qui lui cède son atelier. Les vieux parents
se retirent chez leur fille, mariée en 1690, à un laboureur.
- Le cadet Jean, marié en 1698, sera Tissandier dans le village de
son épouse.
- Le puîné Antoine marié en 1690 "vivra à
même pot et feu" avec ses beaux-parents, cultivateurs à
Coulassou.
En 1760, un dénommé Etienne ASTRIC est tisserand "En Ferréol"
(2).
Moins de cent ans après le décès de l’aïeul,
un descendant perpétuait ainsi la tradition familiale.
Les
autres utilisations des matières premières
L’huile de lin était utilisée comme médicament
(laxatif). La farine, cuite en bouillie et saupoudrée de moutarde servait
à préparer des cataplasmes révulsifs pour les maladies
des bronches. Les graines de chenevis ("canabous") activaient la
ponte. L’huile de chanvre obtenue par le "presseur d’huile"
dans le "moli de l’ôli", était utilisée
pour l’éclairage dans les lampes à huile ("calels").
L’huile de chanvre soulageait les maux de reins.
Texte
et illustrations : Odette BEDOS
1.
Le "rouet" : machine en bois, pourvue d’une roue et actionnée
par une pédale qui servait autrefois à filer la laine, le lin
et le chanvre
2. Le masage d’En Ferréol est aujourd’hui le hameau de
la Roque (nom d’un notable et consul d’Esquilles, Thomas La Roque,
époux de Demoiselle Expert)
Couleur Lauragais N°59 - Février 2004