Histoire
L'abbaye de Villelongue, ordre de Citeaux
Croquis d'orientation, sans échelle :
Saint
Bernard et l’ordre de Citeaux
On
a dit et redit que la société médiévale était
composée de trois catégories d’hommes : les paysans assurent
par leur travail la nourriture de tous, les chevaliers défendent la
société par les armes et les clercs obtiennent le salut éternel
de tous par leurs prières. Les clercs étaient divisés
en deux groupes différents : ceux qui sont dans le monde (curés,
chanoines, évêques) appartiennent à l’Eglise séculière
et ils sont chargés du soin des âmes des fidèles. Hors
du siècle, les moines constituaient l’Eglise régulière
: ils prient et célèbrent le culte divin. Les moines suivent
la Règle établie par Benoît de Nursie au 6ème siècle
après J.C et reprise par Benoît d’Aniane, d’où
leur appellation de Bénédic-tins. Sous la direction d’un
abbé, les moines résident dans un monastère où
ils respectent les trois voeux de pauvreté, chasteté et obéissance
; le monastère comporte une église pour prier, un cloître
pour méditer, des locaux pour se nourrir et dormir, une bibliothèque
pour lire et écrire. Ce dernier élément est très
important pour la progression culturelle car seuls les moines savent lire
et écrire dans une société d’analphabètes.
Saint
Bernard
C’est
à Citeaux, près de Dijon, que Robert de Molesme fonde un ordre
religieux nouveau : l’Ordre de Citeaux. Saint Bernard quitte Citeaux
pour fonder l’abbaye de Clairvaux et souhaite, par la Règle qu’il
dicte, revenir à l’idéal de pauvreté de Saint Benoît.
Il est l’un des plus grands esprits du 12ème siècle. Il
prêche la seconde Croisade (1147) ; il écrit la Charte de fondation
des Templiers. Le succès cistercien est spectaculaire : à la
mort de Saint Bernard (en 1153) plus de 700 monastères sont dispersés
dans toute l’Europe. Dans notre région, il faut connaître
et découvrir la merveilleuse architecture des principales abbayes cisterciennes
: Silvanès ( dans l’Aveyron), Bonnefont (près de Saint
Gaudens), Flaran (près de Valence sur Baïse, dans le Gers), Valmagne-Vignogoul
(près de Montpellier). En Provence : Sénanque, Silvacane, Le
Thoronet, l’Escale-Dieu, Belloc, Rieunette (des femmes), Fontfroide
(10 km à l’Ouest de Narbonne), Boulbonne : le premier monastère
est au Sud de Mazères, le second à Tramesaygues-Cintegabelle,
enfin Villelongue, dans son "désert" au milieu des forêts
: il en est toujours ainsi.
Villelongue : tête d'homme renversé
Un
monastère cistercien
Nous
donnons un plan de monastère cistercien type : tous en effet se ressemblent.
Le cloître en est le coeur, puis une bibliothèque (ou scriptorium),
la salle du chapître, l’aile des moines avec le dortoir, le chauffoir
(seule pièce chauffée du monastère), le réfectoire
et la cuisine, le cellier (des tonneaux mais aussi réserves de grains
et de viande salée). Dans l’aile des convers vivent des moines
travailleurs qui mettent en valeur les terres du monastère. Ils se
distinguent des "moines de choeur" et vivent séparément
; une partie de l’église leur est réservée ; ils
sont d’origine paysanne alors que les autres moines sont presque toujours
nobles.
Villelongue : chapiteau
L’art
cistercien
L’art de Citeaux est exceptionnel par son austérité, sa
simplicité, un dépouillement total, "la chapelle de Citeaux
était belle par tout ce qu’elle ne renfermait pas". Donc
une architecture avec des piliers massifs soutenant une voûte romane
ou gothique sur croisées d’ogives, mais pas de sculptures, pas
de peintures, pas de tableaux, pas de statues, pas de chapiteaux historiés,
pas de vitraux aux vives couleurs. Des murs de pierre nus ; donc est banni
tout ce qui peut distraire les moines de la prière ; la vie se déroule
dans un silence absolu, sauf les cantiques et le chant grégorien. Les
plus belles églises cisterciennes sont, à notre avis, celles
de Fontfroide et de Flaran.
Histoire
abrégée de Villelongue
C’est
en 1149 que quelques moines venus du monastère de Bonnefont en Com-minges
s’installent dans la Montagne Noire, au milieu des bois, à Compagnes,
près de Saissac, entre les vallées du Sor et du Lampy ; il reste
encore de cette première installation des ruines et des noms dans la
toponymie : "la grange" (c’est le nom d’une ferme, bâtiments
et terres, dans le vocabulaire cistercien). A Compagnes, les conditions climatiques
sont très dures, avec de très nombreux brouillards hivernaux
; les moines décident alors de se transporter vers le Sud, en un terroir
plus accueillant, près de Saint Martin Le Vieil, dans une forêt,
au lieu dit Saint Jean de Villelongue, vers 1160, autour d’une vieille
chapelle et d’un hameau. C’est vers 1180 (d’après
Chauvin) que commence la construction du monastère actuel.
Pendant la Croisade contre les Cathares (1209-1229) le monastère est
très favorable à l’invasion croisée et à
Simon de Montfort, à l’inverse du monastère bénédictin,
et voisin, de Saint Papoul. Les abbés de Villelongue sont très
actifs et participent à la Croisade ; en 1210 l’évêque
de Carcassonne remet la moitié des dîmes de Saint Martin le Vieil
à la communauté. De nombreux offices sont célébrés
pour le repos de l’âme de Simon de Montfort. L’abbaye est
récompensée par l’attribution de terres, de propriétés
confisquées aux cathares ; et ainsi se constitue un immense patrimoine,
terres et bois, des milliers d’hectares. En 1790,(meme image mais sur
l autre colone)après de nombreuses ventes, ce patrimoine était
encore égal à 1000 hectares (pour 3 moines).
La Peste Noire de 1348 porte un coup très dur aux moines qui disparaissent massivement ; beaucoup de terres sont en friche. Le déclin s’aggrave au 16ème siècle avec une diminution sensible des vocations ; les abbés sont désignés par le roi et non plus élus : ils sont à la tête de l’abbaye pour en percevoir les revenus. Pendant quelques temps Villelongue s’empare des terres de Rieunette, une abbaye de moniales cisterciennes au Sud de Carcassonne. Le monastère court à la ruine et en 1790 il est nationalisé c’est à dire confisqué et vendu. Le 26 mars 1791 il est adjugé pour 53 300 livres à Guillaume Boussac, médecin à Saissac ; les deux "ci- devant "religieux" quittent les lieux.
Le
dépeçage lamentable commence immédiatement ; tout est
vendu, d’abord le mobilier, puis l’église est démolie
partiellement et les matériaux dispersés : ainsi disparaissent
les trois ailes du cloître, on se débarrasse des colonnes, des
chapiteaux.
Au début du 20ème siècle un propriétaire conservateur
fait classer les restes comme Monument Historique ; ils sont ainsi protégés.
En 1965 Villelongue est achetée par le docteur André Eloffe
qui entreprend une oeuvre admirable de restauration ; ainsi sont dégagés
et reconstitués le réfectoire, le cellier, la salle du chapitre
; l’église est consolidée. Madame Eloffe continue de diriger
ces travaux ; ainsi un chantier est en développement dans l’église
: je remercie ici Mme Eloffe qui nous a accueillis en septembre 2003 et qui
nous a montré de magnifiques peintures, non encore présentées
au public.
Villelongue : les peintures
Ce
qu’il faut voir
Le
réfectoire est une nef unique
divisée en trois travées carrées de 7,40 m de côté
; au Sud un oculus et trois fenêtres abrasées, des colonnes avec
chapiteaux à feuillage. La cuisine a conservé le passe-plat.
Le chauffoir est la seule pièce du monastère chauffée
où l’on rase tous les mois les moines et ou l’on graisse
les chaus(debut de la meme image haut de colone)sures ; cette pièce
ne se visite pas. Le cloître mutilé : il n’en reste
que la galerie Est ; c’est un des joyaux de l’ensemble des bâtiments.
Longue de 20 mètres, la toiture s’appuie sur des colonnes d’une
surprenante et délicate beauté, datées du 14ème
siècle à leur partie supérieure, les chapiteaux sont
enrichis de feuilles de figuiers, vigne, lierre, mais aussi des animaux, des
monstres, une chouette qui dévore un oiseau ; des têtes d’hommes
renversées et aux narines exagérément développées
; une tête de lion qui serre entre ses dents la queue d’un griffon
; une tête de moine.
L’aile des moines : elle est en partie transformée en appartements privés. La salle du chapitre est intacte avec de très belles croisées d’ogives. L’église est en grande partie ruinée sauf le choeur et quelques travées sans toit ; ont sur-vécu encore deux croisillons, le carré du transept, l’escalier du dortoir, la porte des morts conduisant au cimetière aujourd’hui disparu. Pour les spécialistes (comme Chauvin) plusieurs phases de construction sont visibles et qui distinguent deux églises successives : Villelongue 1, Villelongue 2 et peut être Villelongue 3. Le plan dit "bernardin" est une croix latine : 32 m de large pour une longueur inconnue ; aucune ligne courbe ; le chevet est plat comme celui des absidioles ; les piliers massifs soutiennent de splendides ogives. Le visiteur est frappé par les grandes dimensions de cette église, l’énormité des piliers, l’austérité de la décoration ; les ouvertures sont d’esprit gothique dont une grande rose à huit lobes du chevet ; les fenêtres à meneaux sont récentes (15-16ème siècle ?). Quelques chapiteaux sculptés, ce qui est extrêmement rare dans une église cistercienne, avec des têtes montrant des visages humains ; au Sud trois têtes assez frustes avec une abondante chevelure, des yeux globuleux, lèvres prononcées et pommettes saillantes, ou encore des modillons travaillés à tête humaine.
Les
autres bâtiments
Un curieux pigeonnier en
"pied de mulet” ; à ses pieds un vivier alimenté
par l’eau fraîche de la Vernassonne est destiné à
l’élevage des tanches et des carpes nécessaires obligatoirement
pour les menus maigres du vendredi ; au premier siècle de l’Ordre
de Citeaux, les moines étaient végétariens. Le vivier
fonctionne toujours depuis le 12ème siècle ! Le jardin
actuel est magnifiquement planté de fleurs et surtout une superbe collection
de courges, de potirons aux riches couleurs multicolores ; il est irrigué
par les eaux de la Vernassonne.
Amis lecteurs, allez à Villelongue, au fond des bois, admirer la galerie
du cloître ; le prix d’entrée sert à la restauration
des bâtiments. L’été, des concerts ont lieu dans
le cellier et le réfectoire à l’accoustique incomparable.
Villelongue : les jardins et le vivier |
Villelongue : le cloître |
Jean
ODOL
Documentation :
B. Chauvin : "Pierres pour l’abbaye de Villelongue" 2 tomes
1992
J. Odol et A. Tiennot :
Notes prises lors de la visite du 13 septembre 2003
Adresse utile :
"Association des Amis de l’abbaye de Villelongue", Abbaye
de Villelongue, 11170 Saint Martin Le Vieil.
Crédit photos : Jean Odol
Couleur Lauragais N°58 - Décembre 2003/Janvier 2004