Histoire
Résistance contre Gestapo - Deyme, le 2 janvier 1944
Le 2 janvier 1944 un évênement dramatique fait grand bruit à Toulouse et du côté de Pompertuzat, Deyme et Montgiscard : un des grands chefs de la Gestapo (police politique nazie) Messak est abattu sur la route nationale 113, à hauteur de Deyme, au carrefour des Monges. Les Résistants récupèrent dans sa voiture les archives de ses services ainsi qu’une liste très intéressante de collabos français. Couleur Lauragais vous présente un article totalement inédit : nous avons rencontré un acteur privilégié de l’opération, Monsieur Louis Ramond.
La
résistance à Toulouse (hiver 44)
En novembre 1942 les Américains débarquent au Maroc et en Algérie,
en juillet 1943 ils s’emparent de la Sicile ; en septembre Mussolini
et l’Italie s’effondrent. Sur le front de l’Est, après
la spectaculaire victoire de Stalingrad (février 43) les Soviétiques
déclenchent offensives sur offensives et ne s’arrêteront
qu’à Berlin (avril 1945). Au début de l’année
1944 la victoire des Alliés, américains, anglais, soviétiques,
français du Général de Gaulle apparaît certaine
et un immense espoir de libération dynamise la résistance toulousaine.
Dès 1940, des Toulousains (comme Jean Chaubet) ont rejeté Pétain
et la collaboration et fondent des réseaux clandestins pour protéger
les Juifs qui passent en Espagne ou des aviateurs alliés qui, eux aussi,
passent les Pyrénées. Les principaux mouvements de Résistance,
comme Combat, Franc Tireur, Libération, Libérer et Fédérer,
sont très actifs à Toulouse ; les réseaux militaires
-ORA- forment une redoutable force armée : le Corps Franc Pomiès.
Parmi ces mouvements l’un d’eux est demeuré célèbre
: le groupe Morhange.
Le
groupe Morhange
Il est créé en 1943 par Marcel Taillandier, dit Morhange ; adjudant
d’active, affecté au 5ème bureau de l’Etat Major,
il arrive à Toulouse lors de la débâcle de 1940 ; installé
au château de Brax, il travaille d’abord pour les Services Spéciaux
du capitaine Paillole. Au début de l’été 43 Morhange
crée une équipe spéciale de contre espionnage chargée
de mener une lutte sans merci contre l’ennemi et ses serviteurs ; le
groupe (82 agents officiels) recrute dans les mouvements toulousains, de l’A.S
(André Fontès, Raymond Ruelle) parmi les policiers toulousains
(Jacky Combatalade, Salettes, Maurice Espitalier). Le groupe réussit
à infiltrer un de ses membres dans la Gestapo de Toulouse ; ce monsieur
nous intéresse spécialement car il participe à l’affaire
de Deyme ; il s’appelle Pierre Saint Laurens(1). Il était devenu
sur ordre de la Résistance, un agent de la Gestapo économique
de Toulouse dont le chef était Messak ; il fournissait de nombreux
renseignements et c’est lui qui informe Morhange du prochain départ
de Messak muté à la Gestapo de Nice.
Au carrefour des Monges
Carrefour des Monges
Crédit photo : Couleur Média
Le carrefour des Monges est situé sur la commune de Deyme à
l’intersection de la RN 113 et de la route départementale qui
grimpe vers Deyme; les Monges est le nom d’une ferme voisine qui est
toujours là; Monges signifie, en occitan, moines ou moniales, car il
y eut là un couvent de Carmélites. Fait particulièrement
palpitant, nous avons retrouvé un témoin-acteur de l’opération,
Monsieur Louis Ramond. Ce héros de la Résistance est Chevalier
de la Légion d’Honneur, Croix de Guerre, Médaille Militaire,
ancien déporté au camp d’extermination de Dachau; il est
libéré de ce camp par les Américains en avril 1945. Son
action dans la Résistance est un admirable roman que nous reprendrons
dans une publication plus abondante; c’est grâce à lui
que j’ai reconstitué avec minutie la disposition des voitures
des résistants et des Allemands au carrefour; Louis Ramond était
planqué, en couverture, dans le petit bois d’acacias qui existe
toujours, entre la nationale 113 et la ferme des Monges.
Le Bois d’acacias
Crédit photo : Couleur Média
Messak trafiquait au marché noir, pillait les biens confisqués
aux Juifs, traquait sans merci les résistants ; il avait à son
service des agents locaux, français pour la plupart mais aussi étrangers
comme un italien : Toniutti Bruno et son frère, un basque espagnol
Alzugaraï, sa maîtresse Paulette Bordier. En décembre 43,
il est muté à Nice pour s"occuper" de la Résistance
italienne dans toute la plaine du Pô. C’est Pierre Saint Laurens
qui avait capté sa confiance qui avertit Morhange de l’heure
de départ de Messak et de sa bande, le 2 janvier 1944 vers 12 heures.
Morhange prépare l’interception du groupe en montant une opération
aux Monges ; il choisit ce carrefour pour faciliter la fuite de ses hommes
par le chemin qui monte à Deyme et regagner, en roulant vers l’Ouest
ses bases de Brax, de Lahage, de Saint Lys, Gagen. Les résistants sont
implantés sur la route comme suit : Morhange et le capitaine Pélissier
sont dissimulés sur le chemin qui monte à Deyme, dans trois
voitures ; Combatalade, Morhange, le capitaine Pélissier, l’adjudant
chef Maurice Colette ; dans le bois d’acacias, quatre hommes sont planqués
: Laigneau dit Cambronne, son adjoint Longin dit Durand, Louis Ramond, et
un quatrième dont Ramond a oublié le nom ; sur la route 113,
en civil, deux faux policiers : Laudebaud dit "l’Aigle", Marcel
Mercier dit le "petit Marcel" ; enfin quatre prétendus gendarmes
avec des képis authentiques prêtés par la gendarmerie
toulousaine avec vestes en cuir : André Fontés, Henri Barrau,
Bronislav Doradzinski dit "Bruno" (un ancien des Brigades Internationales
de la Guerre d’Espagne), enfin Pierre Rous. Le témoignage émouvant
de Louis Ramond que j’ai recueilli en juillet 2003 et le livre de Saint
Laurens, m’ont permis une reconstitution très précise
des évènements.
Vers 11h30 le convoi Messak approche de Pompertuzat avec en tête la
camionnette Peugeot DK 5 pilotée par Toniutti avec les archives, les
bagages et 200 litres d’essence; puis vient la 202 de Saint Laurens,
enfin la traction avant 11 CV ayant à son bord Messak, sa maîtresse
Paulette Bordier et, derrière, Alzugaraï, une mitraillette chargée
à ses pieds.
Ferme des Monges
Crédit photo : Couleur Média
Une opération qui tourne plutôt mal
Morhange souhaitait s’emparer de Messak vivant, mais les évènements
en décidèrent autrement. A l’approche du barrage, la camionnette
stoppe net ; Toniutti affichant l’air décontracté de celui
qui sait par avance que son patron va facilement mettre au pas ces gendarmes
français occupés à une simple besogne de routine. Mais
alors un fâcheux imprévu vient tout gâcher, le principal
intéressé - Pierre Saint Laurens raconte pages 137 et suivantes
de son livre: "Pierre Rous, le canon de sa mitraillette dans la saignée
du bras gauche, culotte de cheval kaki, canadienne beige, les trois galons
de son képi étincelant au soleil blafard, avait quitté
le groupe de tête et se portait à présent, au pas de parade,
vers la traction avant. A son approche, la tension monta et l’effet
de surprise passé, Messak réalisa qu’il était rombé
dans une embuscade ; pour achever de pourrir la situation, le jeune Barrau,
qui ne tenait pas en place et faisait la navette d’un côté
à l’autre de la voiture, s’avisa soudain de s’occuper
de moi, et agitant sa Sten, tel un chef de gare son drapeau, fonça
vers la 202. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je
dégringolai de mon siège et sautai dans le fossé. Messak
porta la main à la poche intérieure de son veston, cherchant
sans doute un pistolet. Fontès ouvrit le feu avec son Smith et Wesson
et Pierre Rous lâcha deux courtes rafales, la première sur Messak,
la deuxième sur le colonel. La femme est abattue par le jeune Barrau
; Doradzinsky règle son compte à l’italien ; l’opération
avait mal tourné avec la mort de Messak".
La traction avant, abandonnée sur la route,
toutes glaces brisées et le cadavre de ses occupants à l’intérieur
Le
groupe de Morhange se replie ensuite sur Saint Lys-Gagen sans problème
; plus tard Saint Laurens se réfugie au maquis de Quérigut.
Les actes de décès furent dressés par le docteur Terrenq
de Baziège.
Les archives et la serviette de Messak se révélèrent
fort intéressantes avec un organigramme très complet de la Gestapo
de Toulouse, ainsi que la liste des Français, Italiens ou Espagnols
travaillant pour les Allemands ; enfin des listes de dénonciateurs
fort nombreux. Les documents seront transmis aux services spéciaux
d’Alger (Colonel Paillole).
La traction-cercueil 9880 FS5"
L’affaire du carrefour des Monges, à Deyme, illustre la lutte acharnée que la Résistance toulousaine et plus spécialement Morhange, mena contre la sinistre police allemande.
Jean
ODOL
Bibliographie:
(1) Pierre Saint Laurens "Contes de faits" 1955
Couleur Lauragais N°57 - Novembre 2003