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Couleur Lauragais : les journaux

Histoire

Le Moulin de Ticaille - Ecluse d’Ayguesvives - 1830

Couleur Lauragais a déjà présenté plusieurs articles sur le Canal du midi, cette "merveille de l’Occitanie". En 1996, le Canal a reçu une consécration exceptionnelle par son classement dans le Patrimoine Mondial de l’Humanité, par l’UNESCO (l’Organisation des Nations Unies pour la Culture), c’est à dire qu’il est considéré comme l’un des plus beaux monuments du monde ! Il figure à côté des Pyramides d’Egypte, le Castel del Monte de l’Empereur Frédéric II, Notre-Dame de Paris et enfin la cité de Carcassonne (en 1997). D’autre part, le créateur du Canal, Pierre-Paul Riquet est né en 1604 à Béziers, et par une série d’articles nous rendons hommage à son génie. Ce mois-ci, nous vous présentons l’étude d’un ouvrage du Canal, mineur et peu connu : le moulin de Ticaille.


Légende : "Le moulin de Ticaille vu depuis le bief de Montgiscard"
Crédit photo : Jean Odol

Les Moulins du Canal
De nombreux moulins furent construits près des écluses du canal ; le principe de l’alimentation est simple : un canal de dérivation est creusé parallèlement à l’écluse qui est en général multiple (Matabiau faisant exception), afin de disposer d’une hauteur de chute assez importante. Cette dénivellation est partagée entre deux moulins, l’un construit à la tête de la dérivation et dont les vannes servent de prise d’eau, et l’autre en bas du sas (bassin) inférieur. La même eau fait ainsi "aller" successivement les deux moulins et elle est restituée au canal à la sortie ; on doit noter que pour les écluses de Castanet, Bayard et les Minimes, le moulin supérieur fut rapidement abandonné et démoli.
Le premier que construisit Riquet, vers 1670, fut le moulin du Roy, près de Revel ; il utilisait la dénivellation qui se présentait à l’arrivée de la Rigole, venant de Pont-Crouzet, dans le bassin de Port Louis ; il était destiné à remplacer les quatre moulins à blé de Revel, dont l’eau était détournée par la Rigole pour l’alimentation du canal. A l’autre extrémité de la Rigole de la plaine, et à la même époque, Riquet faisait construire le moulin de Naurouze ; la mise en eau du canal jusqu’à Toulouse (1672) permit l’établissement de moulins aux écluses de Castanet, Bayard, Matabiau et les Minimes (vers 1674). De même, le moulin de Castelnaudary (1680) était construit sur une dérivation à la tête de l’écluse quadruple de Saint Roch ; il fut par la suite doublé d’un second moulin.
Les autres moulins fariniers datent de la première moitié du 19ème siècle ; ce sont, par ordre géographique, ceux d’Aygues-vives (1830), la Planque (1832), le Vivier (1827-1830) et Gay (1818) ; ces moulins étaient doublés d’une minoterie.


Le moulin de Ticaille et l'écluse d'Ayguesvives
Crédit photo : Jean Odol

Le Moulin de Ticaille - Ayguesvives
En 1830, le moulin de Ticaille est construit par Madame d’Ayguesvives dont la famille est apparentée aux Riquet (voir documents aux archives municipales d’Ayguesvives) ; la date est gravée au sommet du grand mur qui surplombe le bief de Montgiscard. Il s’agit d’un bâtiment massif de très grandes dimensions dont la coupe et le plan figurent dans l’ouvrage d’Adgé (1), avec des surfaces étagées sur trois niveaux ; chaque niveau égale 300 m2 ; c’était un puissant moulin à quatre meules écrasant de grosses quantités de blé apporté par les barques amarrées aux bittes qui sont toujours là ; une dizaine d’hommes et de femmes s’affairaient aux machines de la minoterie. Vers les années 1920-1930 on construit une ligne électrique spéciale pour le fonctionnement de la minoterie ; enfin de 1934 à 1936 on utilise un énorme moteur diesel allemand (à l’époque du minotier Barlan). Toute activité cesse en 1936.


Légende : "Plan du moulin et minoterie d’Ayguesvives, à quatre meules.
A gauche, le coursier parallèle à l’écluse (archives départementales - 1854)"

Le moulin, lieu d’accueil
Les machines enlevées, le moulin, avec ses trois niveaux de 300 m2 chacun, devient un lieu d’accueil.
a) Les réfugiés belges en mai 1940 : fuyant les blindés allemands de Gudérian, la population belge de langue française (région de Liège) se réfugie en France et pour une centaine d’entre eux, à Ticaille. Ils étaient de Namur : femmes, enfants, vieillards ; charmants, ils restèrent environ deux mois : "je m’étais fait de nombreux copains parmi les jeunes namurois et nous allions "grapiller" les cerises dans quelque verger du voisinage que je connaissais bien..." (2)
b) Les soldats français du 171ème RALPA (Régiment Artillerie Lourde Portée Automobile). La débâcle de l’armée française en mai-juin 1940 conduisit de nombreux soldats à Ayguesvives ; logés dans les châteaux, une centaine s’abrite au moulin jusqu’au mois d’octobre 1940. Ils étaient originaires de la région de Lille et cherchaient du travail chez les paysans d’Ayguesvives ; ainsi deux d’entre eux travaillaient la vigne de ma mère et partageaient le soir la table familiale : l’après midi, Michel m’apprenait à nager dans le canal...
c) Les soldats de la République espagnole. Très vite ils furent remplacés par des soldats républicains espagnols réfugiés en France en janvier-mars 1939 ; 500 000, c’est la fameuse "retirada" écrasée par l’aviation allemande et l’armée italienne, l’armée républicaine espagnole bat en retraite et une partie se réfugie en France, par Perpignan. D’abord enfermés dans les "camps de la honte" (voir les ouvrages de René Grando), les soldats sont répartis à l’intérieur de la France, dont 200 au moulin de Ticaille ; ils sont restés de l’automne 1940 au mois de juin 1941 et subirent, sans chauffage, le terrible hiver 1940-41, couchés dans de la paille. Ils étaient presque tous d’origine catalane ; les deux officiers parlant très bien le français logeaient chez ma mère et me racontaient de terribles histoires de guerre, d’avions en piqué (les stukas) ou les bombardements de Barcelone par les Italiens ; ils essayèrent aussi de m’apprendre quelques mots d’espagnol. Ils furent utilisés comme main-d’oeuvre pour recreuser le lit du ruisseau Amadou et les nauzes de la vallée de l’Hers ; leur nourriture reposait sur la morue salée, le riz, les pommes de terre, le pain. Ils furent transférés vers les camps en Ariège pour couper du bois dans les forêts, surtout, à partir de 1942 ils formèrent de puissants maquis de guerilleros qui, en août 44, libérèrent Foix et Saint Girons.


Légende : "L’ancien pont sur la rigole d’alimentation"
Crédit photo : Jean Odol

Légende : "Le moulin : mur en brique verte"
Crédit photo : Jean Odol

d) Les Restos du Coeur s’installent au Moulin de Ticaille en décembre 1996 jusqu’en 1999; une trentaine de bénévoles autour du président Julien Pelfort, anime le centre de distribution couvrant les cantons de Montgiscard, Castanet, Nailloux, Villefranche de Lauragais, servant 43 280 repas par an pour une population qui trouve aussi vestiaire, bibliothèque, lieu d’accueil.
e) En 2003, le Moulin accueille une association : "Arbres et Paysages d’Autan". Cette association a pour but de sensibiliser la population à l’environnement, à la biologie de l’arbre, à la connaissance des arbres de pays, des essences les mieux adaptées au terrain ; plantation de haies, création de villages champêtres comme à Donneville, Baziège, Ayguesvives. Une sensibilisation est faite auprès des écoles (sentiers botaniques). Des plantations ont été faites autour de l’écluse et du moulin.
Le vénérable moulin, loin d’être moribond, continue de vivre avec des activités bien loin du bruit des meules écrasant le grain ; mais des activités dynamiques et tournées vers l’avenir et l’environnement.

Jean ODOL

(1) Michel Adgé : "Les ouvrages d’art du Canal du Midi" 1984, page 212, ouvrage fondamental sur le canal
(2) L’auteur est né à quelques mètres du canal et vit toujours l’histoire du moulin

Couleur Lauragais N°55 - Septembre 2003