Au fil de l'eau... au fil de l'air

Un siècle de tourisme à Saint-Ferréol

Bassin de Saint-Ferréol : côté de la digue
Crédit photo : Collection Jacques Batigne

Empruntons à notre ami poète, Bernard Blancotte, l’introduction de notre récit:"... Et comment ne pas admirer à Saint-Ferréol l’incomparable triangle d’eau de soixante sept hectares, ancêtre des barrages actuels, ce "magasin" d’eau, qui fut le plus grand et le plus magnifique ouvrage hydraulique des temps modernes. S’il n’occupe plus la première place en importance, il nous donne toujours la mesure et la majesté de l’oeuvre de Pierre Paul Riquet. Saint-Ferréol, "miroir" de la Montagne Noire nous dispense à profusion les joies nautiques et celles de son cadre forestier..."

Ceci vaut pour la beauté du site et pour la prouesse technique de la construction (voir Couleur Lauragais N°7 - novembre 1998), empruntons à un très grand bâtisseur, Sébastien Vauban (1633-1707), Maréchal de France, commissaire général des fortifications, lorsque le roi Louis XIV et son ministre Colbert le chargèrent de parachever les ouvrages de Riquet, après sa mort et qu’il vint visiter à Saint-Ferréol, ces quelques mots : "... J’eus préféré la gloire d’en être l’auteur à tout ce que j’ai fait...".
Quel noble hommage, pour notre génial concepteur de l’ouvrage et de l’ensemble du Canal Royal de Languedoc (aujourd’hui, Canal du Midi).

Des projets immobiliers grandioses

Projet du Casino Crédit photo : Collection Jacques Batigne

Projet du Grand Hôtel du parc Crédit photo : Collection Jacques Batigne

L’aménagement paysager de ce barrage réservoir, communément appelé bassin ou lac de Saint-Ferréol, a été réalisé il y a un peu plus d’un siècle. A cette époque là, à la fin du XIXème et au début du XXème siècles, dès que le train commence à se développer et arrive un peu partout en France, à la mer, à la montagne, comme à la campagne, de grands sites touristiques voient le jour.
Chez nous un vaste projet d’urbanistation est projeté par une "Société Anonyme Immobilière de l’Hôtel du Parc et Châlets de Saint-Ferréol". Il n’aboutira pas, certainement trop ambitieux, mais non utopique. Il devait se situer sur les terrains de la rive sud-est du lac, sur les communes de Vaudreuille et des Brunels (hors propriété du domaine public du Canal du Midi).
Une plaquette, dont nous donnons de larges extraits, éditée en 1899, donne avec force détails, les tenants et les aboutissants, ainsi que les financements de ces projets. Sur les premières pages une longue liste intitulée "Comité de Patronage" de la dite société, là nous trouvons les noms et les fonctions d’un nombre important d’hommes politiques, de militaires, de notables et autres sommités de toute la région et au-delà...
Forme de publicité pour accrocher les futurs investisseurs ?

La gerbe de Saint-Ferréol au début du 20ème siècle
Crédit photo : Editions du Breil

Après quelques lignes situant géographiquement Saint-Ferréol et précisant la construction du barrage avec les dimensions et le but de celui-ci, rentrons dans les détails du projet en tenant compte que nous sommes à la fin du XIXème siècle.
"... C’est dans le cadre magnifique, au pied de la montagne et sur les bords du lac que la Société Anonyme de l’Hôtel du Parc et des Châlets de Saint-Ferréol s’est proposée de fonder une station estivale, pouvant recevoir aussi bien les caravanes de touristes étrangers des grandes agences de voyages, que la petite bourgeoisie et l’ouvrier des villes..."
Des dessins et plans donnent l’importance et le style des constructions projetées, mais voyons leurs descriptions.
"... Elle édifiera d’abord un grand hôtel restaurant de voyageurs avec tout le confort et les aménagements modernes...", mais également un Hôtel à "bon marché". "... La société voulant répondre entièrement au but social et humanitaire qu’elle a annoncé, elle édifiera un hôtel restaurant à bon marché qui sera accessible à ceux qui peuvent se passer du luxe du Grand Hôtel..."
Nous dirions : à ceux qui ne peuvent s’offrir le luxe !
Passons aux constructions individuelles. "... Des constructions économiques, contenant deux ou trois logements par habitation avec services communs, seront faites pour les ménages ouvriers. Ce système permettra des locations à prix réduits. Tout le long des rives du lac, elle établira un chemin carrossable pour accéder à des emplacements sur lesquels la société construira des villas entourées de jardins, qui seront louées meublées au mois ou à l’année. Des emplacements seront réservés pour être vendus aux particuliers avec obligation de construire châlets ou cottages pittoresques sur plans approuvés par la société. Elle construira elle-même quelques maisons à magasins pour constituer le noyau de la petite ville..."
Tout cela est fort sympathique, voyons la suite.
"... Voulant profiter de l’air pur de la montagne et des chutes naturelles d’eau, la société prévoit la construction d’un sanatorium hydrothérapique interdépartemental. Un système très réputé de médecine moderne et basé hors de tout remède pharmaceutique sur le traitement par l’hydrothérapie, l’hygiène naturelle et la cure d’air. Les départements intéressés trouveront une notable économie à diriger à Saint-Ferréol une certaine catégorie de leurs malades, loin des hôpitaux urbains, où cette thérapeutique ne peut être appliquée. Des pavillons spéciaux seront aménagés pour le traitement des malades payant. L’emplacement du sanatorium sera placé de façon à ne pas frapper la vue à l’arrivée des touristes..."
Nous sommes ici en avant première d’un centre de thalassothérapie ? Mais ce n’est pas tout ?
"... On leur ménagera (aux curistes et touristes), au contraire, dans le parc de l’Etat, des aspects imprévus de guinguette, laiterie rustique, kiosques et tous motifs décoratifs qui s’ajouteront aux charmes de la nature. En sortant du parc, ils déboucheront sur l’esplanade du Casino projeté, point de vue d’où, par de belle échappées dans les arbres, on verra soit le parc et ses cascades, soit le lac, l’Hôtel et les Châlets. Au dessus, la montagne avec la belle forêt percée de routes et avenues, formera le fond du tableau..."

Les loisirs et promenades

Cascade de Saint-Ferréol Crédit photo : Communauté de communes Lauragais Revel Sorezois

Le lac de Saint-Ferréol et ses activités nautiques Crédit photo : Communauté de communes Lauragais Revel Sorezois

Si l’on ajoute à cela :"... Ceux qui cherchent le repos et la fraîcheur dont le Parc de l’Etat, qui à lui seul ferait la renommée de l’endroit. A d’autres, amateurs de sport, on offrira des fêtes nautiques sur le lac, régates, joutes lyonnaises, promenades en bateau à voile ou à vapeur. En hiver, Saint-Ferréol deviendra un rendez-vous de chasse, pour les disciples de Saint Hubert des départements limitrophes. Il y a en effet, des chevreuils et des sangliers dans les forêts de la Montagne Noire, indépendamment du gibier ordinaire du pays. Les excursions provoqueront surtout l’admiration du touriste...”
Les villes, villages et sites environnants, y compris les grottes, font également l’objet d’une description touristique très flatteuse. Sans oublier le Lampy, la Prise d’Alzeau et la Rigole de la Montagne.
Ce qui leur fait écrire : "... Il est peu de villes d’eau qui pourront offrir à leurs visiteurs autant d’amusements et de plaisirs...".

La digue de Saint-Ferreol
Crédit photo : Communauté de Communes Lauragais Revel Sorèzois

Les transports et communications

La gare de Revel Crédit photo : Collection Jean-Bernard Laguens

Hydravion de l'aéronavale Crédit photo : Collection Jacques Batigne

"La Compagnie des Chemins de Fer du Midi a promis de se charger de toute la publicité et d’organiser des trains de plaisir". Et bien voyons tout est prévu ! et ce n’est pas fini...
"... Dès la constitution, la station de Saint-Ferréol à 4 kilomètres de la gare de Revel sera desservie à tous les trains par un service de tramways et des calèches. On organisera des moyens de locomotion en proportion des arrivées des touristes. Elle étudie un projet de chemin de fer sur route..."
Tout était vraiment prévu ! Nous sommes tentés de dire, dommage que tout ce vaste projet n’ait pas vu le jour !
Notre site de Saint Ferréol à toujours attiré un grand nombre de visiteurs, plus d’ailleurs dans le passé, peut-être, que de nos jours ? Les grandes fêtes, les régates, les joutes nautiques, les concours de pêche amenaient beaucoup de monde... Mais cela, pour la journée uniquement. C’est ce que nous appelons aujourd’hui le tourisme de proximité. La compagnie des Chemins de Fer du Sud Ouest (trains à vapeur et michelines) déversait sur les quais des gares de Revel, des trains complets de pêcheurs et autres voyageurs (ils étaient petits ces trains !) de Toulouse et des environs.
Dans les années 1930-1940, les voitures automobiles commencent à sillonner nos petites routes départementales. Et nous terminerons ce sujet transports par un moyen peu ordinaire ! Pourquoi ne pas venir à Saint-Ferréol en Hydravion ? (Couleur Lauragais N°40 - mars 2002). Cela s’est effectivement pratiqué. Le plan d’eau était utilisé et signalé sur les cartes aéronautiques, comme "piste"... d’amerrissage de secours. Nous avons des photos de 1925 et 1929 où cela s’est vraiment passé. C’était une autre époque ! Où il était aussi permis de rêver !

Une notice (de 1899) intitulée "Exposé Financier", accompagnait cette plaquette de présentation de tous ces projets, nous dirons simplement à ce sujet qu’une importante souscription était lancée dans toutes les villes de la région, d’Albi à Auch en passant par Castelnaudary et de Narbonne à Montauban en passant par Toulouse et Revel, bien évidemment. 5500 actions à 100 F étaient en vente chez les notaires et les banquiers... Qu’on se le dise !

Jacques BATIGNE
Revel

Couleur Lauragais N°54 - Juillet/Août 2003