Au fil de l'air
La disparition des moulins à vent du Lauragais
Les moulins à vent, implantés depuis environ 8 siècles sur les terres lauragaises, font partie du patrimoine, et sont indissociables de ce petit pays venteux situé de part et d'autre du seuil de Naurouze. Voici plus d'une centaine d'années, l'activité meunière alors à son apogée était prospère. Nous allons donc développer ici ce qui a provoqué le déclin, puis l'abandon de tous ces malheureux moulins.
Meule assemblée au moulin Saint Jean de Mireval-Lauragais
(Crédit photo : Collection Pierre Mercié)
De
l'antique meule au moulin à cylindres
Les nombreuses collines de cette contrée, qui plus est fortement emblavée*,
étaient alors parées d'une multitude de moulins faisant virer
au moindre souffle leurs grandes ailes.
Dès la fin du 19ème siècle, tout ce bel équilibre
devait brutalement basculer sous l'inexorable poussée des débuts
de l'ère industrielle, et transformer fondamentalement d'ancestrales
habitudes.
Durant des siècles, seule la meule de pierre a permis de réduire
le blé en farine. Désormais elle se trouvait fortement contestée
par une diabolique invention qui nous venait de la lointaine Hongrie. Mise
au point dans ce pays vers 1873-1875, cette nouveauté, faisant notamment
usage de cylindres de porcelaine puis de fonte, devait sonner le glas de l'antique
meule horizontale. Au début, les plus irréductibles des meuniers
tentèrent bien de résister, avec l'énergie du désespoir,
dans une bataille qu'il faut toutefois qualifier d'arrière garde (rappelez-vous
de ce brave Maître Cornille et de son cher moulin Provençal).
Mais le combat était trop inégal et sans peu d'espoir, du fait
du rendement considérablement supérieur de la minoterie industrielle.
Peu à peu les petits meuniers durent se rendre à l'évidence
et la mort dans l'âme, arrêtèrent pour toujours, les ailes
de leur moulin. C'est ainsi que devaient progressivement disparaître
du Lauragais les pittoresques moulins à vent dont les grands bras tendus
vers le ciel signalaient de loin le sommet des collines.
L'Etat également ne fut pas en reste dans ce qu'il convient d'appeler
un véritable saccage : les moulins tournaient tranquillement depuis
des siècles et voilà que l'on s'aperçoit que leurs grandes
ailes effraient les chevaux, et que par conséquent ils doivent être
édifiés à plus de 40 mètres des chemins. De ce
fait beaucoup ne furent pas reconstruits. Une loi obligea les agriculteurs
à faire moudre leur blé dans de grands moulins. Puis le fisc
s'en mêla. Les moulins qui ne fonctionnaient plus mais qui avaient conservé
leurs ailes, étaient assujettis à la contribution foncière.
Comment voulez- vous que le meunier accablé d'impôts et qui n'a
plus rien à moudre, puisse survivre dans ces conditions ? Il devait
se résoudre à démonter les ailes ; mais qu'est-ce alors
qu'un moulin sans ailes ?
Vieux cylindre construit vers 1900 par la société
Générale Meulière de la "Ferté-sous-Jouarre"
(Seine et Marne).Avant l'avénement du cylindre, cette maison produisait
des meules de première qualité qu'elle exportait dans le monde
entier
(Crédit photo : Collection Pierre Mercié)
Cependant l'Etat si vertement critiqué, pouvait-il agir autrement ? Pouvait-il laisser sombrer le commerce de la meunerie Française ? Car c'est bien de sa survie dont il est question. Au temps où la meule était reine, la France était traditionnellement exportatrice de farines de première qualité. Or avec l'avènement du cylindre, ce sont les farines Hongroises et même Américaines qui les supplantent partout. Nos meuniers qui savaient se servir admirablement de leurs meules, et un peu rebutés par la complexité du système de mouture par cylindres, ne voulaient pas céder au modernisme. Ils déposèrent une pétition au Sénat, réclamant des mesures protectionnistes. Cela pouvait-il être durable ? L'Etat pouvait-il les écouter plus longtemps ? De toute évidence le temps venait d'être comme coupé en deux par la révolution industrielle qui s'étendait à toujours plus de pays. Dans ces conditions celle-ci ne pouvait que triompher, condamnant au passage la meunerie à meules et à vent du Lauragais, comme d'ailleurs celle de l'ensemble de la France.
Cylindre
construit au début du XXème siècle par la maison
DAVERIO de Zurich (Suisse) (Crédit photos : Collection Pierre Mercié) |
La
difficile reconversion
Incontestablement
seule la reconversion pouvait sauver cette profession de la crise dans laquelle
elle se débattait, en adoptant la mouture par cylindres.
Mais malgré la proximité d'un blé de qualité et
compte tenu des innombrables moulins à vent que le Lauragais a possédés,
celui-ci n'eut pas en rapport un très grand nombre de minoteries. Et
c'est peut-être là que quelques meuniers laissèrent échapper
la chance de se recycler. Mais supposons que leur détermination soit
sans faille, avaient-ils en plus tous les capitaux nécessaires pour
mener à bien une telle mutation ? Probablement non. A côté
du modeste moulin à meules, les infrastructures d'une minoterie sont
beaucoup plus importantes, et demandent des investissements considérables
que tous ne pouvaient supporter.
"Appareil
à cylindre en porcelaine Wegmann"
(Crédit photos : Collection Pierre Mercié)
Minoteries
de la Haute-Garonne
Toutefois malgré ces difficultés, plusieurs réalisations
dignes d'intérêt dont deux se trouvent situées aux confins
du territoire, virent le jour : la magnifique minoterie du Ramier à
Auterive, dotée de fort intéressantes machines, ainsi que le
vaste ensemble formé par la minoterie Ferra de Cintegabelle. Auriac
sur Vendinelle où de nombreux moulins à vent tournèrent
sur les collines entourant le village, a aussi possédé sa petite
minoterie située dans la vallée. Avignonet-Lauragais en a eu
deux ; une dans le bourg à proximité de l'église, et
la seconde dans la plaine pas très loin de la nationale 113. Bien placée
près du canal du Midi et de son port, Gardouch a également eu
sa petite minoterie électrique. Et enfin le village de Fourquevaux
en fut aussi pourvu. Si durant longtemps tous ces moulins furent prospères
fonctionnant en toute quiétude, aujourd'hui plus aucun ne se trouvent
en activité, victimes d'une nouvelle concentration, tout aussi ravageuse
que celle de la fin du 19ème siècle.
Situé sur la commune de Revel, et jouxtant avec la limite du département
de l'Aude, le moulin de Montcausson créé en 1856, est le seul
du Lauragais Garonnais à fonctionner encore. Parfaitement outillé,
sa production en quelques décades a été multipliée
par près de 10 sous l'impulsion de l'un des plus grands groupes meuniers
de France (les Grands Moulins de Paris), auquel il appartient désormais.
Capable d’écraser actuellement 2000 quintaux de blé par
24 heures, il est facile d'imaginer combien de petits moulins il a pu absorber.
"Minoterie
Montsarrat (Castelnaudary)"
(Crédit photos : Collection Pierre Mercié)
Minoteries
du Tarn
Dans le Tarn, la plupart des minoteries étaient situées
sur la commune de Sorèze. Une seule fonctionne encore. La plus importante
au temps de son activité (arrêtée depuis environ un quart
de siècle) était à l'époque fort connue dans la
région. Seul le grand bâtiment, toujours présent en bordure
du petit cours d'eau parallèle à la route, témoigne de
ce passé.
Durfort, charmant village touristique peuplé d'habiles artisans, était
également doté d'une petite minoterie arrêtée depuis
bien longtemps.
"Moulin de
Revel appartenant aux Grands Moulins de Paris"
(Crédit photos : Collection Pierre Mercié)
Minoteries
de l'Aude
En pénétrant
dans l'Aude au coeur de cette terre de vent, remarquons en premier lieu la
minoterie Montsarrat à Castelnaudary. Désaffecté depuis
quelques années, le bâtiment, qui contenait un très bon
appareillage, se dresse encore au bord du canal du Midi, aux écluses
de Saint-Roc, proche du Grand Bassin.
Mais si cette ville n'a jamais eu qu'une seule minoterie, une deuxième
aurait dû voir le jour entre les deux guerres. Construite aux alentours
de 1935, elle ne fut malheureusement pas autorisée à ouvrir
ses portes, victime des décrets-lois du 30 octobre 1935 et du 17 juin
1938, instituant le contingentement (droit d'écrasement des blés)
de tous les moulins de France. Rendue exécutoire par l'arrêté
du 27 juin 1938, cette mesure a interdit la création de nouveaux moulins,
tout en limitant la production de ceux existants, afin d'éviter l'accroissement
de la meunerie Française qui se trouvait être suréquipée.
Cette mesure, dont nous sommes les seuls de la communauté européenne
à faire usage, subsiste toujours, même si elle s'est aujourd'hui
amplement modifiée, permettant entre autre la concentration de plusieurs
moulins. Néanmoins, les nostalgiques qui voudraient flâner du
côté des faubourgs de Castelnaudary, pourront voir, accolée
à droite des immenses silos de la coopérative agricole du Lauragais,
la bâtisse grise, restée moderne malgré le poids des ans,
de ce moulin qui ne connu jamais l'activité à laquelle il était
destiné.
Ensuite à Montferrand au point de partage des eaux, dans un site prétexte
à d'agréables promenades, a fonctionné la minoterie de
Naurouze avec "La Rigole" qui alimente ensuite le versant atlantique
et méditerranéen du canal des deux mers. Riquet, lors de la
réalisation de son ouvrage au cours du XVIIème siècle,
avait à l'époque prévu qu'il y aurait suffisamment d'eau
pour faire marcher un moulin.
Réduite à l'inactivité depuis près d'une quarantaine
d'années, Belpech eut une minoterie dont le bâtiment s'élève
à la sortie du village. Bien située à proximité
du Canal du Midi, la ville de Bram a également possédé
la sienne.
Enfin, une bien attachante minoterie située en bordure du canal, à
l'écluse de Saint-Martin-Lalande. Dirigée depuis fort longtemps
par une famille de meuniers du nom de Mazières, qui a toujours su produire
une excellente qualité de farine, elle est la seule de tout le Lauragais
audois à fonctionner.
"Ensacheuse
au moulin de Saint Martin Lalande, l’un des rares moulins encore en
activité en Lauragais"
(voir article paru dans Couleur Lauragais N°6)
(Crédit photo : Couleur Média)
Minoteries
autour du Lauragais
Avec moins d’une vingtaine de minoteries sur l'ensemble de son territoire,
le Lauragais ne fut pas très fourni. Et concurrence oblige, la farine
pouvait parfois provenir des environs où de belles minoteries furent
créées.
Aujourd'hui, seuls fonctionnent encore à la proximité du Lauragais,
trois de ces moulins à cylindres : Alzonne pour l'Aude, Moulin-Neuf
et Saverdun pour L'Ariège.
Impitoyable hécatombe, qui au cours du siècle dernier, a complètement
redéfini la carte meunière de la région, devenue désormais
presque exsangue, où l'on déplore la disparition de la quasi
totalité des moulins.
A titre d'exemple, voici 55 ans l'Ariège possédait 58 minoteries,
il en reste 2, l'Aude 25, il en reste 3, la Haute-Garonne 70, il en reste
5, le Tarn 55, il en reste 6.
Voilà où nous en sommes en ce début de XXIème
siècle, où, souvenez-vous, l'histoire, à une centaine
d'années de distance, se répète comme au temps de nos
bons vieux moulins à vent.
Pierre
MERCIE
*
emblavée : terre ensemencée de blé
Couleur
Lauragais N°50 - Mars 2003