LAURAGAIS DANS LE PASSE
Les veillées d’antan
Les incursions au moulin, à la forge, chez le charron de village et aux foires locales, constituaient pour les ruraux maintes occasions de rencontre. Alors, la distraction et la communication prenaient le pas sur le travail. Isolé en pleine nature, le rural avait besoin de contact en dehors du cercle familial. C’est pourquoi, les soirs d’hiver, les veillées autour du cantou tenaient une place considérable dans la vie quotidienne de nos ancêtres.
"Le cantou"
(Crédit photo : Collection Odette Bedos)
Réunions
de voisinage
Conformément à la coutume, on se réunissait entre métayers
voisins au début de la morte saison pour les veillées automnales
et hivernales.
A tour de rôle, chaque exploitant accueillait les veilleurs dans son
foyer. "Pitchou miu que tan bales" (foyer, doux foyer). D’octobre
à mars, à la tombée de la nuit après l’Angélus
et la soupe, dans la grande salle commune, les arrivants prenaient place autour
du "cantou" (coin du feu) sur les chaises de paille. Les garçons,
futurs conscrits, ne manquaient pas le rendez-vous. Ils se cantonnaient au
fond de la pièce, sur les bancs les moins éclairés, près
des filles qui se moquaient d’eux.
Comme les enfants qui apportaient leur bûche à l’école,
les familles conviées fournissaient l’huile de chanvre pour les
lampes.
Contacts
humains
Les
hommes du "terrefort" étaient heureux de se retrouver pour
s’entretenir des aléas inhérents à leur profession.
Ils aimaient se demander conseil et discuter des récoltes et du temps
qui conditionnaient bien-être ou pauvreté.
Le maître des lieux, assis sur l’archibanc (siège du maître)
tendait une oreille attentive aux doléances et aux satisfactions de
ses invités. Le "Pierrou" déplorait le départ
de son cadet qui avait tiré le mauvais numéro. Le "Noëlou"
se réjouisssait de sa récolte de maïs. Chez le "Jacou",
on avait perdu le pater familias ; c’est son plus jeune fils qui devait
s’occupait du troupeau*. S’il ne fréquentait pas l’école,
la famille n’avait aucune chance d’en faire un instituteur. Le
"Moïsou" du Tracas allait marier sa dernière fille en
février. Il fallait tuer un cochon de plus et mettre de l’argent
de côté pour constituer la dot chez le notaire, selon la coutume
des paysans du Lauragais.
Collation
coutumière
Avant "Nadal" (Noël), il était d’usage de
déguster des chataîgnes rôties dans la poële à
trous. Le verre de vin nouveau, parfois un peu de "piquette", accompagnait
ce fruit d’automne apprécié.
Lorsqu’il gelait à pierre fendre, pendant les veillées
hivernales, l’hôte de service offrait le vin chaud sucré,
parfumé au zeste de citron, au clou de girofle ou à la cannelle.
Les épouses préféraient le lait caramélisé
au "ferret" (pincettes rougies) ou aromatisé de quelques
gouttes de fleur d’oranger. Les jeunes buvaient de l’orgeat.
Occupation
manuelle et activités de l’esprit
Sous la lumière
fumeuse des "caleils" (lampes à huile de chanvre), les métayères
prenaient leur fuseau à filer. Cette activité mécanique
pratiquée aux champs pendant la garde du troupeau et aux veillées
n’empêchait pas les langues d’aller bon train. Ces éleveuses
compétentes faisaient le bilan des bénéfices retirés
sur les ventes des volailles constituant leur cheptel.
La gent féminine aimait aussi évoquer les événement
locaux : baptêmes, noces, sépultures, le changement de métairies
à Toussaint (la mudado). Elles parlaient des fêtes religieuses
: Noël (Nadalet), la bénédiction des récoltes ou
Rogations, la Saint Roch où le prêtre consacrait les "attelages",
la "paire de labour" (la junto).
La fête locale ou patronale et la dernière foire du chef-lieu,
avec ses bateleurs et son montreur d’ours venu de l’Ariège,
étaient aussi des motifs de conversation.
Considération
à l’égard des Anciens (les aujols)
Tandis que l’aïeule, un peu sourde, somnolait près
du feu, les bras croisés, le "pépi" (aïeul),
bon pied bon oeil, se mettait à raconter un épisode de quand
il était soldat. Il commençait par la traditionnelle formule
: Ero un cop un homé (il était une fois); et terminait ainsi
: Tric, trac, moun counté es acabat (mon conte est terminé).
"pendule"
(Crédit photo : Couleur Média)
Signal
de départ
Lorsque la vieille pendule à caisse avait égrené les
douze coups de minuit, il était temps de clore la séance. Alors,
la maîtresse du logis se levait pour retirer et éteindre la dernière
bûche du foyer. Aussitôt après on rangeait chaises et bancs
autour de la table de ferme. Les hommes mettaient leur bonnet de laine tandis
qu’épouses et filles s’emmitouflaient dans leur châle
épais.
Un dernier "adieu" ou "bonne nuit" (adessiat ou bouno
neït) était échangé. Chaque famille regagnait rapidement
sa métairie à la lueur d’une lanterne sourde.
*
Chaque métairie avait son troupeau qui fournissait la laine pour les
vêtements, les couvertures ("flessados") et la viande.
Evocation et Texte d’Odette BEDOS
Couleur Lauragais N°49 - février 2003