L'hiver
en Lauragais : portrait d'une saison mélangée
(en souvenir de Claude Rivals)
"Il
n'y a plus de saisons, ma pauvre dame !". Qui n'a pas entendu de tels
propos, sur les marchés de plein air de nos villes et de nos bourgades
? Des propos à associer aux proverbes et dictons sur le temps de saison.
A ce moment de l'année, nous choisirons logiquement ceux qui se rapportent
à Noël.
"Noël au balcon, Pâques aux tisons" est le plus connu,
et d'autres formulations n'en changent pas le sens comme "Qui prend le
soleil à Noël, à Pâques se gèle" ou encore
"A Noël les moucherons, à Pâques les glaçons".
Un autre assure "Noël gelé, Moissons grainées".
Vieille pratique de notre culture que d'associer les saisons pour chercher
à prévoir le temps des mois à l'avance. Le temps change
tellement dans les régions tempérées que l'on ne peut
y cerner un climat et ses saisons par ses seules moyennes : "les moyennes
les plus sûres, faites sur les plus longues séries d'années,
sont celles qui cachent mieux la réalité" (Georges Viers).
Beau temps calme après la neige - Saint Ferréol
janvier 1997
Quels sont donc les caractères de l'hiver du pays lauragais et quels facteurs sont responsables de son originalité ?
Saison froide
ou saison douce ?
Sous nos latitudes, entre décembre et mars, nous traversons la période
des températures les moins élevées, et c'est le mois
de janvier qui est caractéristique de l'hiver. Dans le Lauragais, la
moyenne thermométrique de ce mois est voisine de 5,5°, évidemment
très inférieure à celle de juillet qui dépasse
21° ; mais en région parisienne la moyenne hivernale est de l'ordre
de 2°.
Certes les températures de l'hiver sont basses, mais le caractère
méridional du Lauragais peut justifier que l'on qualifie de relative
douceur cette moyenne de 5,5° ; toutefois celle-ci est inférieure
de près d'un degré à celle de Brest, pourtant beaucoup
plus au Nord (de près de 550 kilomètres). Si l'on observe la
moyenne des maximales de janvier, on constate qu'elle approche les 10°
ce qui est le signe d'une incontestable tiédeur. Dans sa thèse
de géographie, Georges Jorré estimait que l'hiver a une douceur
remarquable : "il y a de nombreux hivers où le travail est possible
presque tous les jours, constatent les paysans" ; lorsqu'en fin de l'étude
du climat local il concluait que "c'est un climat décevant",
ce n'est pas tellement l'hiver qui justifiait cette sentence.
Mais cette douceur n'exclut pas des hivers d'une extrême rigueur comme
ceux de 1956 ou 1985. Jorré notait que des froids sévères
surviennent entre le milieu du mois de décembre et le milieu du mois
de janvier, les gelées pouvant atteindre -5° à -7° et
s'étaler sur des périodes de 3-4 jours. Il ajoutait que les
froids les plus rigoureux se terminaient, "sauf accident", après
la St Vincent (22 février). C'est le 15 février 1956 que la
région toulousaine a battu son record de froid avec -19,2° ; en
janvier 1985, plusieurs jours de gel autour de -15° ont eu raison de la
quasi-totalité des mimosas dans les jardins du Lauragais.
La neige réduit
l'affluence des marchands et
les chalands sur les marchés de pleine air - Revel janvier 1997
Ciel pluvieux
ou dégagé ?
L'insolation moyenne de notre région est à peu près de
2047 heures par an. Les trois mois de l'hiver ne représentent que 360
heures, soit 17,6 % de cette insolation annuelle, alors que le seul mois de
juillet apporte environ 280 heures ! Ce déficit est-il le signe d'un
ciel plus souvent couvert dans les mois froids ? En fait il est d'abord dû
à la durée sensiblement plus courte du jour vers la fin du mois
de décembre. Au solstice d'hiver le jour est deux fois moins long qu'au
solstice d'été, la trajectoire apparente du soleil étant
nettement plus basse ; en effet, en milieu de journée, il se situe
à 24° au-dessus de l'horizon contre 70° en juin. Même
en l'absence de nuages, les rayons solaires ne peuvent pas suffisamment réchauffer
le sol du fait qu'ils sont très obliques et cette inclinaison produit
des éclairages qui accentuent les contrastes des "mille collines"
perdues sans cela dans l'uniformité ocre du terrefort ou grise des
bois et taillis de chênes pubescents. Et quand, à cet éclairage,
vient s'ajouter le spectacle des Pyrénées que l'on croit toutes
proches, l'observateur a de quoi être impressionné et en vient
à négliger que cela signifie l'approche du vent d'autan ou de
la pluie.
La pluie, justement, ou les précipitations en général
ne sont pas la caractéristique principale de l'hiver en en Lauragais.
La saison la plus arrosée est ici le printemps avec près de
200 millimètres de précipitations, l'hiver et l'automne étant
presque au même niveau avec 160 et 150 millimètres. Cette répartition
est la marque du climat aquitain qui forme une nuance bien singulière
du domaine océanique auquel il appartient ; le climat aquitain est
considéré comme une dégradation, à la fois continentale
et méridionale, du climat breton. Cette dégradation combinée
se poursuit dans le sous-domaine aquitain lui-même, dont le climat du
Lauragais constitue une variante plus contrastée. Face à certains
spécialistes le décrivant comme un climat mixte océanique
et méditerranéen, Georges Jorré précisait qu'il
était tantôt l'un et tantôt l'autre, s'accordant ainsi
avec le professeur Henri Gaussen qui observait ici un hiver océanique
et un été méditerranéen. Il semble bien que l'hiver
lui-même soit plus composite et son caractère météorologique
n'est pas exclusivement océanique.
Ciel d'hiver
ensoleillé, les Pyrénées enneigées
dominent l'horizon
Une position
intéressante dans le mouvement hivernal des masses d'air
Les caractères météorologiques des régions tempérées
sont dus au mouvement incessant d'énormes masses d'air venues des pôles
et des régions tropicales ; leur contact, appelé front polaire,
constitue un secteur troublé (les perturbations). En simplifiant, deux
masses d'air concernent l'Europe occidentale, donc la France et a fortiori
le Lauragais : une masse fraîche d'origine nordique, l'air polaire,
et une masse tiède d'origine méridionale, l'air tropical. L'hiver,
l'air polaire est plus froid et descend sensiblement plus au Sud ; l'air tropical
apporte moins de calories quand il remonte vers nos régions, d'autant
que l'atmosphère perd elle-même des calories du fait de la longueur
des nuits et de la faible hauteur du soleil sur l'horizon. Outre l'influence
thermique directe des masses d'air, l'état du ciel produit des différences
sur le niveau des températures selon un mécanisme opposé
à celui de l'été : il fait plus doux si le ciel est couvert
et il gèle très fort si les nuits sont très étoilées.
Le Lauragais se situant 500 à 600 kilomètres plus au Sud que
le Bassin parisien, l'air en mouvement dans les dépressions et les
perturbations associées est marqué par cette position méridionale
; l'air polaire maritime apporte une influence adoucissante, à plus
forte raison l'air tropical. Mais le cur du Lauragais se situe à
environ 260-280 kilomètres du Golfe de Gascogne, alors que Paris n'est
qu'à 160 kilomètres de la Baie de Seine ; cet éloignement
est suffisant pour que se produisent des effets "continentaux" de
refroidissement comme des nappes de brouillard dans la plaine de Revel ou
les vallées principales comme celle de l'Hers. Toutefois ce caractère
est contredit par l'ouverture du Lauragais vers la Méditerranée
par le seuil de Naurouze et le couloir de l'Aude ; le Lauragais audois n'est
qu'à 100 kilomètres du Golfe du Lion d'où proviennent
les "entrées maritimes" (expression des météorologues)
le plus souvent synonymes de tiédeur, surtout quand le mécanisme
de l'autan s'en mêle.
Ainsi la disposition et la configuration du Lauragais sur la trajectoire des masses d'air confèrent souvent à l'hiver une tendance assez douce qui n'exclut pas des types de temps fort instables et des manifestations extrêmes.
Les temps
d'hiver peuvent surprendre
Si, comme l'écrivait Georges Viers, "la succession et la somme
des types de temps font le climat d'un pays", on peut estimer logiquement
que la synthèse des types de temps pendant une saison définit
les traits climatiques de celle-ci. D'une façon générale,
de la fin décembre à la fin mars, on trouve bien en Lauragais
les caractéristiques de l'hiver, mais au milieu du cortège de
temps gris et frais, quelques périodes offrent des spectacles étonnants
du fait des "caprices et fluctuations du grand flux d'Ouest" (G.
Viers).
Le temps perturbé : quand l'anticyclone des Açores se décale vers le Sud ou quand l'anticyclone continental se replie vers l'Est, nos régions occidentales sont balayées par les perturbations portant des invasions d'air maritime dont le taux d'humidité explique des températures peu contrastées entre le jour et la nuit. Si le flux provient du Sud-Ouest ou de l'Ouest, les pluies sont abondantes, à moins que le premier cas se traduise par quelques jours d'autan qui repoussent ces averses. Si le flux vient du Nord, des zones du Groenland ou de l'Islande, la neige est au rendez-vous mais en quantité modeste car le Massif central en a déjà collecté une bonne partie ; la persistance du flux de Nord peut faire durer ce petit tapis de neige, grâce aux faibles températures, mais ce type de temps ne se produit pas très souvent. On garde plutôt le souvenir des tempêtes d'Ouest qui font généralement le bonheur des vendeurs de parapluies ; certaines de celles-ci, parce que la dépression est passée sur la France, peuvent laisser de sévères empreintes, au point d'être confondues avec les rafales du vent d'autan.
Le beau temps anticyclonique : quand la pression atmosphérique s'élève sensiblement, l'aiguille du baromètre bascule vers la droite du cadran, là où est marqué "beau" ; soit l'anticyclone des Açores gonfle vers l'Europe occidentale, soit un anticyclone continental se renforce dans notre direction, et, dans les deux cas, le ciel se dégage à condition qu'un minimum de vent limite la formation des brouillards. En plein hiver le ciel nocturne est magnifiquement étoilé et il gèle fort ! C'est un temps de ce type, prolongé durant des jours et des jours, qui marqua les hivers de 1956 et de 1985. En février 1956, plusieurs semaines de grand froid ont figé le canal du Midi, le grand bassin de Castelnaudary ; le record de basses températures de Toulouse-Blagnac, avec -19°2 le 15 février, est toujours sur les registres avec, dans les mémoires, l'image des péniches bloquées par la glace, des promeneurs sur le canal ou même d'une voiture sur le lac de Saint-Ferréol ! En janvier 1985, le début de la vague de froid a été marqué par une chute de neige dans les premières heures du Nouvel An, puis la température a chuté dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 ; à partir du dimanche 6 les nuits et les matins sont restés régulièrement au-dessous de -5° avec des minima extrêmes comme -17° le mercredi 9 ou -18° le mercredi 16 ou, plus modestement - 10° le jeudi 10 ou -13° le jeudi 17. C'est ce même jour que s'acheva cette "quinzaine du blanc" (la neige était restée au sol tout ce temps !), la température montant jusqu'à +3,5° à 15 heures, soit un accroissement de plus de 16° en 10 heures à peine. De tels froids s'expliquent par la persistance d'un anticyclone étendu jusqu'ici depuis la Russie d'où provient un léger flux de secteur Est ; dans le Lauragais, c'est très exceptionnel et les paysans appelaient ce léger flux "autan de Sibérie". Heureusement, il est plus fréquent que le beau temps anticyclonique se produise dans un flux de Sud et qu'alors le vent d'autan produise un ciel lumineux et maintienne les températures nocturnes vers 10°.
Les intermèdes d'autan : Jean Odol a déjà consacré, dans ces pages, un article à ce vent si particulier de l'Aquitaine orientale qui a été le thème de plusieurs de mes conférences en Lauragais depuis 1995. L'autan fait littéralement corps avec ce pays et son histoire. Souvent associé à un flux de Sud ou Sud-Ouest sur les Pyrénées, il provient de la Méditerranée par le couloir de l'Aude ; cette origine et les effets dus au relief font que son souffle produit un sensible réchauffement de la température sous abri. Toutes proportions gardées, nous pouvons alors avoir la sensation d'un printemps en plein hiver et la végétation ne tarde pas à le traduire si l'intermède vient à durer une quinzaine de jours. C'est peut-être une des raisons du vieux proverbe français "février trop doux, printemps en courroux" que corrobore "Noël au balcon, Pâques au tison". Mais gare aux gelées tardives !
Les premières
gelées en Lauragais
(crédit photo : Couleur Média)
Une neige et un verglas "made in Lauragais" : nous avons gardé pour la fin, pour la "saveur", une originalité météorologique qui nous renvoie au souffle de l'autan. Il s'agit d'un "mauvais temps localisé" selon la formule de Georges Viers ; mauvais n'est peut-être pas une formule acceptable pour tous, car il enchante les enfants pendant quelques heures mais il est franchement détesté par ceux qui doivent prendre la route à ce moment précis. On appelle cela la "neige d'autan", parce qu'elle vient du côté de l'autan, dans un léger souffle de Sud-Est. Une dépression peu creusée sur la Méditerranée occidentale envoie un air doux et humide sur le Languedoc où stationne un air polaire bien froid. Au contact des deux airs, le plus doux repousse très lentement le plus froid mais est obligé de s'élever au-dessus de lui, ce qui provoque une chute de neige d'autant plus abondante que l'air méditerranéen est doux ; au sol cette neige abondante s'accumule vite puis qu'on est dans l'air polaire. Le Lauragais constitue le "champ de bataille" de cet affrontement de deux masses d'air si différentes : la partie orientale jusqu'aux alentours de Villenouvelle, Labastide-Beauvoir, Caraman, peut recevoir 30 à 40 centimètres de neige en l'espace d'une demi-journée (facilement le double sur l'Aude), alors qu'il peut neiger à peine vers Toulouse si l'air polaire résiste plus fortement. Le tapis neigeux est pourtant de courte durée si l'air méditerranéen l'emporte vite et si l'autan "entre" (le sol est alors vite réchauffé). Le cas du verglas est (heureusement) très exceptionnel et repose sur un mécanisme comparable, avec un sol très froid (après une nuit dégagée) et un très léger vent de Sud-Est (que Météo France n'appelle pas vent d'autan, mais qu'en Lauragais on nomme "auta fret"). L'humidité contenue dans cet air de Sud-Est se condense sur le sol gelé et forme un verglas authentique sur lequel toute circulation automobile est impossible !
Collines et montagne
noire sous nuages stratiformes
Lauragais audois sous un ciel dégagé
Ce
n'est pas en Lauragais que George Sand aurait pu parler du "solennel
adagio de l'hiver" ou que Victor Hugo aurait pu écrire "C'est
l'abbé qui fait l'église (
)
Qui fait l'hiver ? C'est la bise." La saison qui débute n'a rien
d'un enfer ou d'une morne monotonie, comme ce portrait vient de le montrer,
et c'est peut-être en Lauragais que s'est formé le proverbe "L'hiver
n'est point rude saison qui fait rester à la maison".
Pierre ESPENON
Agrégé de géographie,
professeur au Lycée Vincent Auriol de Revel
Bibliographie
:G. Viers, "Eléments de climatologie",
Nathan, collection Fac, 1968
G. Jorré, " Le Terrefort toulousain et lauragais", thèse,
1972
J. Odol, " Le Lauragais, pays des cathares et du pastel ", Privat,
1995
Crédit
photos : Pierre Espenon
Couleur Lauragais N°48 - décembre 2002