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Couleur Lauragais : les journaux

HISTOIRE

Le grand incendie du Lauragais et la chevauchée du Prince Noir (1355)

Dans la soirée du lundi 26 octobre 1355, sur les collines de Pech-David, au dessus de la confluence Ariège-Garonne, du côté des villages de Clermont le Fort, Goyrans, Vieille Toulouse, les populations inquiètes observent, vers l'Ouest, des colonnes de fumées s'élevant vers le ciel : les villes de Lombez, Saint Lys sont en flammes !
L'armée anglaise du Prince Noir arrive. Mais qui sont ces Anglais ? D'où viennent-ils ? Où vont-ils ? Qui est ce mystérieux Prince Noir ? Couleur Lauragais vous le fait découvrir !

Les Anglais, maîtres de la région de Bordeaux
Les Anglais ont possédé Bordeaux et l'Aquitaine de 1147 à 1453. C'est par le mariage de la duchesse d'Aquitaine, Aliénor, avec le roi d'Angleterre Henri Il Plantagenêt que les Anglais s'installent dans la région de Bordeaux. Aliénor est célèbre comme protectrice des troubadours et comme la mère du fameux Richard Cœur de Lion et de Jeanne d'Angleterre. Cette dernière est la mère du comte de Toulouse Raimon VII, le vainqueur de Baziège (1219).
Après la défaite de Castillon, en 1453, l'Aquitaine et Bordeaux passent sous l'administration du roi de France.

La guerre de 100 ans (1337-1453)
C'est dans le cadre de la guerre de 100 Ans que se place l'expédition du Prince Noir en 1355 et la dévastation du Lauragais. La guerre de 100 Ans est un interminable conflit qui oppose la France à l'Angleterre. Une grande partie du territoire français est tombé entre les mains des Anglais. Dans les autres régions, l'autorité du roi de France est bafouée et le pays est livré à la guerre civile ainsi qu'à des pillages incessants. A partir de 1428, avec l'action de Jeanne d'Arc, un sentiment national français semble apparaître et les Anglais sont " boutés hors de France ". Le roi Charles VII organise une solide armée avec une puissante artillerie et, après sa victoire décisive de Castillon (près de Libourne), en 1453 l'Aquitaine redevient française.

La chevauchée du Prince Noir
Le Prince Noir est le fils du roi d'Angleterre Edouard III. Noir est la couleur du vêtement qu'il portait par dessus son armure. Partant de Calais et de Bordeaux les Anglais organisent des "chevauchées". Il s'agit d'expéditions de pillages et de démolitions, d'incendies dans les territoires français. Parfois des batailles opposent les deux armées comme à Poitiers en 1356 où le roi de France Jean le Bon est fait prisonnier. En 1355 une expédition est organisée depuis Bordeaux en visant la région de Toulouse et Carcassonne, jusqu'à Narbonne. Les archives ont conservé le récit de ce raid, jour après jour (octobre-décembre 1355) en décrivant les incendies et les pillages comme par exemple les 20 moulins à vent à Avignonet. Dans la région de Narbonne, faute d'eau, les chevaux boivent du vin. Avec des milliers de cavaliers (20 000 ?) gascons, béarnais, basques et des chariots pour transporter le butin, le Prince Noir s'élance alors vers Toulouse et le Lauragais.


Le gisant du Prince Noir

Le pillage du Lauragais
L'expédition ravage d'abord l'Armagnac, détruit Mirande, Simorre, (Lombez semble épargnée) et Saint Lys le 26 octobre. Le 27, le Prince traverse, à gué, la Garonne et l'Ariège vers Portet et couche à Falgarde. Le lendemain, après l'incendie de Castanet, il s'élance sur "le chemin du roi" et détruit tous les villages du Nord Lauragais : Baziège, Villefranche, Avignonet, Castelnaudary. A Carcassonne, la cité demeure inviolée mais la ville basse disparaît dans les flammes, comme d'ailleurs à Narbonne.
Lors du trajet retour, par une route méridionale, Limoux est détruit ainsi que Fanjeaux (le monastère de Prouille est néanmoins épargné). Au monastère cistercien de Boulbonne (au Sud de Mazères), le Prince Noir rencontre le fameux comte de Foix, Gaston Phebus, son allié contre les Français. Par Auterive (épargnée), le Prince prend le chemin de Gascogne, incendie Miremont, traverse la Garonne à Noé, détruit Carbonne, Gimont et gagne Bordeaux sans difficulté. L'armée française, inférieure, ne s'est jamais interposée et se concentrait pour la défense de Toulouse qui ne sera jamais attaquée. Le Prince Noir laissait derrière lui les ruines fumantes de 500 villages.

Le grand incendie de Montgiscard et de Baziège
Le 29 octobre, il s'est emparé de la belle et forte ville de Montgiscard qui s'était opposée par les armes aux cavaliers anglais.
"La ville de Montgiscard faisait partie du domaine du seigneur Amanieu du Fossat auquel le roi de France l'avait enlevée, en punition de sa fidélité au roi d'Angleterre. On voyait, autour de ses remparts, douze moulins à vent. Ils furent, comme la ville, livrés aux flammes ". Le Prince Noir, comme le relate Froissart, un historien contemporain des événements, ne put pénétrer dans Montgiscard à cause de l'incendie. On y prit encore deux espions français ou "exploratores" qui révélèrent que le comte d'Armagnac était bien àToulouse avec ses forces armées.

Un autre historien ajoute que Montgiscard résista derrière les murs de terre et des portes couvertes de chaume et que les Anglais enlevèrent la place de vive force y commettant "les pires excès" et livrant aux flammes les douze moulins à vent éparpillés autour du plateau. Ces remarques apportent une certaine vision sur la ville en 1355 : l'existence de remparts de terre, des portes protégées par du chaume (paille). Les moulins font penser à une agriculture fondée sur les grains : froment et orge, et leur nombre élevé (12) permet d'envisager une forte population. Un moulin correspond en effet à 2 à 300 habitants : on peut donc estimer à environ 2000 âmes le Montgiscard de 1355.


Le Prince Noir devient Prince territorial

Sur Baziège, nous avons moins de détails. Le Prince "traverse la bonne ville de Baziège" le vendredi 30 octobre, puis l'incendie, comme tous les villages voisins. La ville n'a pas résisté, la population a du s'enfuir. L'église a dû disparaître dans l'océan de flammes, donc le bâtiment actuel est postérieur à 1355. Tous les historiens et archéologues voient dans l'église actuelle un édifice de la seconde moitié du 14ème siècle. On doit encore remarquer que vers 1360-1400, malgré la peste, les malheurs politiques, la culture du pastel se développe lentement dans le Lauragais pour connaître son apogée, son siècle d'or, entre 1460 et 1560. En s'appuyant sur la chronologie on peut, sans erreur, classer l'église Saint Etienne dans la grande famille des églises du pastel (fin 14, 15 et 16ème siècles). Elle connaîtra, plus tard, un autre épisode tragique, en 1570 lorsqu'elle sera incendiée par les protestants.

La chevauchée du Prince Noir de 1355 est un épisode fameux de l'histoire du Lauragais. La reconstruction dû être rapide, avec des maisons de bois et de terre, des toits de chaume. La peste était revenue en 1348 emportant un tiers de la population. Cette série de catastrophes s'atténuera vers 1460 seulement et alors l'épanouissement du pastel fera du Lauragais "le pays de cocagne".


Le Prince Noir

Quelques villages ont été épargnés, pourquoi ?
Lors du retour de l'armée du Prince Noir, depuis Narbonne, si Limoux est incendiée, à partir de Fanjeaux, des villes et des villages sont épargnés. A Fanjeaux, où l'on comptait vingt et un moulins à vent (je cite Geoffroy le Baker), les flammes dévorent la cité, ainsi que Villasavary et Lasserre. Mais au monastère de Prouille, au pied de la colline de Fanjeaux, fondé par Saint Dominique en 1206, les Anglais ne "touchent pas la grande abbaye de Sainte Marie de Prouille où vivent de leurs biens, cent Frères Prêcheurs et cent quarante sœurs cloîtrées que l'on appelle Prédicatrices". Le Prince, avec une grande partie de sa suite, y fut reçu et dévotement admis à la confraternité spirituelle de la maison. "A Belpech le prince donna des ordres pour qu'il n'y fut fait aucun dommage par le feu, et cela à cause du comte de Foix, du domaine duquel relevait Belpech".
Le 17 novembre, l'armée anglaise arrive à Mazères, au célèbre monastère de Boulbonne, de l'Ordre de Citeaux, à 5 km au Sud de la bastide et appartenant au comte de Foix Gaston Phébus. C'est surtout le lieu d'inhumation des comtes de Foix des 12ème et 13ème siècles. C'est là "que le susdit comte, qui est le plus puissant seigneur de la langue d'oc., vint, avec les marques de la plus grande joie, à la rencontre du prince Noir". Gaston Phébus sortait des prisons du roi de France et témoigne toute sa sympathie aux Anglais. Durant la journée du 17 novembre, ils chevauchent ensemble sur les terres du comte de Foix et ainsi sont épargnées les villes de Mazères, Calmont, Cintegabelle (seuls les faubourgs sont incendiés), Auterive, car "il fut fait trêve d'incendies par révérence pour le comte et pour ses voisins". On franchit l'Ariège vers Trameaygues. Miremont est brûlée et la traversée de la Garonne se fait vers Montaut - Noé qui sont détruits, ainsi que Marquefave et Carbonne. Le 22 novembre la route de Toulouse à Auch est traversée vers Gimont. Le 28, à Mezin, nombre de gascons ainsi que tous les Béarnais, rentrèrent dans leur pays. La chevauchée était terminée. Dans la partie sud du Lauragais des villes ont été épargnées grâce aux relations amicales des Anglais avec Gaston Phébus. Les Français n'ont pas réagi.

Une autre chevauchée - 1356 - aboutit au désastre français de Poitiers
La tactique des chevauchés est reprise en 1356, mais à Poitiers l'armée française fait face et c'est la célèbre déroute de la cavalerie française commandée par le roi Jean le Bon. Les Français sont numériquement très supérieurs aux Anglais du Prince Noir. Le terrain choisi par les Anglais est couvert de vignes et de bois et la cavalerie française ne peut se déployer : les chevaliers doivent mettre pied à terre et se battre comme des fantassins. Ils tombent massivement sous les flèches des célèbres archers gallois. Le roi Jean se bat au corps à corps, la hache à la main; son jeune fils Philippe l'aide à parer les coups : "Père, gardez vous à droite ! Père, gardez vous à gauche !". Le roi est fait prisonnier et finalement libéré contre une énorme rançon.

Des souvenirs durables
La chevauchée de 1355 est un des épisodes les plus célèbres de l'histoire du Lauragais. Elle a laissé des souvenirs durables dans l'imaginaire des populations comme en témoigne le récit, sept siècles après, d'un paysan d'Ayguesvives (M. Maurel), en 1977, qui me raconte le passage et les atrocités d'"un homme noir", il y a très longtemps, sans aucune précision de date. Le souvenir du Prince Noir était donc encore bien vivant en 1977. Le paysan en question, par contre, était intarissable sur le passage et l'occupation des Anglais de Wellington en avril-mai 1814. Il connaissait et expliquait fort bien l'existence d'un cimetière militaire anglais à Baziège. Dans les monographies communales de 1885, le Prince Noir et le grand incendie du Lauragais sont toujours évoqués.

Couleur Lauragais est fier d'avoir fait revivre cet épisode tragique de notre histoire et d'avoir construit une carte (inédite) de la chevauchée.


Jean ODOL

Couleur Lauragais N°48 - décembre 2002