HISTOIRE
Circulation
des vins en Lauragais
A lépoque gallo-romaine
Un quart de siècle avant la conquête de la Gaule par César, le Lauragais est déjà sur la route des vins importés d'Italie. Les gaulois, grands amateurs de vin voient le prix de ce précieux breuvage doubler au péage romain d'Elusio au seuil de Naurouze. Au cours du procès qu'ils firent au gouverneur de la province, son défenseur Cicéron, eut beaucoup de mal à trouver des arguments convaincants pour défendre son illustre client.
Le grand marché des vins
Les premiers ceps de vigne arrivèrent probablement sur notre côte
méditerranéenne avec les phéniciens, mais c'est vers
600 avant J.-C. qu'en fondant Marseille, les phocéens amenèrent
les meilleurs cépages de Grèce. La production de vin dans le
sud de la Gaule resta très limitée jusquà la conquête
romaine. Les marchands et les vétérans romains venus sétablir
en terre lauragaise et à Toulouse après la création de
la première colonie provinciale à Narbonne en 118, nentendaient
se priver ni de leur boisson habituelle ni des bons crus quils avaient
appréciés dans leur pays dorigine. De leur côté,
les indigènes, nétaient pas en reste et leur goût
immodéré pour le vin était bien connu ; contrairement
aux romains et aux grecs, les Volques - Tectosages de la Narbonnaise consommaient
le vin pur (sans eau). La région devint rapidement un gros centre de
consommation et un grand marché pour les vins. Soucieux de réserver
ce nouveau marché aux vins italiens, les romains interdirent aux gaulois
de la Provincia et donc aux Tectosages du Lauragais, de planter de nouvelles
vignes.
Les vins italiens
arrivaient de Pompéi dans des amphores
Du IIème siècle av. au Ier siècle ap. J.-C. les vins
dItalie du sud arrivent en Lauragais depuis Narbonne. Le point de départ
des vins est Pompéi, port de la Campanie, région où se
sont constitués dés le IIème av. J.-C. de vastes vignobles
en raison de la qualité du terroir. Le vin est transporté dans
des amphores de 25 à 26 litres, qui pèsent pleines 40 à
50 kg. Leur origine est identifiée par un cachet placé sur le
col, lanse ou lépaule, tandis que la nature et la qualité
de leur contenu sont authentifiées par des inscriptions parfois peintes
en rouge ou en brun sur leur panse. Ces amphores sont fabriquées en
Italie près du lieu de production du vin et notamment dans la région
de Minturnes. Il sagit dun commerce très bien organisé
dont les romains auront le monopole jusquau Ier siècle ap. J.-C.,
les romains exportant à la fois le contenu et le contenant. Quant au
goût, le vin de cette époque ressemble peu au vin actuel, car
il est rarement consommé en létat et subit de nombreuses
préparations secondaires. Il est souvent additionné de miel
ou daromates ; pour le conserver il est parfois résiné
ou additionné dun peu deau de mer ; il est courant de verser
à sa surface de lhuile pour le protéger de lair.
Le Lauragais sur la route des vins
Les amphores sont transportées par des navires qui longent les côtes
italiennes puis celles du sud de la Gaule jusqu'à Narbonne ; elles
peuvent remonter sur plusieurs kilomètres le cours de lAude,
puis sont acheminées par des chariots ou à dos dâne,
de mulet ou de cheval vers des entrepôts pour être stockées
à proximité de la voie romaine de préférence à
des carrefours ou vers les lieux de consommation. Le Lauragais est alors sur
la route des vins importés dItalie. Pour gagner Toulouse, la
voie principale passe par le seuil de Naurouze et la vallée de lHers
Mort. Les chemins secondaires sont les routes des crêtes des collines
du Lauragais, au nord-est de la voie principale par les coteaux du Fresquel
et de la Marcaissonne (La Lauragaise) ou au sud-ouest par les coteaux de la
rive gauche de lHers, jusquà Vieille Toulouse.
Un trafic considérable
Cette circulation des vins impliquait la mise en place de tout un réseau
commercial, allant depuis le producteur jusquau consommateur en passant
par les négociants, les armateurs, les transporteurs et les vendeurs.
Ce commerce était aux mains des négociants romains ou italiens
immigrés qui avaient acca parés toutes les affaires. Le trafic
devait être considérable, si lon en croit la grande quantité
de débris damphores vinaires italiques qui jalonnent les routes
du vin en Lauragais jusqu'à Vieille Toulouse.
Rome percevait des taxes sur cette circulation des vins
Les bureaux de péage étaient nombreux. Le discours de Cicéron
de 69 "Pro M. Fonteio" fournit des renseignements précieux
sur le nom et la situation de ces péages ainsi que sur le montant des
taxes perçues et le nom des publicains chargés de prélever
limpôt. Dans sa plaidoirie Cicéron défend Marcus
Fonteius qui gouvernait la province à l'époque, entre -76 et
-74. Comme tous les gouverneurs, Fonteius était un véritable
monarque dans sa province et exerçait un pouvoir absolu. Les gaulois
accablent leur gouverneur de plusieurs griefs ; corruptions et détournements
d'argent étaient chose courante de la part des gouverneurs. Au dire
de ses anciens administrés, le grief le plus odieux et le plus grave
qui lui était reproché, concernait les droits de circulation
dont il avait arbitrairement frappé les vins en Lauragais. Le procès
eut lieu à Rome, les autochtones pour défendre leur cause y
avaient envoyé une importante délégation. Cicéron
fait état de 4 péages : Tolosa (taxe de 4 deniers), Crodunum
(3,5 deniers) Vulchalo (2,5 deniers) et Elusio (6 deniers).
Au seuil de Naurouze, le péage d'Elusio sur la route des Rutènes
La position des péages romains de Crodunum et de Vulchalo n'est pas
connue avec certitude. Quant au péage d 'Elusio, il était situé
au seuil de Naurouze au pied de Montferrand où ont été
mis à jour en 1956 les vestiges de lhabitat gallo-romaine de
lépoque avec ses thermes. Le nom antique sest conservé
dans celui de son église "Saint Pierre dAlzonne" et
dans celui de ses légendaires pierres "Peiras d Alzona".
Elusio occupait une place stratégique importante de part sa position
géographique, au seuil de Naurouze. D Elusio partait une route,
approximativement jalonnée par Montmaur, Les Cassès et Saint
Félix, qui allait chez les rutènes, peuple gaulois indépendant
qui se trouvait plus au nord, vers Rodez (la frontière devait être
approximativement sur lAgout). Cest au sujet de la taxe perçue
par le publicain Annius, à Elusio quéclata laffaire
Fonteius, plaidée par Cicéron.
Une taxe outrancière au péage d'Elusio
Avec une taxe outrancière de 6 deniers par amphore, Elusio était
le péage le plus cher de toute la région. Il faut savoir quà
cette époque le vin ordinaire se vendait à Rome 4 à 5
deniers lamphore. Une taxe de 6 deniers revenait donc à doubler
le prix du vin ; en y ajoutant le prix du transport maritime et terrestre,
cela revenait à multiplier par 4 ou 5 le prix du vin pour le consommateur
gaulois. Les raisons de cette taxe élevée à Elusio sont
mal connues et Cicéron eut beaucoup de mal à trouver les arguments
concrets pour défendre son illustre client. Certes, Fonteius était
soucieux de procurer de fructueux péages aux publicains romains issus
comme lui de la classe équestre. Peut être voulait-il aussi favoriser
les négociants romains de Toulouse en les faisant bénéficier
dune taxe réduite ; les rutènes avaient ainsi intérêt
à acheter le vin des négociants de Toulouse plutôt que
celui qui provenait d'Elusio. Pour Fonteius, cétait aussi une
bonne occasion de taxer les rutènes, peuple encore totalement indépendant
de Rome.
La taxe sur la circulation des vins italiens procura dimmenses profits,
dautant plus que la région avait aussi une fonction de redistribution
vers les peuples de la gaule indépendante implantés au nord
et à louest en Aquitaine. Le 1er siècle ap. J.-C. verra
la fin de ce monopole et le développement de vastes vignobles dans
tout le Midi.
Lucien
ARIES
(A.R.B.R.E)
Crédit photos : Lucien Ariès
Couleur Lauragais N°46 - octobre 2002