Au fil de l'eau
Histoires et légendes d'une voie d'eau
Le Canal du Midi a ses histoires, ses réalités et ses légendes. Jacques Batigne nous résume celles qui paraissent les plus significatives.
Les
histoires
"
Le Canal de Jonction des Deux Mers est sans contredit le plus
beau et le plus noble ouvrage de cette espèce jamais entrepris. Jeus
préféré la gloire den être lauteur
à tout ce que jai fait ou pourrai faire à lavenir
".
Ainsi sexprimait le Maréchal Vauban à propos de luvre
grandiose de Pierre Paul Riquet, en 1686.
Ceci nétant pas la moindre des reconnaissances de la part de
cette éminente personnalité que fut le Maréchal de France,
Sébastien Vauban, commissaire général des fortifications
au XVIIème siècle. Celui-ci nous le savons était un très
grand bâtisseur, mais essentiellement en architecture militaire, dans
lensemble du pays de France. Cest sous le règne du Roi
Soleil, Louis XIV, que ce projet gigantesque a vu le jour, approuvé
par Colbert, grand homme dEtat (ministre
) qui décidait
et organisait tout, dans la nouvelle politique dexpansion de ce grand
siècle.
Cette uvre de génie civil sans précédent, cest
bien évidemment, le Canal du Midi ou Canal Royal de Languedoc en ces
temps là.
Riquet
à Naurouze en 1665 - les eaux de la Montagne Noire
(Crédit photo :
Edition Loubatiéres,
Collection
j.Batigne)
Cette
voie deau entre Toulouse et Sète, permettait, par la Garonne,
la jonction des "Deux Mers : lOcéane et la Méditerranéenne",
à travers listhme gaulois. Cétait une idée
fort ancienne, pour ne pas dire antique
! A partir du moment où
le Royaume de France prit conscience de son homogénéité
hexagonale, lintérêt dune liaison fluviale navigable
reliant lAtlantique à la Méditer-ranée, devint
une nécessité économique et militaire. Et en particulier
pour "
faire cesser le passage obligatoire des bateaux par le détroit
de Gibraltar, profitable aux revenus du Roy dEspaigne à Cadix
",
comme le faisait ressortir Riquet, dans sa première lettre à
Colbert, le 16 novembre 1662, en lui exposant son projet de canal.
La plus
vieille de ces histoires, tient en quelques phrases : cest Tacite (écrivain
et historien romain) qui nous apprend que lEmpereur Auguste (né
à Rome en 63 av. J.C) projetait le creusement dun canal pour
épargner à ses vaisseaux la traversée difficile des "Colones
dHercule" et ainsi éviter un long détour pour atteindre
locéan
Un autre empereur, celui à la barbe fleurie, Charlemagne (ans 742-814)
aurait eu lidée de réunir les deux mers et y aurait renoncé
devant les difficultés de lentreprise.
Bien plus tard, François 1er, fit examiner en 1539, le plan dune
voie deau pouvant relier lAude et la Garonne
En 1598, Henri
IV, notre bon roi très populaire, à son tour demande détudier
le creusement dun canal en Languedoc.
Puis il y eut Louis XIII, qui à linstigation du Cardinal de Joyeuse
et du Cardinal de Richelieu, poursuivent le même dessein jusquen
1632.
Pour toutes ces idées, les solutions adoptaient le tracé le
plus direct et le plus court, essayant en vain, de joindre les eaux des fleuves
Garonne et Aude, en empruntant le passage naturel favorable : celui des légendaires
"Pierres de Naurouze", connu sous le nom de Seuil de Naurouze ou
du Lauragais. Grande voie de passage géographique et historique, qui
est enserrée entre les derniers contreforts du massif des Cévennes,
la Montagne Noire et les premiers du piedmont des Pyrénées,
les montagnes de Mirepoix et dAlaric.
Deux difficultés majeures avaient bloqué les différents
projets et idées jusque là. Le Col de Naurouze culminant à
une altitude de 200 mètres environ, très faible au demeurant,
mais faisant office de barrage entre Toulouse (132 mètres daltitude)
et Carcassonne (110 mètres daltitude). Doù limpossibilité
de faire se joindre les eaux de la Garonne et de lAude. Et comment alimenter
cette voie deau pour que les bateaux puissent naviguer toute lannée,
même en période de sécheresse estivale
?
La Montagne Noire toute proche paraissait être la solution à
ces difficultés. En effet, celle-ci véritable "château
deau naturel" semblait toute indiquée pour fournir le précieux
liquide. Fallait-il encore collecter les eaux de ses nombreux ruisseaux et
rivières coulant sur ses flancs soit sur le versant atlantique, soit
sur le versant méditerranéen
Fallait-il aussi les "emmagasiner",
constituer une réserve suffisante, avant de les conduire gravitairement
par des rigoles en un lieu précis qui serait le point le plus haut
dun canal
lieu de partage naturel : Naurouze.
Pour réaliser tout cela, un homme du pays est apparu en venant sinstaller
dans le Lauragais et au pied de la Montagne Noire : il sagit de Pierre
Paul Riquet. Il habite à Revel de 1648 à 1660.
Colbert
présente à Louis XIV le plan du Canal de Languedoc - 1663
(Crédit photo : Editions
Loubatières, collection J. Batigne)
Les réalités
Dans son mémoire adressé à Colbert (16 novembre 1662),
il soutient fermement quil a "trouvé des eaux à suffisance"
pour alimenter son canal
dans ce massif très boisé. Il
découvrira tout cela avec laide précieuse de Pierre Campmas,
le fils du fontainier chargé dalimenter en eau la bastide moyenâgeuse
de Revel (fondée en 1342). Ensemble ils vont parcourir vallons et vallées
de cette montagne, découvrant ainsi ses capacités hydrographiques
(voir Couleur Lauragais n° 4 et 5). Cest en automne 1665, quil
va faire creuser, avec ses deniers personnels une "rigole dessai",
en montagne et en plaine (un fossé de deux pieds sur deux 60
cm x 60 cm environ), pour prouver aux experts de la commission royale dépêchée
sur place, que les eaux, dont le premier captage est la prise dAlzeau
(à 660 mètres daltitude), arrivent bien à Naurouze.
Le pari engagé par Riquet, vis à vis du pouvoir royal à
Paris et de celui des Etats du Languedoc à Toulouse est gagné.
Et cest ainsi que va pouvoir se réaliser son grand dessein, son
rêve un peu fou.
Tout ira très vite par la suite, puisque une année après,
le roi Louis XIV, signera un Edit Royal (octobre 1666) et attribuera la construction
du Canal Royal en Languedoc à son concepteur, Pierre Paul Riquet. Les
travaux commencent dès les premiers mois de lannée 1667,
par le barrage réservoir de Saint Ferréol (magasin deau
aux dires de Riquet voir Couleur Lauragais n° 7) et des rigoles
dalimentation, celle de la montagne et celle de la plaine.
Les
légendes
Lieu-dit Naurouze : ce site mythique et légendaire inspira-t-il le
génie de Riquet
? Le "visionnaire de Naurouze", cest
le titre dune chronique dramatique écrite par Bernard Blancotte
(chez ARCAM en 1980), qui pourrait bien nous le faire croire.
Situé sur la voie antique "via aquitania" (époque
gallo-romaine - voir Couleur Lauragais n° 38) au pied du village historique
de Montferrand (Aude), ce lieu inspira bon nombre de poêtes languedociens
de tous temps.
Des légendes hantent encore nos mémoires par la présence
de mystérieuses pierres, sur lequelles en 1825, un obélisque
fut érigé en hommage au "Père du canal" , par
les descendants de Pierre Paul Riquet.
Celui-ci voulait faire en ce lieu un symbole et il avait projeté ceci
: "
autour du bassin lon doit bâtir une ville, avec
des pavillons sur le modèle de la Place Royale à Paris
,
il y aura de belles et grandes arcades par bas, pour aller à couvert
le long du quai
il doit y avoir une paroisse
un arsenal ou magasin
où lon tiendra toujours les bateaux
".
Au milieu de ce vaste bassin octogonal il prévoyait dériger
une statue du Roi Soleil (Louis XIV) sur un char traîné par des
chevaux marins
? Ces projets très "pompeux" ne virent
bien évidemment jamais le jour
!
Ceci nous amène à vous dire, en quelques phrases brièvement
résumées, deux des nombreuses légendes qui courrent sur
les Pierres de Naurouze : "selon une prédiction de Nostradamus,
lorsque les sept Pierres de Naurouze se rejoindront, il adviendra la fin du
monde
".
"
Les Pierres de Naurouze auraient été disséminées
dun geste coléreux par le géant Naurouzo, qui les transportait
pour la construction de Toulouse, en apprenant que la ville était déjà
construite
".
Et pour conclure ce propos, rappelons une citation en occitan à la
gloire de Pierre Paul Riquet :
"
Tant qué lé moundé durara, toun noum, Riquet
brounzinara
".
"
Tant que le monde durera ton nom, Riquet retentira
".
Bassin de Saint Ferréol
(Crédit photo : collection R.Julia)
Jacques
Batigne
Couleur Lauragais N°41 - avril 2002