Balade
Au
royaume du pastel :
Balades de Montgiscard à Villefranche
La distance de Montgiscard à Villefranche est modeste : 15 km, la superficie de la micro-région que nous étudions est faible et cependant que de choses à découvrir : une quinzaine d'églises du pastel, des châteaux prestigieux et même sur les bords du canal du Midi une borne célèbre où s'est amarré en 1787 le bateau d'un président des Etats-Unis d'Amérique.
Montgiscard : clocher mur à tourelles
(crédit photo : Anne-Marie Courthieu)
Un
couloir bien gardé
La nature a préparé un long couloir qui commence à Ramonville
et se termine à Avignonet-Montferrand. Ce sillon a été
préparé par des fractures (faibles) des couches de molasse,
masse argilo-calcaire constituant le soubassement de la région. Le
couloir est limité par deux failles orientées Est Ouest, entre
les deux, un effondrement a dessiné le sillon ; au Nord, vers Lanta,
Caraman, les couches sont moins soulevées qu'au Sud (région
de Montbrun, Espanès, Nailloux) où les altitudes sont nettement
plus fortes. La largeur du couloir est variable : 1 à 1,5km environ.
L'Hers mort, rivière au débit bien modeste, s'est ensuite glissée
dans la gouttière qu'il n'a pas creusée ; avant 1710, il serpentait
en dessinant de nombreux méandres et chaque année débordait
dans les marécages de bordure, immenses, de Toulouse à Avignonet
; ces marais boisés par la forêt de Baziège-Saint Rome,
zone sauvage où l'on chassait l'auroch à l'époque de
Charlemagne (IXème siècle) ; il reste un témoin de cette
forêt : le bois de Saint Rome. La gouttière a été
drainée par l'homme par de très longs travaux, commencés
vers 1710 ; l'essentiel est achevé vers 1750, des digues sont dressées
au XIXème siècle et les derniers travaux de recreusement sont
de 1975.
Les hommes ont utilisé le couloir pour y dessiner des routes, la voie
romaine, le canal de Riquet, la voie ferrée, l'autoroute.
Très tôt des villages se sont installés sur les bords
avec trois sites successifs ; à l'époque gallo-romaine, trois
villages sont traversés par la via aquitania : Montgiscard, Badera
(Baziège), Elusiodunum (St Pierre d'Alzonne- Montferrand) ; puis les
villages fortifiés du Moyen Age (les castra) s'installent au sommet
des collines dominantes avec des noms évocateurs ; Montlaur, Montgiscard,
Montbrun, Montgaillard, Montesquieu, Maurémont ; enfin troisième
site : les bastides reviennent près de la voie romaine ; Villenouvelle,
Saint Rome, Villefranche et un peu à l'écart : Labastide de
Simon de Beauvoir. Les bastides sont des constructions nouvelles du XIIIème
siècle, fortifiées elles appartiennent au roi de France et sont
le symbole de l'implantation du pouvoir royal en Lauragais, cette terre cathare
et hostile au roi par définition. Leur date de construction est révélatrice
: entre 1249 (mort du dernier comte de Toulouse Raimon VII) et 1271 : annexion
pure et simple des restes du comté par le roi et la mort de la comtesse
Jeanne. Le couloir est bien gardé par une quinzaine de castra et de
châteaux.
Un couloir
stratégique au passé agité
Tout ce que le midi de la France a connu de peuples envahisseurs, pillards,
conquérants avides de terres, sont passés par ici, de Montgiscard
à Villefranche ; certains s'y installent : Gaulois et Romains. Dès
la Préhistoire la route de l'étain utilise la gouttière,
puis la route des vins d'Italie (au Ier siècle avant JC), la route
du sel venant des salines de Narbonne, la route du pastel en direction de
Toulouse ; la route du blé, de Baziège vers Narbonne, par le
canal. Les peuples ont défilé ; nous citerons les plus connus
: les Volques Tectosagess, peuple gaulois qui s'enracine au IIIème
siècle avant JC, les Romains arrivent en 118, puis les Wisigoths, les
Francs, les Normands (ou Vikings), les arabes en 720, les Croisés de
Simon de Montfort en 1209, les armées du roi de France en 1226, la
chevauchée du Prince Noir en 1355, aboutissant " au grand incendie
du Lauragais ". Les Anglais de Wellington en 1814 ; ils ont laissé
un cimetière militaire à Baziège, enfin les Allemands
de la division SS das Reich en 1944.
La voie a été utilisée par les prédicateurs du
christianisme qui empruntent la voie romaine de Narbonne à Toulouse,
c'est l'événement fondateur de notre civilisation. Riquet y
construira son canal, l'Aéropostale utilise les collines pour y installer
des phares de navigation : il en subsiste un à Baziège, un autre
à Montferrand.
Villefranche : clocher mur à tourelles
(crédit photo : Pierre Fabre)
Le royaume
du pastel
La micro-région du Montgis-cardès, la vallée de Baziège
à Villefranche sont parmi les zones pastellières les plus réputées
du Lauragais ; trois villages s'étaient spécialisés dans
le ramassage des coques (boules de feuilles écrasées et séchées)
et leur concentration avant leur expédition vers Toulouse : Baziège,
Montgiscard, Villefranche. Le pastel est vraiment ici dans son royaume.
L'architecture
pastellière
Les fortunes pastellières permettent l'épanouissement d'une
architecture du pastel : les églises du pastel, les châteaux,
les pigeonniers, les fresques (de 1505 à Belberaud), les cloches du
pastel (1521 à Ayguevives). Les châteaux pastelliers sont au
nombre de 70 pour l'ensemble du Lauragais ; ici les principaux sont : Espanès,
Rabaudy à Castanet, Fourquevaux, les Varennes, Maurémont, Ayguesvives
(de la famille Antoine), à Montgiscard (Roqueville), à Baziège
(Las-tours).
Une densité
exceptionnelle d'églises du pastel
La richesse pastelière se traduit par de nombreuses églises
des XV-XVIème siècles ; certaines ont été remaniées
depuis, mais généralement à l'identique, comme par exemple
la façade et clocher de Montgiscard. On compte une vingtaine d'églises
du pastel comme : Maravals, Baziège, et St Colombe, Villenouvelle,
Villefranche, au Sud : Auzeville, Espanès, Pompertuzat, Donneville,
Montgiscard, Ayguesvives, Nailloux, Montgeard, Seyre, Montclar et plus loin,
vers l'Est : Salles sur l'Hers.
Toutes, sauf Salles, sont en belles briques rouges foraines ; ce matériau
coûteux est utilisé à partir des XV-XVIème siècles.
Deux types de clochers sont à distinguer : le clocher mur pignon (Donneville,
Ayguesvives, Baziège) : le clocher mur à tourelles : Montgiscard,
Villenouvelle, Villefranche.
Une balade
de découverte au nord du sillon
Circuit A :
En partant de Montlaur, et en se dirigeant vers l'Est, la première
église du pastel est Maravals avec un style gothique, des chapelles
à croisées d'ogives, le clocher-mur pignon ouvre la série
de ce type, avec trois baies campanaires.
A Belberaud, à côté d'un portail roman, il faut voir des
fresques de 1505.
Baziège est un centre archéologique très important, avec
une histoire très riche ; vieille cité gallo romaine, Badera
est traversée par la prestigieuse voie romaine (via aquitania) et le
village est un centre animé par le transit des vins d'Italie débarquant
à Narbonne. Baziège est ensuite un célèbre marché
de sel en provenance des salines de Narbonne ; ce marché perdure plusieurs
siècles, depuis 1005 jusqu'au XVème siècle ; puis un
marché au pastel, enfin un puissant marché de blé jusqu'en
2002 avec les énormes silos de Lastours. Un très beau château
dans la plaine de l'Hers : Lastours. Enfin les batailles célèbres
ont marqué l'histoire du village : la victoire des occitans sur les
croisés en 1219, le grand incendie de 1355, puis en 1814 une bataille
avec les anglais d'où le cimetière. L'église Saint Etienne
possède un très beau clocher mur ; le pignon est percé
de cinq baies campanaires avec des arcs en mitre. L'église primitive
du XIVème siècle a été agrandie au XVIème
siècle et modifiée au XIXème ; dans la nef, on distingue
deux étapes de construction ; l'abside et la première travée
sont couvertes par une voûte gothique à croisées d'ogives
avec lierne et tiercerons ; l'autre partie, reconstruite après les
destructions des guerres de religion (1570) est à croisées d'ogives
simples ; une borne militaire avec inscription du IVème siècle.
Baziège : clocher mur pignon
(crédit photo : Pierre Fabre)
Villenouvelle remplace un ancien village Saint Sernin de Gourdouville, village
qui était près du cimetière actuel ; il s'agit d'une
bastide construite sous Alphonse de Poitiers vers 1255 ; l'église est
sur l'emplacement d'une chapelle où aimait prêcher Saint Dominique
; le clocher mur est percé d'une porte d'entrée en arc brisé
et dans le tympan, Saint Dominique prêchant. La façade est ornée
de faux machicoulis ; la partie supérieure comporte deux tours rondes
reliées à la base par un balcon et un parapet. L'intérieur
récemment restauré présente une splendide voûte
gothique avec croisées d'ogives avec liernes et tiercerons.
Villefranche commande un carrefour de routes et a construit un port, très
important, sur le canal du midi, à Gardouch ; le quai Riquet. Il s'agit
d'une bastide d'Alphonse de Poitiers, vers 1254. Détruite en 1355 par
le Prince Noir, la ville entoure de remparts avec deux portes ; au XVIème
siècle, elle est une plaque tournante du commerce du pastel ; aux XVIII
et XIXème siècles, c'est le commerce du blé qui fait
sa fortune. La construction de l'église aurait débuté
vers 1271 mais par la suite, au XIXème, des agrandissements l'ont fortement
transformée ; la nef est un gothique splendide, sur croisée
d'ogives ; le clocher est un des plus connus du Lauragais, encadré
par deux tourelles polygonales ; faux machicoulis.
Les églises du sud du sillon
Circuit B :
Pompertuzat a une église du XVIème, à l'écart
du village, le clocher est imposant, en belles briques , renforcé par
un puissant contrefort, avec cinq baies à arcs romans.
Donneville a un clocher mur curieusement dissymétrique mais très
élégant ; un deuxième pignon plus petit est accolé
au premier.
Donneville : clocher mur pignon double
(crédit photo : Jean Odol)
Montgiscard possède une église parmi les plus connues du Lauragais,
notamment la façade Ouest. L'histoire du village est très riche
depuis les grands signeurs cathares (les Roqueville), l'incendie de 1355 et
le massacre de la population par le Prince Noir, l'insurrection royale de
1799. Ce fut encore un centre commercial pour le pastel. Le clocher mur de
l'église est dû à l'architecte François Bachelier
; il a été restauré à l'identique vers 1890 ;
la porte d'entrée est surmontée d'un très bel arc en
anse de panier ; deux tours polygonales encadrent les deux étages du
clocher, le dernier niveau étant couronné de merlons.
Ayguesvives : dérivé du bas latin aqua viva, devenu aigas vivas
en languedocien ; le territoire dépendant de Montgiscard et la séparation
des deux communautés est de 1710. Un fort entouré de fossés
est construit après 1355 : les restes de murs en terre ont été
mis à jour en 1987. L'église gothique est de 1500-1520 avec
une cloche datée de 1521 ; la nef a quatre travées et couverte
d'ogives ; à la clef un écusson avec les armoiries de la communauté
; le clocher pignon correspond à l'archétype régional.
Ami touriste,
il faut quitter quelques instants la gouttière de l'Hers et se déplacer
vers Nailloux et Montgeard ; le déplacement en vaut la peine. Il s'agit
de deux bastides royales de Philippe V le Long marquant l'implantation du
pouvoir royal dans le massif de collines entre Hers mort et Hers vif. Nailloux
à un clocher classique. Montgeard es le produit type du siècle
d'or de " l'herbe du Lauragais " (ou pastel). La nef gothique est
unique ; le porche est une tour énorme décorée de faux
machicoulis et restée inachevée ; le petit clocher actuel est
ajouté plus tard.
Couleur Lauragais vous a entraîné de clochers murs en bastides
; il reste bien des merveilles lauragaises à découvrir.
Jean ODOL
Couleur
Lauragais N°39 - février 2002