Gens d'ici
La famille Bonnifassy, épiciers à Baziège
L'épicerie est un des lieux central de la vie d'un village. La famille Bonnifassy, ce sont trois générations d'épiciers installés sur Baziège de 1913 jusqu'au milieu des années 80. Outre le magasin, les épiciers de Baziège assuraient également les tournées en fourgon pour apporter les produits de première nécessité aux agriculteurs du Lauragais. Couleur Lauragais est allé rencontrer Georges Bonnifassy et sa femme pour qu'ils nous racontent leur histoire.
Mrs
Bonifassy père et fils
(Crédit photo : Collection Mr. Bonifassy)
Trois
générations d'épiciers à Baziège
L'épopée familiale commence en 1913. Cette année-là,
un couple d'agriculteurs, Casimir Besset et son épouse, les grands
parents de Georges Bonnifassy, décide de reprendre un commerce d'alimentation
sur Baziège. L'activité se développe peu à peu
: pendant la guerre de 1914, c'est la grand-mère et sa fille qui prennent
le relais. En 1924, la mère de Georges reprend à son tour le
commerce à la suite de ses parents après avoir épousé
Paul Bonnifassy et six ans plus tard, un bâtiment est acheté
pour installer l'activité dans la grande rue de Baziège.
Georges Bonnifassy naît en 1926. Dans cette première moitié
de siècle, on n'avait pas encore pour habitude de laisser le choix
aux enfants et, en tant que fils unique, la succession de l'affaire familiale
est toute trouvée. Il se marie en 1950 et c'est sa femme, elle-même
fille de boulanger, qui va assurer avec lui la reprise du magasin ainsi que
les tournées en fourgon dans la campagne lauragaise.
Un
commerce polyvalent
Les activités d'un épicier à cette époque, se
rappelle Georges, étaient très variées. Outre la classique
vente de produits d'alimentation générale, le magasin proposait
également la vente de pétrole et d'essence pour le ravitaillement
des batteuses. Pendant les moissons, Paul, son père, prenait sa camionnette
Citroën B15 et livrait aux fermes alentour des caisses de 5 litres et
des fût de 200 litres du précieux combustible.
Mais ce n'était pas là toutes ses activités : le magasin
possédait aussi un rayon Mercerie et vendait des produits aussi divers
que des produits d'entretien pour les vignes (soufre, sulfate,...), du sel
agricole pour les fourrages (celui-ci servait à conserver le fourrage
et avait la caractéristique d'être de couleur rouge, pour éviter
de le confondre avec le sel alimentaire), les semences, graines potagères
ou tout autre produit susceptible d'être demandé par les clients.
Des
journées particulièrement chargées
La journée type du couple à cette époque commençait
vers 6h30 du matin pour se terminer vers 21h le soir. A cette époque,
le magasin ouvrait à 7h15 et ne fermait pas avant 20h. Les vacances
étaient alors inconnues : on travaillait toute l'année sans
interruption. A partir des années 70, le commerce a fermé le
lundi mais ce n'était pas pour autant un jour chômé. Georges
en profitait en effet pour aller faire le plein de marchandises sur le marché
toulousain d'Arnaud Bernard ou encore au marché gare de Lalande.
La langue d'usage était le patois qu'on utilisait alors pour tous les
échanges. C'était une autre époque, souligne Georges,
une époque où l'on se faisait souvent payer par des échanges
de marchandises. L'épicerie récupérait ainsi plus de
1000 douzaines d'oeufs par semaine. Ceux-ci étaient échangés
dans les fermes contre de la nourriture et revendus ensuite à des volaillers.
La
tournée dans les villages du Lauragais
Dans les années 50, toutes les fermes du Lauragais sont habitées
et beaucoup réclament une tournée de l'épicier pour se
faire amener les produits de première nécessité. La tournée
en fourgon se faisait tous les jours sauf le dimanche et les jours fériés
et cela toute l'année. Le fourgon prenait chaque jour un itinéraire
différent. On le chargeait dès 6h30 et on partait sur les routes
vers 9h.
Ces tournées, explique Georges, rendaient de nombreux services dans
des zones éloignées de la ville ou pour des personnes qui avaient
encore peu de moyens de locomotion. L'ambiance était très conviviale
et les clients devenaient aussi des amis. Beaucoup se souviennent encore de
la tournée du fourgon peint aux couleurs d'un célèbre
chocolat et que tous attendaient avec impatience. Les plus jeunes se perchaient
sur les cale pieds à l'arrière du fourgon pour commander bonbons
et friandises alors que les adultes venaient à la fois chercher leurs
commissions et échanger les nouvelles sur les habitants des cantons
alentour. Mais Georges se souvient aussi de la dureté des tournées
hivernales. Les températures pouvaient descendre si bas, même
à l'intérieur du fourgon, qu'il fallait alors chauffer l'huile
alimentaire, vendue à la pompe, pour pouvoir la décongeler et
la livrer aux clients. Le fourgon permettait également de faire les
marchés les plus importants de la région ou encore de livrer
des marchandises particulières : le sel nécessaire aux salaisons
lorsque l'on tuait le cochon, ou encore les boissons pour les travailleurs
agricoles à l'époque des battages ou des vendanges.
Pour les anciens baziègeois, c'est resté longtemps l'épicerie
Besset.
Mr
et Mme Georges Bonifassy
(Crédit photo : Collection Mr. Bonifassy)
Les
profondes mutations des années 70
Plusieurs changements majeurs sont intervenus vers la fin des années
70. Ce fût d'abord l'arrivée du concept de libre service qui
a radicalement changé non seulement le rapport avec les clients mais
également l'agencement même du magasin. Auparavant, le client
ne se servait pas, il arrivait au comptoir et attendait qu'on lui apporte
les produits dont il avait donné la liste au vendeur. La devanture
était souvent sombre, sans vitrine avec de lourds placards de bois.
Le libre service a entraîné une modification complète
de la présentation du magasin : les espaces publicitaires se sont agrandis,
de grandes vitrines ont été installées et le client a
désormais eu un accès direct aux marchandises. Le rapport client/
vendeur est aussi devenu un peu plus impersonnel qu'il ne l'était auparavant.
Autre changement majeur, toujours vers la fin des années 70, et sans
doute en lien direct avec le précédent : l'apparition des premières
grandes surfaces. La démocratisation de la voiture facilitait en effet
les déplacements et permettait de parcourir un plus grand nombre de
kilomètres pour faire ses courses. Les grandes surfaces se construisent
alors à la périphérie des villes attirant de nombreux
consommateurs.
Ces profondes mutations sont la cause de la disparition de certains magasins.
Alors qu'il existait cinq magasins à Baziège au milieu du XXème
siècle, il n'en reste plus que deux au début des années
80.
La clientèle avait évolué : plus exigeante et sans doute
aussi un peu moins chaleureuse. Dans ces conditions, il était difficile
de reprendre la suite et les deux filles du couple ont toutes deux choisi
une autre activité.
M. et Mme Bonifassy ont quitté le métier sans regret : quand
on a travaillé aussi durement toute sa vie, la retraite est un moment
très apprécié !
Interview : Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°36 - Octobre 2001