Gens d'ici
Hubert ROQUES, enseignant de l'après-guerre à nos jours
Hubert Roques a exercé les fonctions d'instituteur et directeur d'école dans le Lauragais de 1954 à 1986. Au cours de sa carrière, il a pu constater les nombreux changements survenus dans le système éducatif . Il nous raconte sa vie d'enseignant dans le Lauragais audois.
La classe d'Hubert Roques - Ecole de St Paulet - 1954/55
Crédit
photo : Collection Hubert Roque
Les débuts
de carrière
Pour Hubert Roques, devenir instituteur était une vocation. Il passe
son Certificat d'études pendant la guerre et entame ensuite des études
secondaires au collège de Revel. Il réussit le concours d'entrée
à l'Ecole Normale de Carcassonne en 1949, et 5 ans après il
commence sa carrière d'instituteur. D'abord nommé à Saint
Paulet, il est chargé d'une classe de 35 élèves qui va
de la section enfantine au Certificat d'études (soit des enfants de
5 à 14 ans). Il n'est pas évident, pour un enseignant débutant,
de gérer en même temps une si grande disparité d'élèves
et de niveaux. D'autant qu'il n'a pas le droit à l'erreur. D'un côté,
la section enfantine qui représentait alors le premier contact des
enfants avec l'école (la maternelle n'existait pas encore) ; de l'autre,
le Certificat d'études, véritable sésame qui exigeait
une forte implication de l'enseignant pour mener le plus grand nombre d'élèves
aux portes de l'examen.
Le mythique
Certificat d'études
Un examen qui a marqué son époque. Il fallait alors avoir une
culture générale relativement étendue pour pouvoir y
prétendre. En plus des matières classiques comme le calcul ou
l'orthographe, les professeurs devaient aussi enseigner des matières
telles que l'agriculture et le jardinage pour les garçons ou la couture,
la cuisine et la puériculture pour les filles. L'instituteur ne pouvait
tout connaître mais il avait heureusement l'appui de personnes du village
qui venaient bénévolement dispenser certains cours.
Le Certificat était aussi l'occasion d'un autre concours. En effet,
une rivalité s'était peu à peu mise en place entre les
instituteurs, chacun espérant qu'un élève de sa classe
arrive premier sur l'ensemble du canton.
L'école,
lieu de vie au centre du village
L'école de campagne est toujours un lieu central de la vie du village.
Les élèves y venaient à pied, souvent de très
loin, pour assister aux cours. Il amenaient avec eux leur gamelle pour déjeuner.
Le maître d'école était considéré comme
l'un des notables de la ville au même titre que le curé ou le
maire. On l'invitait aux repas de famille ou encore à la fête
du cochon. L'instituteur avait toujours droit à quelques échantillons
de cochonnailles et Hubert avoue qu'il a ainsi pu largement comparer les qualités
gustatives des saucisses et saucissons produits par les agriculteurs de sa
commune.
Instituteur
au service militaire
Mais l'heure du service militaire a sonné. Un devoir qui ne l'empêche
pas de continuer à exercer son métier. Avec un autre appelé,
instituteur lui aussi, ils décident de prendre en charge en cours du
soir, un groupe de 35 appelés illettrés, et d'essayer de les
amener au niveau du Certificat. Un projet qui sera stoppé net par la
guerre d'Algérie. Mais Hubert se souvient encore de la motivation qu'avait
ce groupe de jeunes, conscients de leur handicap et qui avaient trouvé
un moyen d'y remédier. En quelques semaines, ils avaient déjà
fait des progrès considérables.
Les évolutions
du système éducatif
A son retour du service, en 1957, Hubert trouve un nouveau poste dans l'Aude
avant de se marier et d'obtenir un poste pour lui et sa femme à Montmaur.
Puis il est nommé en 1969, directeur de l'école de Bram, une
école de douze classes. C'est à cette époque que les
classes séparées garçons et filles commencent à
disparaître au profit des classes mixtes ; premier signe d'une évolution
de tout le système éducatif qui a débuté à
la fin des années 60.
L'année 1968 est une période difficile pour les enseignants.
Ils sont en effet en grève pendant plusieurs semaines. Hubert culpabilise
de ne pas être auprès de ses élèves. 1968, c'est
aussi l'arrivée officielle des parents dans l'éducation. Désormais,
l'institeur est tenu officiellement de les informer sur les cours et leur
contenu. Mais Hubert n'avait pas attendu cette date car il faisait déjà
participer activement les parents auparavant. Autre changement de poids, les
devoirs à la maison sont supprimés. Hubert et les autres enseignants
de son école décident néanmoins de continuer à
faire travailler les élèves en dehors des cours, jugeant cela
indispensable pour atteindre un bon niveau et dans la perspective du travail
à la maison qu'ils auraient en classe de 6ème.
Les matières
enseignées
Le contenu des cours évolue également. Hubert déplore
que les matières classiques aient perdu de leur importance au fil du
temps au profit de disciplines dites d'éveil. Les maths modernes, décrétées
par le Ministère, arrivent comme un cheveu sur la soupe. Les parents
ne les comprennent pas et les instituteurs restent sceptiques quant à
la réussite de ce type d'enseignement.
L'instruction civique est enseignée dans les années soixante
sur un rythme d'environ une heure par semaine. Elle devient ensuite "éducation
civique" et perd progressivement de son importance dans les programmes.
Ces cours, reconnaît Hubert, étaient très succints, mais
ils permettaient néanmoins au futur citoyen / électeur d'acquérir
les bases du civisme.
Les manuels de classe aussi ont beaucoup évolué. Au départ,
ils s'appuyaient sur des méthodes classiques qui avaient fait leurs
preuves. L'intégration de nouvelles méthodes pédagogiques
en ont fait certes des outils plus accessibles mais qu'Hubert trouve moins
adaptés au sérieux de l'enseignement.
Hubert Roques et sa classe de CE2 - Ecole de l'Ouest -
1986
Crédit
photo : Collection Hubert Roques
Au fil des années, l'enseignement s'est largement démocratisé.
Autrefois, seuls les meilleurs élèves avaient une chance d'accéder
aux études secondaires. Aujourd'hui, une large majorité de jeunes
arrive à ce niveau et même au-delà. Mais pour Hubert l'époque
a aussi ses revers de médaille : des problèmes familiaux de
plus en plus nombreux sont apparus perturbant la scolarité des élèves.
L'arrivée de la télévision a bouleversé le mode
de vie des enfants. A ce sujet, Hubert est intraitable : "elle aurait
pu être un formidable outil pédagogique mais hélas elle
diffuse des programmes qui, à de rares exceptions près, sont
mal adaptés au public des enfants et n'apportent aucun intérêt
sur le plan éducatif".
Hubert a terminé sa carrière professionnelle à l'Ecole de l'Ouest à Castelnaudary (aujourd'hui école Prosper Estieu) puis a pris sa retraite en 1986. Ses anciens élèves continuent toujours à venir le voir ; il prend alors grand plaisir à discuter avec eux, savoir ce qu'ils sont devenus, ces générations d'élèves qui se sont un moment arrêtées devant son tableau.
Interview : Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°35 - Septembre 2001