Dossier
Les Châteaux du Pastel
L'or bleu du Lauragais, ou pastel, a été cultivé dans d'autres régions de France ou d'Europe, mais c'est " l'herbe du Lauragais" (c'est ainsi qu'on l'appelle au XVIème siècle) qui fournit la meilleure qualité d'agranat, c'est à dire le produit fini utilisé par les teinturiers. Il a pratiquement disparu de nos collines ( sauf dans la région de Castelnaudary ) et cependant une simple promenade du côté de Lanta, de Caraman ou de Saint Papoul nous permet de rencontrer, et d'admirer, ses conséquences architecturales splendides : les fameux châteaux du pastel, ces constructions des XVème et XVIème siècles, âge d'or du pastel ; nous en avons localisé 60 !
Les
grands types de châteaux du Lauragais
En parcourant les communes du Lauragais, on peut observer dans chacune d'entre
elles une église (parfois plus, jusqu'à 5) et de nombreux châteaux,
d'allure souvent très différente les uns des autres. Pour s'y
retrouver, voici quelques idées fondamentales : les châteaux
correspondent à trois périodes d'actives constructions et trois
types architecturaux correspondent pour chaque période ; en plus un
quatrième type composite :
1 - les châteaux forteresses du Moyen-Age
2 - les châteaux du pastel, construits aux XV et XVIème siècles
3 - les châteaux du blé-froment : XVIIIème et première
moitié du XIXème
4 - des châteaux composites, car il est rare que les constructions actuelles
soient architecturalement homogènes, mais ils ont été
fréquemment remaniés et complétés.
Château
de Baraigne
L'idée fondamentale est la suivante : pour bâtir un château, ou une église, toujours coûteux par ses dimensions le propriétaire doit disposer de moyens financiers considérables, sinon énormes. Les capitaux nécessaires ont forcément deux sources : les rémunérations que perçoit le constructeur par ses fonctions au Parlement de Toulouse par exemple, ou dans l'administration royale (Pierre-Paul Riquet était receveur des gabelles et édifie le château de Bonrepos ; François de Rougier élève Ferrals car il était secrétaire général des guerres, trésorier de France à Montpellier, sénéchal de Lauragais). Surtout les capitaux résultaient de la commercialisation de produits issus de l'agriculture. Pour le Lauragais, ils sont au nombre de deux : le pastel et le blé. Le pastel est vendu dans toute l'Europe et permet une accumulation capitaliste énorme qui permet de bâtir par exemple l'hôtel d'Assézat à Toulouse. A partir de 1681, les barques du canal du Midi sont le moyen de transport qui permet la vente massive de blé vers Sète, Narbonne, la Catalogne, la Provence et l'Italie ; la prospérité bladière du Lauragais s'arrête en 1857 avec l'arrivée des blés russes à Sète et ceux de la Beauce à Toulouse grâce aux chemins de fer.
Château
de Labécède
Les châteaux-forteresses du Moyen-Age ont une fonction militaire ; très anciens, en terre et bois, la plupart ont disparu ; il en reste quelques murailles, ainsi le mystérieux donjon de Salles sur l'Hers (XIIème ?), celui d'Auriac sur Vendinelle qui sert de clocher à l'église ; la base de Montgey est médiévale ainsi que les parties basses des murailles du Présidial de Castelnaudary, certaines parties de la Pomarède.
Les châteaux du pastel datent des XIV-XV-XVIème siècles, ils sont en briques dans le Lauragais occidental (celui de la Haute-Garonne) ou en pierre dans le Lauragais oriental ou affleurent des bancs de calcaire et de grès ; ils sont souvent fortifiés.
Les châteaux
du blé (1681-1860 environ) apparaissent durant deux siècles
avec un prix de vente du blé qui monte régulièrement
; de nombreux grands propriétaires ont les moyens correspondants de
dresser de belles demeures avec de grandes ouvertures sans aucun souci de
défense.
Les châteaux composites correspondent à plusieurs phases de construction
; fréquemment commencés au XVIème siècle, ils
sont ensuite remaniés et repris aux XVIII-XIXème. Au XVIIème
siècle on construit peu ; les guerres de religion s'arrêtent
seulement en 1630, puis des guerres civiles (la Fronde), la peste, des famines
: celle de 1692-94 fait disparaître deux millions de Français.
Les
fortunes fondées sur le pastel
Le pastel est source d'énormes richesses. La culture couvre le Lauragais
dans sa totalité ; cependant certains historiens (Jorré, Caster)
pensent que c'est plutôt dans les régions de Montgiscard, Lanta,
Caraman, Nailloux que se dessine la plus grande densité de moulins
pasteliers. Une thèse récente (Maguer) montre cependant que
la culture pastelière a été pratiquée massivement
dans la zone autour de Castelnaudary. Les grands propriétaires commercialisent
d'abord les coques (d'où l'expression pays de cocagne) en les vendant
à des négociants locaux lesquels revendent aux grands "princes
du pastel" de Toulouse et d'Albi. Ces princes pratiquent le commerce
international en exportant l'agranat vers l'Espagne, la Catalogne, l'Angleterre,
les Pays Bas (Anvers), l'Allemagne ; ils s'appellent Lancefoc, Serravère,
Cheverry, Assézat, Bernuy, Beauvoir (ce dernier a donné son
nom à Labastide Beauvoir). Ils concentrent entre leurs mains des fortunes
fabuleuses ; c'est Jean de Bernuy qui se porte garant de la rançon
de 25.000 écus d'or que le roi de France François 1er doit payer
aux Espagnols après sa capture à la bataille de Pavie (1525).
Sur leurs terres lauragaises, ils ont élevé les châteaux
qui sont toujours là.
Château
de Loubens bouches à feu
Géographie
et architecture des châteaux pasteliers
La carte ci jointe est une première ; les lecteurs de Couleur Lauragais
ont le privilège de lire une carte inédite de la répartition
des châteaux. Ce document est certainement très incomplet, notamment
pour la partie audoise du Lauragais. Malgré ces manques nous observons
une densité plus forte dans l'ouest du pays de Laurac : 9 châteaux
dans le canton de Caraman, 9 dans celui de Montgiscard, 6 Castanet, 5 Lanta,
5 Villefranche, 5 Revel, 3 Nailloux, 1 Auterive, 1 Cintegabelle. Pour l'ensemble
du Lauragais audois : 13 dont le plus grand, Ferrals (Saint Papoul), ou encore
Marquein, aux énormes dimensions. Cette densité plus élevée
à l'ouest correspond à une zone de culture intensive, plus dense
qu'ailleurs et qui apparaît bien sur les cartes d'un historien du pastel
(Caster).
On reconnaît un château du pastel lorsqu'on vous dit qu'il est de type Renaissance. Il n'est plus une forteresse du Moyen-Age, mais cependant des soucis de défense sont évidents dans une période troublée par des bandes de pillards. La sécurité absolue n'existe pas et il vaut mieux prévoir des moyens de défense, comme par exemple des tours circulaires aux angles de la construction, ce qui permet de battre toutes les murailles. Dans certains, on observe des orifices à la base des murs ; ce sont des bouches à feu permettant le tir des premières armes à feu, mousquets, pistolets de rempart, couleuvrines (sorte de petit canon), ainsi à Montmaur et Espanès. Les grandes ouvertures sont divisées en quatre parties par des colonnes de pierre, il s'agit des fenêtres à meneaux, trait très spécifique du style Renaissance. Parfois des terrasses peuvent, en cas de besoin, accueillir des canons, ainsi à Ferrals, château inachevé.
Quelques
châteaux plus célèbres
Le plus près de Toulouse : Auzielle. Le plus illustre propriétaire
de cette énorme construction est sans doute François de Roquette,
avocat au Parlement de Toulouse pour la fille duquel Malherbe composa des
vers célèbres. Les angles sont flanqués de deux tours
rondes au Sud et carrées au Nord, datant de la fin du XVIème
siècle. A l'origine le château est entouré de douves franchissables
au Sud et au Nord par des ponts dormants et à l'Est par un pont levis.
A Baziège, Lastours a conservé ses douves toujours en eau. Une
tour forte permettait de surveiller la plaine de l'Hers ; elle est ensuite
englobée dans l'angle Nord Ouest du château construit, sans doute,
à la fin du XVIème siècle (?) ; le domaine de Lastours
a servi de résidence de chasse à Catherine de Médicis
au XVIème et a appartenu, au XVIIème, à la famille des
Ferrières, gros marchand pastelier. Une très belle cheminée.
Les Varennes : l'ancien château fort est remplacé en 1582 par
un nouvel édifice construit à l'initiative de Claude de Saint
Félix sur les plans de l'architecte toulousain Dominique Bachelier.
Au XVIIIème siècle le château est modifié par la
construction d'une cour en fer à cheval ; dans cette cour, une centaine
d'anneaux en fer servent à attacher les chevaux lors des foires.
Château
de Tarabel
Mauremont : François de Saint Félix reçoit la terre de Mauremont par son mariage avec Antoinette de Puybusque; c'est leur fils Germain qui fait édifier le château vers 1580 par Dominique Bachelier. Le bâtiment entièrement de briques se compose d'un bâtiment principal rectangulaire flanqué d'avant corps latéraux ; les deux ailes ont deux tours carrées qui sont des pigeonniers. L'actuelle façade cour, avec son fronton triangulaire date de 1784.
Ferrals : se situe à quatre kilomètres au Nord Est de Saint Papoul ; c'est l'un des châteaux les plus spectaculaires du Lauragais. Le constructeur François de Rougier est un très haut personnage du XVIème siècle qui termine sa carrière comme ambassadeur en Turquie puis à Rome où il meurt en 1575. L'ouvrage a été commencé en 1564-65 et c'est le 27 janvier 1565 que le château est honoré de la visite du roi Charles IX, de sa mère Catherine de Médicis et d'Henri de Navarre ; un somptueux déjeuner fut servi dans une salle de festin permettant le déploiement d'une grande mise en scène à l'italienne avec orage simulé, pluie de parfums. L'édifice est constitué par un corps de logis de plan carré avec quatre tours losangées aux angles, ce qui souligne le caractère d'architecture militaire de la place ; il semble qu'il y ait eu deux campagnes de construction. Un bastion permet de battre le ruisseau en contrebas et le gué qui permettait le passage vers le château, avec une plate forme de tir (canon) ; le front Sud est percé de meurtrières pour armes à feu de petit calibre; d'autres ouvertures canonnières étaient destinées à recevoir une véritable artillerie. L'ensemble est inachevé car François de Rougier habite très rarement Ferrals. C'est malgré cela un édifice d'un grand intérêt et d'une indéniable personnalité.
Invitation
aux promenades pastelières
Nous proposons quelques circuits de découvertes, pour tous ceux qui
désirent admirer les châteaux du Lauragais, les points de départ
étant Ramonville, Castanet et Saint Orens.
A- Le circuit Nord Lauragais nous conduit à Auzielle, Loubens (avec une visite guidée très bien organisée), le Faget, Auriac (il faut voir également le clocher donjon de l'église et la chapelle romane Notre Dame de Noumérens), Cambiac, Juzes, le Vaux, Saint Félix : étudier ici la bastide avec sa place, la halle, le beffroi, la collégiale et ses voûtes gothiques, Déodat de Séverac, la salle de la Commanderie.
B- Un circuit Centre Lauragais nous permet de voir ceux de Fourquevaux, Montlaur, Tarabel, les Varennes (une bastide), Maurémont, Montmaur, Saint Paulet, Labécède, Ferrals.
C- Un circuit Sud Lauragais avec Aureville, Espanès, Roqueville (commune de Montgiscard), Monestrol, Caignac (aux hospitaliers), Marquein, Belflou, Baraigne, Payra sur l'Hers.
Des balades ponctuelles privilégient Auzielle, Lastours (à Baziège), Loubens, Juzes, Marquein, Belflou, Baraigne, Ferrals (l'un des plus intéressants, mais ne se visite pas).
Jean
ODOL
Couleur
Lauragais N°34 - Juillet - Août 2001