Dossier
Jean Rolland, chef de gare sur lancienne ligne de chemins de fer du Lauragais
Jean Rolland a travaillé comme chef de gare sur la ligne de chemins de fer Toulouse-Revel dans l'immédiat après guerre. Il nous raconte la vie de cette ligne et les petites anecdotes du "train noir" durant ses quarante années de bons et loyaux services.
Jean Rolland a toujours vécu proche des trains. Son père était
cantonnier sur les voies de la gare Toulouse-Roguet (située dans le
quartier St Cyprien), et les voies ferrées faisaient partie de son
environnement quotidien. Tant et si bien que Jean souhaite rapidement en faire
son métier. En 1942, il réussit le concours de chef de train
mais doit partir, dès 1943, en Allemagne au Service du Travail Obligatoire
(STO). A son retour, en 1945, il devient chef de gare intérimaire et
assure les remplacements sur de nombreuses gares de la région.
Jean Rolland,
chef de gare (Crédit photo : Collection Semenou)
La
ligne Toulouse-Revel
La ligne du Lauragais, reliant Toulouse à Revel, Jean la connaît
bien comme il connaît les petites histoires et anecdotes qui ont construit
sa légende. La ligne est ouverte en 1907. Le trajet long d'une cinquantaine
de kilomètres comptait 19 haltes partant de Toulouse, près du
port Saint Sauveur, à hauteur de la passerelle des soupirs. La voie
longeait ensuite le canal en direction de la route de Revel (l'actuelle avenue
Saint Exupéry).
Le bâtiment qui abrite actuellement les archives départementales
servait à l'époque de dépôt de matériel.
La gare était située au niveau de l'actuel supermarché
du Pont des Demoiselles.
La correspondance avec les lignes de tramway se faisait avec un arrêt
facultatif place de l'Ormeau. La ligne continuait ensuite vers la gare de
Montaudran puis vers celles de Fonsegrives, Drémil Lafage, Lanta, Caraman,
Auriac sur Vendinelle, Saint Julia, Le Bouyssou et enfin Revel. Trois trains
de voyageurs et un train de marchandises faisaient le trajet aller-retour
chaque jour entre les deux villes haut-garonnaises. Le train de marchandises
servait notamment à transporter le calcaire blanc extrait des carrières
du Cabanial qui était utilisé pour le revêtement des chemins
ruraux.
Le
travail du chef de gare
Jean a travaillé sur plusieurs gares de la ligne : Pont des Demoiselles,
Caraman et Revel notamment. Ces remplacements duraient en général
de 15 jours à un mois. Une période durant laquelle il devait
être présent 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 dans la gare.
Il y dormait la nuit dans un lit cage pliant installé le soir dans
la salle d'attente. A cette époque, on ne comptait pas les heures que
l'on faisait : les horaires étaient souvent très fluctuants.
Le chef de gare se devait aussi d'être polyvalent. Il assurait à
la fois les services voyageurs et marchandises, la vente des billets, le départ
des trains et aidait à charger et décharger les wagons. Il dirigeait
également les manoeuvres en donnant les consignes aux conducteurs.
Une
attraction pour tous les usagers
Au démarrage de la ligne, le train constituait une véritable
attraction que l'on prenait parfois le dimanche pour parcourir seulement quelques
kilomètres. Les bons jours, le trajet Toulouse-Revel se faisait en
moins de deux heures avec la Micheline et en près de 2h30 avec le train
à vapeur (on l'appelait le "train noir" en raison de l'épais
panache de fumée que crachait la locomotive). La vitesse, pas plus
de 25 km à l'heure en moyenne, autorisait même le voyageur, dans
certaines pentes un peu abruptes, à descendre du train, marcher un
moment à ses côtés et remonter un peu plus loin. Certains
se souviennent encore de trajets de plus de cinq heures ramenant la vitesse
moyenne à un modeste 10 km/heure.
Qu'importe ! L'ambiance était joyeuse et chaque halte constituait une
occasion de boire un verre de vin blanc au café terminus.
Les
petites histoires de la ligne
Jean raconte encore les nombreuses anecdotes qui ont marqué la vie
de la ligne. Comme en ce mois de mai 1916, à une époque où
il ne travaillait pas encore dans la compagnie. Un terrible accident de train,
dû au vent d'autan, eu lieu près de Revel, accident qui reste
encore gravé dans la mémoire des plus anciens.
Juste avant la gare en effet, se trouvait la partie la plus dangereuse du
trajet : une courbe en pente précédait un pont à tablier
métallique que les conducteurs de trains appelaient le "viaduc
de la vacherie" (nom d'une ferme) tant cet endroit leur paraissait traitre.
Toulouse, route
de Revel entrée du pont des Demoiselles
(Crédit photo : Collection Berges - Semenou)
Les
faits divers sur cette ligne étaient le plus souvent le fait de "blagues
de potaches". Le meilleur exemple en reste le vol de la locomotive à
la gare de Revel. Le 15 mai 1931, à 6h15, le chauffeur se rend au dépôt
de Revel pour aller chercher la locomotive et commencer sa journée.
Là, surprise, la machine a disparue. Le chauffeur affolé appelle
alors les chefs des gares voisines pour leur demander s'ils ont vu passer
le convoi. Celui de Montauriol est affirmatif : le troupeau d'oie proche de
la voie ne s'est pas agité ce matin : impossible donc que le train
soit passé. On retrouve finalement l'objet du délit à
quelques kilomètres de la gare de Revel au lieu dit "En Carette".
Le coupable est désigné :
il s'agit d'un conscrit qui venait de passer en conseil de révision
et avait été déclaré bon pour le service. Comme
le voulait à l'époque la coutume, un bizutage était organisé
dont l'objet, cette fois ci avait été le vol de la locomotive.
Une blague qui coûta cher au père du conscrit puisque il dût
payer à la compagnie des chemins de fer l'équivalent du prix
d'une paire de vaches, un montant énorme pour l'époque.
D'autres histoires illustrent aussi l'ambiance particulière qui régnait
autour de cette ligne. Quelques garnements avaient ainsi détaché
les derniers wagons du train à la gare de Saint Pierre de Lages et
quelle ne fût pas la surprise du mécanicien qui, arrivé
à Lanta, se rendit compte de la perte de ses précieux wagons.
Il dut faire marche arrière pour aller les récupérer
sous les yeux médusés des voyageurs restés dans le wagon
de queue.
On raconte aussi l'histoire de ce voyageur qui avait l'habitude de prendre
le train entre Toulouse et Montauriol avec son chien. Le toutou se plaisait
tellement dans le train qu'il avait pris l'habitude d'aller seul jusqu'à
la gare, les jours où son maître ne se déplacait pas,
pour s'intaller dans un wagon et faire ainsi le sagement le voyage jusqu'à
Montauriol où il descendait invariablement sans jamais se tromper d'arrêt.
La
fin de l'épopée
A partir de 1935, la concurrence des premières automobiles, plus rapides,
fut impitoyable. La ligne a tenu bon encore quelques années mais dû
finalement fermer en 1947. Les michelines de cette ligne ont été
reportées sur la ligne de Boulogne, plus rentable et en décembre
1949, la régie des chemins de fer du Sud-Ouest a finalement été
liquidée. Jean Rolland fût transféré au service
des bus à la fermeture de la ligne et il partit à la retraite
en 1976. Il aime aujourd'hui encore se remémorer les grandes heures
du "train noir" du Lauragais.
L'épopée des chemins de fer du Lauragais aurait pourtant pu
être plus impressionnante. Plusieurs projets de mise en place de voies
nouvelles étaient prévus au moment de la grande époque.
Une autre ligne devait ainsi relier Caraman à Villefranche de Lauragais
puis partir sur Nailloux, Cintegabelle et Auterive. Le quadrillage du Lauragais
par le chemin de fer était ainsi initialement prévu mais ces
lignes n'ont pu être réalisées, faute de rentabilité
suffisante.
Le tracé de l'ancienne voie ferrée est aujourd'hui devenu un
chemin vicinal utilisé par les promeneurs.
Interview
: Pascal RASSAT
Robert PELISSIER - Léo SEMENOU
Bibliographie
: "Histoire d'un petit
train noir" d'Armand BONNET.
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Lauragais N°33 - juin 2001