Au fil de l'eau
Les écluses du Canal du Midi
Comment peut-on faire remonter un bateau, lourdement chargé, naviguant
sur des cours d'eau naturels (rivières ou fleuves) ou artificiels plus
particulièrement (canaux), lorsqu'il y a des dénivelées
de terrains parfois très importants ? Par le système des écluses,
le plus ancien, par des pentes d'eau, des ascenseurs à bateaux et leurs
impressionnants mécanismes Nous verrons cela après la petite
histoire des écluses du Canal du Midi, construit au XVIIème
siècle par Pierre Paul Riquet.
Un petit rappel
historique, tiré du livre de Max Prado, sur les origines de ces systèmes
et moyens à franchir les différents niveaux des terrains incluant
des cours ou des plans d'eau à navigation. "C'est vers le XVème
siècle que deux ingénieurs italiens : Filippo Degli-Organi et
Fiorananti di Bologna, construisent la première écluse dite
de Viarenna, près de Milan, sur le Naviglio Grande, en 1438-39. Léonard
de Vinci inventa, plus tardivement vers les années 1460-70, les portes
busquées (à courbure, arquées) et vraisemblablement les
ventelles (petites vannes) et les systèmes de manuvre de l'ensemble
de l'écluse."
Elles furent adoptées en France sur le Canal de Briare (construit de
1604 à 1610) entre la Seine et la Loire, par Hugues Gosnier. On lui
doit également l'invention de l'écluse multiple.
L'escalier d'écluses
de Riquet
Riquet s'inspira de ce canal en vraie grandeur pour aménager les écluses
de son Canal Royal de Languedoc. C'est un véritable escalier d'écluses
qu'il va concevoir dans son ouvrage gigantesque, de part et d'autre du point
le plus élevé de la voie d'eau : Naurouze. Point précis
culminant de 190 mètres d'altitude qui reçoit les eaux d'alimentation
de la Montagne Noire par la Rigole. Sachant que du côté versant
atlantique, le bassin ou port de l'embouchure à Toulouse, correspondait
avec la Garonne par une écluse (aujourd'hui supprimée) à
une altitude de 127 mètres. Et que du côté versant méditerranéen,
le canal débouche dans l'étang de Thau au niveau de la mer,
à l'altitude de base 0 mètre (voir le dessin schématique
du tableau synoptique, autrement dit le tracé en coupe du canal en
hauteur).
Fonctionnement
de l'écluse
Voilà le dilemme, maintenir de l'eau tout au long de 240 km pour y
faire naviguer des bateaux (transport de marchandises et passagers ou bateaux
de plaisance de nos jours). C'est donc par le système des écluses
que cela devient possible. Elles permettent le maintien de l'eau en faisant
une multitude de petits barrages entre chacune d'elles, cette portion de canal
se nomme : un bief. Ces mini-barrages sont formés par des doubles portes
mobiles et étanches lorsqu'elles sont fermées et que l'écluse
n'est pas en fonctionnement.
Entre deux portes, il y a le bassin ou sas, qui va permettre aux bateaux de
stationner, le temps du remplissage ou de la vidange de celui-ci, afin de
rattraper le niveau supérieur (amont) ou inférieur (aval) du
lit du canal. Ces remplissages ou vidanges s'opèrent par des petites
vannes (ventelles) situées dans le bas des portes. Elles sont commandées
par un mécanisme de pignons et crémaillères horizontales
pour les portes, et verticales pour les vannes. Soit d'une façon manuelle
ou d'une façon électrique par un moteur. Ceci est utilisé
pour les écluses multiples. Les portes aval ou amont (d'en bas ou d'en
haut) ne pourront s'ouvrir et laisser passer le ou les bateaux que lorsque
les niveaux de l'eau, bassin et bief, seront très précisément
à la même hauteur. Le bateau peut alors, de cette façon,
franchir la dénivelée et monter ou descendre le cours du canal,
cela s'appelle une éclusée.
Construction de l'écluse
L'ensemble de ces ouvrages est maçonné, anciennement bâtis
en pierres de taille, scellées à la chaux, de nos jours ils
sont bétonnés. Les doubles portes d'écluse étaient
en bois à l'origine, maintenant elles sont métalliques, avec
un joint caoutchouc qui assure l'étanchéité, lorsqu'elles
sont fermées en appui l'une contre l'autre. Elles pivotent sur un axe
vertical (poteau tourillon) inclus dans la maçonnerie des murs latéraux
de l'écluse (appelés bajoyers) et forment les quais. Les bassins
ou sas de l'époque de Riquet ont une forme d'ellipse, ceci pour répartir
la poussée des terres sur les encrages. Le radier de l'écluse,
partie basse en contact avec le sol, était également bâti
en pierres de taille.
Ces écluses mesurent en moyenne 36 mètres entre les portes,
pour une largeur de 6 mètres dans la partie la plus étroite
et de 10,40 mètres dans la partie la plus large. Elles n'autorisent
que le passage de bateaux de 28 mètres de longueur, celles construites
à partir du XVIIIème siècle, dont les bajoyers sont parallèles
mesurent 41 mètres, comme sur le canal latéral à la Garonne.
Elles permettent le passage de bateaux de 38 mètres, pouvant avoir
une capacité d'emport jusqu'à 300 tonnes, le double des précédents.
C'est ce que l'on nomme le gabarit Freycinet (ministre des transports à
la fin du XIXème siècle).
Certaines écluses sur la partie haut-garonnaise du Canal du Midi ont
été allongées à ce nouveau gabarit, dans le cadre
de la modernisation dans les années 1970-80.
Les hauteurs des dénivelées des écluses sont toutes variables,
mais avec une moyenne de 5 mètres, pour conserver un tirant d'eau (enfoncement
des bateaux) entre 2,30 et 2,70 mètres, dans tous les biefs du canal.
Le nombre total de ces écluses entre Toulouse et l'étang de
Thau est de 64. Sachant qu'il y a des écluses simples (un sas ou bassin),
doubles, triples, quadruples (St Roch à Castelnaudary) et une octuple
(Fonserannes à Béziers) en fonction de l'importance des dénivelées
des terrains.
Toutes ces écluses
ont un nom rattaché pour la plupart à des noms de lieux : villes,
villages, fermes ou lieu-dit. D'autres sont anecdotiques comme celle de la
double écluse du "sanglier" (entre celles d'Aygues-vives
et de Négra). Il paraîtrait qu'elle doit son nom au fait que
lors de sa construction en 1670, cet animal, un énorme sanglier, serait
tombé dans le fond du chantier et se serait trouvé pris au piège
? Ce qui a dû être l'occasion d'un succulent et copieux repas,
après l'avoir abattu, pour les ouvriers de Riquet !
Autre particularité sur le Canal du Midi, l'écluse ronde d'Agde.
Le bassin rond permet trois entrées ou sorties de bateaux ; sur le
canal vers Béziers et par la traversée du fleuve l'Hérault
vers l'étang de Thau ou bien vers les ports de la ville d'Agde.
Toute cette longue histoire est à observer tout au long du Canal du
Midi
Jacques
Batigne
Couleur
Lauragais N°32 - mai 2001