Dossier
L 'agriculture traditionnelle du Lauragais 1800 -1950
Les années 1950-1960 marquent une période de transformations
radicales dans l'agriculture du Lauragais, avec la mécanisation intégrale
des travaux, l'introduction de la science agronomique. Dans cet article, nous
présentons l'agriculture avant cette révolution avec des travaux
qui reposent sur l'énergie humaine et animale.
Brabant avec
3 paires de boeufs
(Crédit photo : Cliché Roger Brunet)
Des
conditions très favorables
Les conditions naturelles sont très favorables pour l'établissement
des paysans qui apparaissent dès le Néolithique (6000 ans avant
Jésus Christ) sur les collines lauragaises. Dès les débuts
de l'agriculture les plantes cultivées principales sont le blé-froment
et l'orge. Jules César, venant à Toulouse, vers 52 avant Jésus
Christ, dans son livre (la guerre des Gaules) parle des collines couvertes
de céréales qui entourent la ville, donc le Lauragais. Les terreforts
et les boulbènes sont naturellement très fertiles, parmi les
sols les plus favorables de France. Les conditions climatiques sont bonnes
également avec des pluies suffisantes ; la sécheresse estivale
est un handicap qui peut gêner le développement du maïs
; le vent d'autan brise les branches des fruitiers, abîme les moissons
s'il souffle en juin.
Des
paysans très nombreux
Les hommes de la terre, nos paysans, sont très nombreux à s'épuiser
sur les serres (collines allongées), des villages aujourd'hui minuscules
étaient, vers 1850-1860, des bourgades importantes : Labécède
avait 1200 habitants en 1856, Verdun Lauragais 751, Molandier 815, Saint Michel
de Lanès 1008, Salles sur l'Hers 1212, Fanjeaux 1851.
Une main d'oeuvre abondante était nécessaire pour les travaux
souvent effectués à la main : sarclages, moissons, fenaisons,
vendanges. A partir de 1860, beaucoup de ces hommes et de ces femmes quittent
le Lauragais, c'est un exode rural massif de 1860 à 1950, les routes
de cet exil sans retour les conduisent vers Toulouse, le vignoble du Bas Languedoc
(Narbonne, Béziers), certains vers l'Algérie. La mévente
du blé est spectaculaire, le prix du froment, en 1936, est à
peu près, relativement le même qu'en 1780-89, il s'en suit une
évolution de la propriété avec la chute du prix de la
terre. Les grands propriétaires vendent, morcellent leurs domaines
et placent leurs capitaux en Bourse. La petite propriété se
développe et, en 1914, elle règne partout sans partage : un
homme travaille avec sa famille 10 hectares environ ; pour 20 hectares, le
propriétaire emploie un maître valet. La grande propriété
débute à 30 hectares et plus.
Semailles du
maïs et des citrouilles
(Crédit photo : Collection Semenou)
Un
parcellaire original
Le parcellaire, c'est à dire les formes et les dimensions des parcelles,
nous montre de très petits champs, souvent minuscules, les vignes ressemblent
à des jardins, à Ayguesvives sur un total de 120 hectares de
vignes, j'ai recensé en 1811, 900 parcelles ! Les champs sont entourés
de haies, de fossés, donnant une allure de bocage boisé au Lauragais,
donc très différent de l'actuel "pays de Laurac" 2001.
Des
modes de faire valoir très variés
A la base de la pyramide sociale, les brassiers ne possédent rien sinon
leurs bras qu'ils louent aux possédants pour des salaires qui croissent
à partir de 1860. Le maître valet est un salarié en nature
(blé et maïs) qui reçoit des ordres de travail du propriétaire,
le métayer apporte dans un contrat du matériel (une charrue),
une paire de boeufs et il partage à mi fruit les récoltes. Le
métayage durant la période 1800-1950 que nous étudions
est en recul au profit du maître valetage. Les petits propriétaires,
ou ménagers sont plus ou moins autonomes économiquement et vivent
en autoconsommation. Les grands propriétaires divisent leur domaine
en exploitations travaillées par des métayers ou des maî-tres
valets sous l'autorité d'un régisseur.
Des
bras et des boeufs
Les labours sont effectués par des attelages de boeufs de race gasconne,
blancs ou jaunes, comme à l'époque des Gallo-Romains (2000 ans
en arrière) ; les animaux tirent l'arnès ou l'araire charrue
sans roue, qui égratigne le sol sur 10-15 centimètres de profondeur,
mais c'est suffisant pour la venue du blé. L'énergie humaine
est à la base de la plupart des travaux, sarclage du maïs, moisson
avec la grande faux. Des progrès apparaissent dans l'outillage comme
la batteuse ou machine à dépiquer actionnée par une locomobile
: 1854, en 1865 il y avait quatre batteuses dans l'arrondissement de Castelnaudary
appartenant à des entrepreneurs. La faucheuse et la moissonneuse apparaissent
vers 1890, la moissonneuse lieuse en 1910. C'est après la guerre de
14-18 que labourent les premiers tracteurs, surtout pendant les années
30. La première machine à récolter le maïs (corn
picker) est de 1949.
La moisson (Crédit
photo : Collection Semenou)
La
crise du blé perdure de 1860 à 1950
Le Lauragais, c'est avant tout le pays du blé, seul produit commercialisé
grâce au canal du Midi qui permet de vendre le blé lauragais
à Nar-bonne, Sète et vers Bar-celone et Marseille. L'arrivée
des blés russes d'Odessa à Sète, vers 1840, à
bas prix amorce la chute du prix du blé qui s'accentue avec les chemins
de fer (1857) qui introduisent à Toulouse les blés bon marché
du Bassin parisien. Le blé lauragais s'effondre jusqu'en 1936, puis
remonte.
Paysage de bocage,
vers Nailloux - 1950 - petites parcelles
(Crédit photo : Cliché Roger Brunet)
Quelques
progrès lents
A partir de 1860 les rendements commencent à augmenter lentement avec
l'usage plus intensif du fumier organique, les animaux étant mieux
nourris avec les prairies artificielles (luzerne, sainfoin), l'usage des engrais
chimiques commence au début du XXème siècle avec le sulfate
d'ammoniaque. Le blé atteint 15 quintaux hectare vers 1936. La plupart
de ces progrès se font dans la région de Castenaudary à
l'initiative du Syndicat des agriculteurs, devenu ensuite la CAL puis aujourd'hui
le G.C.O ; la ferme expérimentale de Loudes est un véritable
laboratoire agronomique où sont mises au point de nouvelles variétés
de blé qui remplacent les blés locaux à partir de 1920.
Progrès aussi dans l'élevage des moutons qui était très
répandu. Chaque borde possédait un troupeau de 30-50 têtes,
la race lauragaise est concurrencée par de nouveaux types.
Les
bordes s'améliorent
La borde traditionnelle est une maison - bloc à terre, sans étage,
sauf dans la Piège et la Montagne Noire où la pierre locale
permet la construction de maisons avec étage. La grande pièce
- cuisine est immense, la seule chauffée par une énorme cheminée,
c'est le coeur de la maison, le lieu de vie familial, c'est souvent ici que
dort le chef de la maison qui écoute, la nuit, les bruits suspects
de l'étable contiguë et qui traduiraient des mouvements dangereux
des animaux. L'étable est toujours très prêt de la cuisine.
Les chambres, toujours au Nord, ne sont pas chauffées l'hiver, le sol
est en terre battue. Cette borde primitive s'améliore avec des vitres
aux fenêtres (vers 1860-65), éclairage au pétrole (1860),
carrelage du sol de la cuisine, des papiers peints sur les murs. La petite
borde à pièce unique a disparu en 1914. L'alimentation évolue
avec les progrès du pain blanc de froment, la consommation du millas
par les catégories sociales pauvres est massive jusqu'en 1914, le café
apparaît au début du siècle, le tabac vers 1880.
La vie des paysans, jusqu'en 1950, était particulièrement rude et pénible, comme divertissements, deux sorties dans la semaine, au marché du samedi à Baziège ou à Revel, le lundi à Castelnaudary, la messe dominicale. Le Lauragais est un pays céréalier riche grâce au labeur formidable de ses paysans et des femmes.
Jean
ODOL
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Lauragais N°32 - mai 2001