Histoire
L'épopée tragique de 80 enfants juifs à Seyre (près de Villefranche et de Nailloux) et au château de la Hille (commune de Montégut Plantaurel - Ariège)
Couleur Lauragais vous présente aujourd'hui un épisode tragique, à peu près inconnu, de la vie d'un groupe d'enfants juifs pendant la guerre 1939-45. Cet épisode s'est pourtant déroulé près de nous, au village de Seyre (*). Voici, pour les amoureux de notre passé, une page bouleversante de l'histoire du Lauragais.
Les enfants de Seyre en 1940-41
Le mercredi 9 septembre 1999, j'ai découvert, avec l'aide d'une habitante de Seyre, des dessins émouvants sur les murs d'une grange, à proximité de l'église, dans un bâtiment dépendant du château (dont le propriétaire est Mr de Capèle d'Hautpoul). Ces dessins en couleur représentent une église, un moulin à eau sur le Gardijol, un chat qui miaule, les petits cochons de Walt Disney. Les témoins émouvants d'un passé encore proche, dessins laissés par un groupe de 80 enfants juifs, allemands et autrichiens, qui ont vécu ici en 1940-41. Quelques jours après cette découverte, je rencontrais un survivant (M. Reed) qui vit actuellement aux Etats-Unis. Celui-ci m'a raconté cette histoire.
Les origines
de l'exode
La politique antisémite de Hitler en Allemagne culmine avec "la
nuit de cristal" (9 novembre 1938). Des milliers de juifs sont massacrés
et toutes les synagogues allemandes incendiées. On peut alors observer
un exode massif de personnes fuyant vers la Belgique, l'Angleterre ou la France.
Beaucoup d'enfants sont orphelins : parmi eux, les 80 de Seyre. En Autriche,
la même terreur conduit au même exode. Les enfants s'établissent
d'abord à Bruxelles au "home Speyere" sous la protection
de la Croix Rouge suisse - Secours aux enfants. Ils vivent là jusqu'au
10 mai 1940.
L'arrivée
à Seyre : mai 1940 - juin 1941
Lorsque l'Allemagne envahit la France et la Belgique, le 10 mai 1940, les
enfants sont placés dans des wagons à bestiaux et après
un voyage de 5 à 6 jours, ils atteignent Villefranche de Lauragais.
Ils étaient 80, la plus jeune fille avait 3 ans, le plus âgé
15. Les propriétaires du château de Seyre les accueillent chaudement
et les installent dans un vaste bâtiment qui est resté en l'état
depuis, une sorte de grange servant de dortoir. Les enfants seront toujours
encadrés par des adultes suisses, un directeur, des infirmières,
des instituteurs. La vie à Seyre est très dure au long d'un
hiver très froid. Sans chauffage, sans eau, la nourriture est fournie
par les autorités françaises. La Suisse envoie des sacs de couchage,
du lait en poudre, quelques vêtements. La population de Seyre apporte
son aide avec des haricots, des oeufs, de la farine de maïs avec laquelle
on fabrique du millas. Etant donné l'exiguïté des locaux,
Seyre ne pouvait être qu'une solution provisoire. La directrice de la
colonie découvre alors un château inhabité, celui de la
Hille.
La grange ou ont vecu les enfants juifs en 1940-41
Au château
de la Hille
Situé entre Saint Jean de Verges et Pailhès, à Montégut
Plantaurel, très vaste, vide de meubles, isolé, il est le cadre
de vie du groupe jusqu'en 1945. Ils sont une centaine d'enfants avec quelques
jeunes espagnols et français. Le ravitaillement est toujours très
difficile pour 100 affamés. Leur quotidien est basé sur des
pommes de terre, du choux, du pain et du lait. Les plus grands cultivent un
vaste jardin. Les cadres suisses sont des personnes absolument remarquables
par leur courage, leurs compétences et leur dévouement. Les
soins médicaux sont donnés, en 44-45 par le docteur Saint Paul
du Mas d'Azil (**).
Le drame d'août
1942
Dès le mois d'octobre 1940 le gouvernement français installé
à Vichy fait arrêter et interner tous les juifs étrangers.
En août 1942, il livre aux Allemands les juifs français (70 000
environ). Ainsi 45 adolescents de la Hille, de plus de 15 ans, sont arrêtés
par la gendarmerie française et internés au tristement célèbre
camp du Vernet d'Ariège (à 10 km au Sud de Cintegabelle). La
Croix Rouge suisse intervient, fait du chantage et réussit à
les faire libérer et à les renvoyer à la Hille. Par contre
d'autres enfants juifs déjà internés depuis longtemps
au camp du Vernet sont déportés vers la Pologne et la mort.
La plus jeune de ces victimes avait deux ans et demi... Le wagon dans lequel
ces enfants firent leur dernier voyage est toujours là, près
de la gare du Vernet.
Echecs et
fuites réussies
Les plus grands de la Hille, craignant une nouvelle arrestation, décident
de s'enfuir. Certains réussissent à passer en Suisse par une
filière qu'avait organisé une infirmière (Anne Marie
Piguet). D'autres seront refoulés par la police suisse et reviendront
à la Hille. Un groupe franchit les Pyrénées vers l'Espagne
où Franco les accueille avant de les "vendre" aux Américains
pour de l'essence et de la farine. Une petite troupe d'adolescents est livrée
par les passeurs pyrénéens à la Gestapo et est déportée.
Au total, ce sont 11 enfants de Seyre qui seront déportés et
finiront leur tragique aventure dans les chambres à gaz du camp d'Auschwitz.
Un groupe rejoindra les maquis français. L'un d'eux, Egon Berlin, est
tué au combat de Roquefixade du 9 juillet 1944 (son nom reste gravé
sur le monument aux morts de la Résistance à Pamiers et sur
celui de Roquefixade).
Le
18 septembre 2000 : un retour émouvant
Les "enfants de Seyre" sont revenus les 16,17 et 18 septembre 2000
sur les lieux de leur calvaire. Ils étaient ce jour-là un groupe
important à avoir fait le déplacement : une trentaine avec leurs
familles, tous septuagénaires ou octogénaires. Ils arrivaient
d'Australie, des Etats-Unis, de Grande Bretagne, d'Allemagne, d'Israël.
A la Hille des centaines de personnes les ont accompagnés aux cérémonies.
Le château est aujourd'hui intact, rien n'a été modifié
quant à l'extérieur. L'instant le plus émouvant est resté
celui de l'inauguration d'une plaque commémorative lorsqu'elle fût
dévoilée par un survivant. Un enfant de l'école de Montégut
venait de chanter un hymne: "Liberté...".
A Seyre des scènes touchantes ont aussi eu lieu lors de l'arrivée
du bus. Une personne, venue de Tel Aviv, est descendue et s'avançant
vers une dame de Seyre, jeune fille en 1940, lui a déclaré :
"toi, tu tenais le bureau de tabac !" : soixante ans après
Cette dame, aujourd'hui israëlienne était l'auteur de deux dessins,
le moulin à eau et l'église.
Les retrouvailles
en septembre 2000
La guerre de 39-45 a tué des millions d'hommes et de femmes, des milliers d'enfants ont aussi été massacrés. Les enfants de Seyre sont la triste illustration du déchainement de cette barbarie.
Jean ODOL
(*) Seyre
est à 10 km au Sud de Villefranche de Lauragais et 4 km de Nailloux.
(**) le docteur est le beau frère de l'auteur de ces lignes.
Crédit
photos : Jean Odol
Couleur Lauragais N°31 - avril 2001