Au fil de l'eau
Le
barrage de la Galaube
Record
mondial en hauteur des barrages étanchés par géomembrane
L'idée d'implanter un barrage sur l'Alzeau ne date pas d'hier. On peut
trouver dans les archives du XVIIIème siècle appartenant au
Canal du Midi ce projet de construction, alors appelé "réservoir
de Cals". En 1940, l'Etat soucieux d'exploiter au mieux les richesses
du système hydraulique de la Montagne Noire avait envisagé cet
aménagement. Pour des raisons certainement économiques, celui-ci
n'avait pas vu le jour. Ce n'est que soixante ans plus tard pour le compte
de l'IIAHMN (Institut Interdépartemental de l'Aménagement Hydraulique
de la Montagne Noire) que l'idée vieille de 300 ans va enfin se concrétiser.
Dans quelques mois, après 18 mois de travaux, ce barrage situé sur les communes de Lacombe (11) et Arfons (81) sera définitivement en eaux et pourra, avec ses 8 millions de m3 retenus remplir la mission attendue :
> 4 millions de m3 alimenteront en eau potable les départements du Tarn, de la Haute Garonne et de l'Aude. Ils viendront compléter les ressources du seul système alimentaire existant qu'est la retenue des Cammazes, en prévision notamment des demandes d'eau potable croissantes d'ici une décennie. En cas de grande sécheresse analogue aux années 19891990 où des restrictions de consommation avaient été nécessaires, son existence sera un grand soulagement,
> 2,6 millions de m3 seront répartis pour l'irrigation dont la moitié pour l'Aude et l'autre moitié pour le Tarn et la Haute Garonne (en garantie des volumes délivrés à partir des Cammazes),
> 0,5 millions
de m3 seront destinés à alimenter le Canal du Midi conçu
et réalisé entre 1666 et 1681 par Pierre Paul Riquet et son
proche collaborateur François Andreossy.
ÿ Les 0,9 millions de m3 restant permettront de garantir un débit
de salubrité à l'aval des ouvrages de la prise d'Alzeau.
Outre ces fonctions principales, ce barrage offrira un plan d'eau d'une surface de 65 hectares à retenue normale dans un site exceptionnel et sera certainement le rendez-vous de beaucoup d'excursionnistes et d'amateurs d'activités halieutiques.
Le choix de
la structure
Les projeteurs chargés de concevoir la structure de l'ouvrage ont envisagé
plusieurs solutions pour réaliser ce barrage.
La solution d'une ossature voûte analogue à celle des Cammazes
n'était pas possible dans le contexte géologique. Ce type d'ouvrage
nécessite la présence de vallées très étroites
situées dans un "verrou rocheux" d'excellente qualité
permettant de venir ancrer la voûte qui assure la retenue des eaux.
Pour information, le dernier ouvrage de ce type construit en France est le
barrage de Puylaurent en Lozère mis en eau en 1996 pour le compte d'EDF.
Les sites propices à ce type de structure ont pratiquement tous déjà
été exploités dans les années 1950-1970 à
une époque où se construisaient beaucoup de barrages.
Si notre ouvrage
ne pouvait pas être un ouvrage voûte, il aurait pu être
un barrage poids en BCR (Béton Compacté aux Rouleaux). Cette
technique de construction originale qui a fait ses preuves depuis une vingtaine
d'années consiste à mettre en uvre un béton par couches
successives d'une formulation très spécifique et dont la capacité
optimale est obtenue par le passage d'engins mécaniques type compacteur.
La spécificité de ce béton imposait la nécessité
d'importer des matériaux en grande quantité en provenance des
carrières environnantes.
Ecologiquement ce choix n'était pas judicieux, l'incessante circulation
de plusieurs "noria" de camions aurait irrévocablement entraîné
un impact défavorable sur l'environnement.
Le site du projet
est très riche en matériaux micachisteux. Cette roche permettait
d'envisager la construction d'une digue en enrochement en exploitant directement
les matériaux présents dans la cuvette.
Dans cette famille d'ouvrage deux variantes pouvaient s'envisager, la première
un barrage en remblai rocheux à étanchéité par
noyau central en matériaux argileux. Malheureusement ce matériaux
naturel n'était pas présent sur le site en quantité suffisante.
Il ne restait plus alors qu'une solution qui consistait à réaliser la digue en enrochement avec une étanchéité assurée par un masque amont muni d'une géomembrane analogue à un "liner" de piscine.
La constitution de l'ouvrage
Le barrage en lui même est composé de plusieurs "sous-ouvrages"
satisfaisant ainsi son fonctionnement hydraulique et sa durabilité
dans le temps. Chacun d'entre eux a une fonction particulière évoquée
dans le paragraphe qui suit dans leur ordre chronologique ou simultané
de réalisation.
1) La dérivation
provisoire :
Il est nécessaire avant le début des travaux de remblaiement
de la digue d'assurer une dérivation provisoire de l'Alzeau pour permettre
une construction à sec. Cette fonction est assurée par une galerie
en béton armé de section rectangulaire d'une longueur de 150
m environ réalisée par un coulage de plots successifs. A l'amont
de la galerie, un batardeau a été réalisé en enrochement
permettant de pallier une éventuelle crue qui pourrait venir perturber
le bon déroulement du chantier.
2)
La plinthe :
Cet élément est d'une importance capitale puisqu'il est situé
en pied de la digue dans une zone de fort gradient hydraulique. Il s'agit
d'une "poutre en béton armé" réalisée
à même le sol de fondation permettant de le renforcer, de rectifier
sa géométrie et d'assurer une assise d'accrochage à la
géomembrane d'étanchéité. Il a été
nécessaire dans un premier temps de réaliser son excavation
dans le sol de fondation à l'aide d'un brise roche hydraulique monté
sur pelle mécanique. Le minage ne pouvait pas être envisagé
car il risquait d'ébranler le rocher et d'entraîner des déboires
ultérieurs néfastes à la pérennité du barrage.
Il vient ensuite la réalisation du coulage par plots successifs à
l'aide d'un outil coffrant adapté. On imagine la difficulté
en rive dans les zones de forte déclinité. Avant la mise en
oeuvre du béton, un très grand soin a été accordé
au nettoyage du rocher de fondation afin d'assurer une parfaite cohésion
(voir photo n° 1).
1 - Réalisation
de la plinthe
3)
Le corps de digue :
Dans la conception de l'ouvrage retenu, le massif de remblai rocheux qui constitue
la digue est pour l'essentiel hors d'eaux et joue simplement le rôle
de massif poids en s'opposant à la poussée des eaux sur l'ensemble
de la retenue. Tout intérêt économique était d'exploiter
les matériaux du site. La carrière à ouvrir se développait
pour l'essentiel dans la retenue. Après extraction des matériaux
par minage ceux-ci étaient éventuellement criblés pour
obtenir une bonne granulométrie. Le transport jusqu'au lieu d'implantation
du barrage s'effectuait par engin de chantier de forte puissance type tombereau.
Le réglage des matériaux se réalisait par couches successives
de 80 cm d'épaisseur et faisait l'objet d'un compactage afin d'obtenir
la compacité demandée (Voir photo n° 2).
2 - Réalisation
du remblai de corps de digue
4)
Le voile d'injection :
Il répond au traitement de la fondation permettant d'assurer le prolongement
de l'étanchéité sous le barrage par un voile d'injection
réalisé depuis la plinthe déjà exécutée.
Cette opération consiste à envoyer sous pression à grande
profondeur de l'ordre de 20 m plusieurs lignes verticales de coulis de ciment.
Elles ont pour but d'empêcher les infiltrations d'eaux sous le barrage
et donc de limiter les sous pressions pouvant engendrer à long terme
des ruissellements sous la digue entraînant généralement
la ruine totale de l'ouvrage. Ces incidents sont communément appelés
des phénomènes de "renard" (voir photo n° 3).
3 - Réalisation du voile d'injection
5)
L'ouvrage de restitution :
Le rôle de cet ouvrage est de restituer les eaux retenues au cours d'eau
initial et de réguler les débits et de ce fait le niveau de
la retenue. Cet ensemble vidange de fond prise d'eau est constitué
:
> D'un ouvrage amont surmonté d'une prise d'eau étagée assurant les débits de vidange,
> D'une galerie sous remblai réalisée à ciel ouvert d'une longueur de 97 m permettant de faire transiter les eaux jusqu'à l'aval en passant sous la digue,
> D'un ouvrage de restitution aval permettant de s'adapter à la géométrie du cours d'eau.
L'ouverture et la fermeture des vannes sont équipées de dispositifs de commandes hydromécaniques (voir photo n°4).
4 - Tour de prise
d'eau en cours de réalisation
6) L'évacuateur
de crue :
Il joue le rôle de trop plein à partir de la côte des plus
hautes eaux 720,50 NGF. Il évite que les eaux excédentaires
passent au dessus de la digue. Il est dimensionné pour évacuer
80 m3/s. Cet ouvrage de l'ordre de 125 m de longueur totale se compose de
3 parties spécifiques :
> Un ouvrage d'entonnement de forme curviligne,
> Un coursier de 85 m de longueur,
> La cuillère située en fin de coursier qui permet de dissiper l'énergie torrentielle emmagasinée dans la pente.
7) Le masque
à géomembrane :
L'imperméabilité définitive du barrage est assurée
par un masque d'étanchéité réalisé sur
la face amont de la digue et composé de plusieurs couches de perméabilité
croissante :
> Une couche de gravier de 10 cm d'épaisseur,
> Une couche
d'imprégnation à l'émulsion de bitume exécutée
manuellement à la lance comme pour les chaussées,
> Une couche de gravier de 10 cm d'épaisseur enrobée de bitume,
> La géomembrane bitumineuse d'une épaisseur de 5 mm, préfabriquée en usine et mise en uvre par bandes successives soudées entre elles,
> Un dallage en béton de fibre polypropylène réalisé par plots de 5 x 10 m, permettant de protéger la géomembrane (voir photo n°5).
5 - Réalisation
du masque d'étanchéïté amont
Les dispositifs
d'auscultation
Bien que ce barrage soit rigoureusement exécuté dans les règles
de l'art et parfaitement dimensionné il fera l'objet comme tous les
ouvrages de ce type d'une surveillance approfondie.
Outre les visites fréquentes d'observation visuelle, tout un dispositif
d'auscultation est prévu pour la sécurité publique et
se compose comme suit :
> 21 piézomètres judicieusement disposés sont répartis au niveau de la fondation et dans le corps du remblai ; ils ont pour but de pouvoir contrôler à tout moment l'évolution des pressions interstitielles,
> 2 niveaux de tassomètres de remblai ont été mis en place et permettront de mesurer les déplacements du barrage sur lui-même,
>
4 stations géodésiques ont été installées
autour de la retenue. Des prismes de visé ont été fixés
sur l'ensemble de l'ouvrage. Tout cet appareillage permet d'effectuer des
mesures topographiques pour apprécier les éventuels mouvements
du barrage par rapport à son environnement naturel.
Ce chantier a fait l'objet d'un suivi régulier des travaux par les
élèves scolarisés au Lycée Andreossy de Castelnaudary
en classe de BTS Travaux Publics. Ils ont puisé auprès des professionnels
toujours attentifs et disponibles des sommes considérables d'informations
et d'expériences. Le barrage de la Galaube a donc déjà
fait l'objet de nombreuses applications pédagogiques auprès
de ces étudiants. Ce contexte relationnel a permis de donner une double
dimension à l'ouvrage, la dimension de services publics inhérente
à la destination de ce barrage, mais aussi une dimension humaine par
le partage des compétences des hommes d'expérience vers les
constructeurs de demain. Qu'il me soit ici permis de remercier tous les acteurs
de la réalisation de cet ouvrage exceptionnel.
Eric
MARCHISONE
Chef de Travaux
Lycée Andreossy -CASTELNAUDARY
Couleur
Lauragais N°31 - avril 2001