Le Lauragais, une entité géologique et géographique
Les
limites du Lauragais peuvent être définies de différentes
manières : limites historiques, géographiques, administratives
Ce mois-ci, une équipe de chercheurs définit les limites naturelles
du Lauragais à partir de données géologiques.
Le Lauragais, un cadre historique
Comme le souligne J. Odol dans son livre de 1995 (éditions Privat),
le Lauragais a constitué initialement une subdivision de l'évêché
de Toulouse et par la suite, une "judicature" créée
par Alphonse de Poitiers au milieu du XIIIéme siècle. Aujourd'hui,
le cadre géographique retenu pour cette région coïncide
encore avec ces anciennes limites administratives (Fig. 1). Ainsi, l'entité
du Pays Lauragais est en premier lieu historique. Pourtant, lorsque l'on vit
en cette région, des éléments autres qu'historiques font
que l'on ressent ce pays comme une contrée homogène. Si le vent
d'Autan contribue largement à ce sentiment d'appartenance à
un territoire à part entière, ce n'est néanmoins pas
le seul aspect naturel qui individualise le "Pays de Laurac". Le
Lauragais, c'est aussi le pays des collines si souvent évocatrices
du paysage ondoyant de la Toscane ! Et ces collines, chaque habitant sait
les reconnaître. Chacun perçoit intuitivement les limites de
son pays. Alors, que se cache-t-il derrière ce ressenti si tangible
? Peut-on mettre "en musique" cette manière d'humer le Lauragais
?
Dans le cadre de recherches associant géologie et géographie,
entreprises au sein du Lauragais, nous présentons ici ce qui, au point
de vue de ces disciplines, fait également l'originalité - et
la richesse - du Pays de Cocagne.
Le
Lauragais : un pays océanique aux influences méditerranéennes
soumis aux excès de l'Autan
Géographiquement, le Lau-ragais se situe au sein d'une zone où
le climat océanique prédomine. Cependant, les influences méditerranéennes
n'y sont pas rares, particulièrement en été et en automne,
et s'accentuent, logiquement, vers le sud-est de la région, aux confins
avec le Razès. Cette dominante océanique agrémentée
d'incursions méditerranéennes, se trouve également modifiée
par les effets du vent d'Autan. Ce "vent fou", véritable
signature climatique du Lauragais, est responsable de l'assèchement
très rapide - et sévère - des terres soumises à
son emprise. Il peut en l'espace de 2 à 3 jours précipiter les
moissons, ou bien accroître de 1 à 2° le degré alcoolique
des raisins au moment des vendanges !
Fig. 2 : Carte
gŽologique simplifiŽe du Lauragais avec les limites historiques
dŽfinissant le Lauragais central et les limites naturelles dŽfinies
ˆ partir des caractŽristiques gŽologiques et gŽographiques.
Le Lauragais, une subtile alchimie entre géologie et végétation
L'examen de la carte géologique, montre que l'entité lauragaise
correspond à des terrains géologiques qui appartiennent essentiellement
à l'étage dit de l'Oligocène et, dans une moindre mesure,
à ceux de l'Eocène (ces deux étages correspondent à
des subdivisions de l'ère tertiaire). Ce sont ainsi à des matériaux
déposés entre 45 et 25 millions d'années, connus sous
le terme général de "molasses". Ces molasses résultent
de l'érosion des Pyrénées. En effet, de nombreux torrents
et rivières vont transporter les boues, sables, graviers et autres
galets arrachés à la chaîne pendant des millions d'années.
Au sein de zones plus protégées et plus calmes, des marécages
et des lacs vont pouvoir se développer. Ce sont ces dépôts
fluviatiles et lacustres, qui en se consolidant
au cours des temps, vont constituer les "molasses du Lauragais".
Les dépôts fluviatiles seront représentés par des
grès résultant de la consolidation des sables, des argiles en
provenance des boues, des graviers et des galets. Les dépôts
lacustres quant à eux, seront représentés par des calcaires
ou des marnes (= calcaires à forte proportion d'argiles). Ces matériaux
de différente composition vont avoir une influence déterminante
sur le chimisme des sols et la végétation d'une part, et le
relief, d'autre part.
Le chimisme des sols contrôle directement l'établissement du
type de végétation. Un sol dit acide, c'est-à-dire dont
le sous-sol est composée de matériaux à dominante siliceuse
(argiles, sables, grès, graviers et galets), voit se développer
une végétation différente d'un sol édifié
sur un sous-sol à dominante carbonatée (calcaires et marnes).
Notons que dans tout les cas le climat de type atlantique à influences
méditerranéennes est favorable à une végétation
arborée dominée par les chênes.
Dans le cas des sols à dominante carbonatée, les bois sont dominés
par les chênes (pédonculés ou pubescents selon l'humidité
du sol), accompagnés de l'érable champêtre et de l'églantier.
En sous-bois, nous trouvons la clématite, le noisetier, l'aubépine,
le fusain et le frêne. Enfin, les pelouses sont dominées par
les graminées du type brachypode penné associés aux genêts
des teinturiers et d'Espagne, à l'églantier et à l'aubépine.
C'est au sein de ces pelouses calcaires que se trouve la majorité des
orchidées de la région lauragaise.
Dans le cas des sols à dominante acide, les bois sont constitués
de sorbier, de chèvrefeuille, de néflier, de fougère
aigle, de chêne sessile et de châtaignier. En lisière forestière,
le robinier faux acacia se développe grandement. Les pelouses, quant
à elles, voient se développer le ciste à feuille de sauge,
le genêt à balais et l'ajonc d'Europe.
Notre description ne serait pas complète si l'on tenait pas compte
de la végétation des milieux humides. Les bords de rivières,
les lacs collinaires, les fossés, mais aussi les prairies humides voient
se développer les saules, les frênes, l'aulne glutineux, les
peupliers, la morelle douce-amère, le sureau noir et l'orme champêtre.
Notons qu'à l'image des pelouses calcaires, les prairies humides sont
le refuge de plantes rares et menacées.
La
résistance à l'érosion des matériaux précédents
va déterminer le modelé du relief. Les roches aisément
érodables, représentées surtout par les argiles, vont
former les dépressions. Par contre, les roches plus résistantes,
soient les grès et les calcaires, constitueront les collines. Cette
résistance à l'érosion des matériaux s'avère
capitale quant à l'édification du relief du Lauragais. En effet,
lors de la dernière phase glaciaire (entre 80 000 et 10 000 ans avant
notre ère), les alternances répétées de gel/dégel
vont intéresser l'ensemble du piémont pyrénéen.
Or ce phénomène, dit de gelifluxion, conduit à la désagrégation
des matériaux surtout dans le cas des matériaux à dominante
argileuse. Ces derniers auront tendance à glisser en masse, voir même
à s'écouler sous l'effet de la gravité et du ruissellement
(= phénomène dit de fluage). Ces glissements estomperont les
aspérités du relief, en conduisant graduellement à l'aspect
adoucit du modelé Lauragais actuel.
La figure 3 résume l'organisation morphologique et la répartition
de la végétation (et des parcelles cultivées) au sein
du pays Lauragais correspondant à la photographie prise dans le secteur
de Villefranche-de-Lauragais
Fig. 3 - A /Vue
d'un paysage caractéristique du Lauragais central
(région de Villefranche-de-Lauragais)
Fig. 3 - B /Esquisse
morphologique correspondant à la photographie ci-dessus
Le Lauragais, une entité climatique et géologique
Si le Lauragais est défini - encore actuellement - comme une entité
historique, la question est désormais de reconnaître si le cadre
hérité du XIIIème siècle reste pertinent avec
les limites naturelles que l'on peut définir à partir des caractéristiques
climatiques et géologiques précédentes. La réponse
est affirmative pour les 75% du "Lauragais historique". Par contre,
les divergences entre le cadre historique et le cadre naturel concernent les
limites vers le Tarn au nord-ouest, celles avec le Razès, au sud-est,
et vers l'est au pied du massif de la Montagne Noire (Fig. 1).
Vers le nord-ouest, le pays molassique du Tarn correspondant aux "Collines
du Centre" (inclut le Réalmontais), au Pays Salvagnacois et au
Gaillacois (Fig. 1), possède les mêmes caractéristiques
climatiques - en particulier les influences du vent d'Autan - et géologiques
que celles du "Lauragais central", et devrait y être logiquement
rattaché.
Vers le Razès, le climat est à dominante méditerranéenne
et le sous-sol s'enrichit grandement en galets et niveaux gréseux.
Les deux conditions définissant le Lauragais - climat à dominante
suite p.46 océanique et sous-sol à dominante argilo-calcaire
- n'étant plus remplies, nous retiendrons une limite vers le sud-est
coïncidant à la transition entre le Lauragais et le Razès
(région dite de la Piège).
Aux confins avec le Cabardès et le Minervois, au pied de la Montagne
Noire, le climat est de nouveau à dominante méditerranéenne
et en outre, le substratum est dominé par les termes gréseux,
sableux et/ou conglomératiques qui n'ont plus de points communs avec
les molasses oligocènes ou éocènes.
Ainsi, restreindre le cadre du Lauragais hérité de l'histoire
vers l'est et le sud-est et l'étendre de façon notable vers
le nord-ouest ou l'on pourrait parler de "Lauragais tarnais", telle
est la conclusion à laquelle la géographie physique et la géologie
nous conduisent. Notons que les limites présentées dans la figure
2, sont des limites naturelles et lorsque celles-ci sont commandées
essentiellement par des considérations climatiques, elles doivent être
prises non pas comme des frontières strictes mais comme des zones de
transition pouvant atteindre quelques kilomètres (cas du pays Salvagnacois,
par exemple). Par contre, quand ces limites coïncident avec des limites
géologiques, elles correspondent alors à de véritables
lignes de démarcations, comme celle située de part et d'autre
de l'Ariège.
Pierre Courjault-Radé (1), Philippe Le Caro (2), Eric Maire (1) et Brigitte Schwal (2)
(1),
Laboratoire des Mécanismes des Transferts en Géologie (LMTG)
/ CNRS et Université P. Sabatier (Toulouse 3) - 38, rue des 36 ponts
- 31400 Toulouse
(2) laboratoire de Géographie de l'Environnement (GEODE) / CNRS et
Université Toulouse Le Mirail (Toulouse 2) Allées A. Machado
- 31058 Toulouse Cedex 1
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Lauragais N°30 - mars 2001