Histoire
Troubadours en Lauragais
Les pays de langue d'oc, du XIème au XIVème siècle, du Limousin à la région de Nice, de Bayonne à Grenoble, en passant par la région de Toulouse, ont vu l'éclosion d'un très grand mouvement poétique et littéraire : les troubadours, d'une ampleur et d'une richesse exceptionnelle. C'est l'âge d'or de la civilisation occitane.
Le premier troubadour est Guilhem IX, duc d'Aquitaine : c'est l'un des plus brillants. Les derniers "chantadors" sont Guiraud Riquier, de Narbonne, ou un italien, Sordel.
Le livre "Terre des troubadours", de Gérard Zuchetto, est une anthologie des principaux troubadours et avec, et surtout, la musique des poèmes, car les cansos (chansons) sont des textes mis en musique et chantés soit par le troubadour-compositeur lui-même, soit par un jongleur qui n'est qu'un exécutant. Dans ce livre apparaît un troubadour lauragais : Bernat Mir jusqu'alors inconnu. Les troubadours du Pays de Laurac sont beaucoup plus nombreux, nous en avons découvert d'autres en dehors de la masse des Toulousains.
Les Chantadors
(ou troubadours)
Le mot troubadour est l'un de ces termes enchanteurs qui sonnent clair et
franc, évoquant le Moyen Age des chevaliers, des Cours d'amour, des
châteaux où flotte la croix des comtes de Toulouse et de Foix,
ou celle des Trencavel à Carcassonne. Il nous ramène au temps
médiéval de la joie de vivre, du printemps éternel, des
fleurs épanouies, des jolis mois de mai. Voici le résumé
de cet idéal utopique et courtois par l'un des troubadours les plus
célèbres :
Tant
aï al cor d'amor
De joi e de dolçor
Que l'invèrs me sembla flor
E la néus verdura
J'ai
au coeur tant d'amour
De joie et de douceur
Que l'hiver me semble fleur
Et la neige verdure
par Bernart de Ventadorn
Ils ont "trouvé", dans ce qui était alors la plus belle langue d'Europe, l'occitan, parlé dans toutes les cours royales et seigneuriales. Le roi Richard Coeur de Lion, roi d'Angleterre, est un troubadour qui écrit en occitan, plus exactement en dialecte limousin ; il semble bien qu'il y ait eu un occitan littéraire compris dans toute l'Occitanie et la Catalogne.
Cette civilisation de l'Amour dure peu de temps, de II00 à I300 environ ; on lui donne le nom de Fin Amor, l'Amour courtois. Elle nous a apporté un bagage linguistique considérable pour exprimer "le Joy" d'amour, la folie de l'extase, les mille expressions de la tendresse, les mots délicieux du courtisement érotique. La dame est placée sur un piédestal, inaccessible, et l'amant, souvent platonique, lui fait une cour enthousiaste, s'engageant à lui rendre hommage, se mettant à son service, lui jurant fidélité. Les troubadours sont nombreux : 500 avec 260 mélodies musicales ; les femmes troubadours ou trobairitz : 35 (dont une à Toulouse). Ils sont le centre rayonnant qui exporte cette poésie vers la Catalogne, l'Italie, l'Allemagne (les minnesänger), la France de langue d'oïl (les trouvères). Ils sont nombreux dans la région toulousaine avec des noms prestigieux : Ramon de Miraval, Pierre Cardenal, Na Lombarda, Guilhem Figuera, Aimeric de Pégulhan, ou Giraut d'Espagne. En Lauragais, deux principaux : Bernat Mir et Guilhem de Durfort.
Bernat Mir
Il était originaire de Laurac ou de Saint Martin Lalande ; selon Jean
Duvernoy, sa famille était cathare, lui même assista (sauf homonymie)
au consolament de son frère à Laurac vers I232, ce qui n'est
guère original puisque toute la noblesse lauragaise était hérétique.
Cependant, les troubadours cathares sont peu nombreux, comme Aimeric de Pegulhan.
Bernat Mir nous a laissé peu d'oeuvres, un unique partimen (c'est une
discussion, un débat entre deux troubadours, ici avec un troubadour
du Carcassès : Sifre). Les vers, comme le sujet, sont médiocres
; il s'agit du partage du corps féminin, la moitié supérieure
de la femme est l'oeuvre de Dieu, la partie inférieure le labeur du
Diable.
Guilhem de
Durfort
"e cela part prezatz trop mais que los drutz e-ls maritz cofon que mai
en val us gens assais qu'om embratz e maner e bais boca e olh e cara e fron"
"vous prisez beaucoup trop cette partie aussi fatale aux amants qu'aux maris mieux vaut un aimable essai où l'on se borne à embrasser, câliner, baiser la bouche, les yeux, le visage et le front". par Guilhem de Durfort
Guilhem de Durfort
est coseigneur de Fanjeaux, issu sûrement d'une famille cathare. Il
prend les armes contre les Croisés venus du Nord et sera faidit, ses
terres confisquées. Il part exilé en Catalogne où il
termina probablement sa vie.
Son oeuvre poétique est réduite à un sirventès
; trois personnages intéressants apparaîssent dans cette poésie
: le troubadour lui-même, son ami Gui Cap de Porc et un autre chevalier
Peire Gros, de Cailhau. Ils nous font pénétrer dans la société
de ces petits chevaliers du Lauragais, vers I204, souvent très pauvres
et qui adhéraient à la nouvelle religion. Guilhem de Durfort
chante les mérites de son ami Guy Cap de Porc, qui était du
Mas Saintes Puelles, en ces termes, traduits en langue d'oïl : "c'est
parce que je suis pauvre de savoir que je m'attaque à un ample sujet
: celui qui pêche en vivier a tôt fait bonne prise. Aussi vais-je
chercher là où je trouverai largement à louer, sans avoir
à mentir. Et je dis que, semblable à une colombe (en ancien
français "colombe" a souvent le sens de colonne, d'où
la dérive "colombage"), Guy Cap de Porc vit et maintient
son Prix sans jamais s'en départir, partout où le devoir l'exige,
lui qui est si hardi et si âpre contre les mauvaises moeurs qu'elles
ne peuvent point se maintenir près de lui".
D'autres troubadours
lauragais
Les autres troubadours lauragais nous ont laissé peu d'oeuvres, aussi
sont-ils mal connus ; parfois seul leur nom nous est parvenu, ainsi :
- Arnaud Vidal de Castenaudary, où une rue porte son nom. En 1324,
il obtient une médaille d'or aux Jeux Floraux de Toulouse,
- Bernard de Goyrans, qui obtient de l'or en 1450 aux Jeux Floraux,
- At de Mons (Mons en Haute Garonne), contemporain d'Alfonse X, roi de Castille,
- Enfin, un troubadour à Calmont, Joan de Calmont, qui obtient lui
aussi de l'or aux Jeux Floraux.
Les troubadours du Lauragais n'ont jamais été étudiés,
sauf Bernat Mir par Gérard Zuchetto et Guilhem de Durfort par Suzanne
et René Nelli, et pourtant que de vers, que de mélodies merveilleuses
dorment dans les collines du Pays de Laurac. Bercée par l'autan, la
musique des chantadors, des trobairitz commence à arriver jusqu'à
nous.
Jean ODOL
Bibliographie
:
Gérard Zuchetto :
"Terre des Troubadours", I997
Suzanne Nelli : "Les Durfort de
Languedoc au Moyen Age", 1989
G. Passerat :
"Troubadors de pertot", 1996.
Couleur Lauragais N°29 - février 2001