Histoire
Ecolier au début du XXème siècle
Né
en 1910, Guilhem Castagné, qui a passé son enfance à
Saint Orens, nous raconte son expérience de l'école telle qu'il
l'a vécue au début de ce siècle ; son maître très
sévère mais très apprécié de ses élèves,
les corvées quotidiennes ; des moments qui sont pour lui autant de
bons souvenirs.
Une source de méditation pour les écoliers à l'aube du
XXIème siècle.
Mon maître d'école devait avoir 50 ans, homme tout simple, un habillement des plus ordinaires. Dans la classe, il marchait chaussé de sandales. En plus de son travail de professeur, il assurait le secrétariat de mairie de deux communes.
Je n'avais pas cinq ans lorsque je suis allé pour la première fois en classe ; habituellement, on y allait plutôt à partir de l'âge de sept ans. Mais c'était la guerre de 1914-1918 et cet homme si brave acceptait les enfants sitôt qu'ils savaient demander la permission d'aller au cabinet.
Certains
jours nous étions quarante cinq élèves. A huit heures
précises, tous les élèves devaient être en rang
dans la cour. Là, le maître commençait par inspecter les
oreilles et les mains, et s'il vous trouvait sale, il fallait aller se laver
à la pompe quelle que soit la saison.
Tous les élèves de six ans et plus avaient des tables et des
bancs, tandis que les petits restaient assis sur un banc au fond de la salle
d'école.
Lorsque
tous les élèves avaient pris leur place dans le plus grand silence
et en ordre, la journée commençait. Chaque matin, le cours de
morale que l'on devait réciter, ensuite le calcul jusqu'à la
récréation. Un peu plus tard, lecture et devoirs. Une fois par
semaine, cours contre l'alcoolisme avant d'aller prendre le repas de midi.
L'après-midi, on s'appliquait sur les dictées et les leçons
de grammaire. Un jour géographie, un autre jour histoire ou sciences,
voilà quel était notre emploi du temps.
Pendant toute la guerre, l'épouse du maître, qui ne travaillait
pourtant pas dans l'enseignement, venait vers les neuf heures s'occuper des
petits au fond de la classe. Elle les prenait bénévolement au
vestiaire pour leur apprendre à parler le français. Nous tous
qui parlions le patois, nous apprenions à compter, à connaître
les jours de la semaine, les mois, les saisons. Elle nous lisait beaucoup
de livres de la Comtesse de Ségur et, à sept ans, lorsque nous
allions avec le maître, nous connaissions déjà beaucoup
de choses et savions même lire.
Notre maître
était très sévère et distribuait souvent les punitions
: priver l'élève de récréation, l'obliger à
rester en classe après les heures de sortie aussi bien à midi
que le soir ; sans compter les taloches, coups de pieds au derrière,
les oreilles tirées et de bons coups de gaule sur la tête, ou
le dos. Mais c'était aussi et surtout un homme qui nous aimait bien
et nous savions le lui rendre.
La mode voulait que l'on porte de la saucisse à notre maître
lorsqu'on tuait le cochon, et même les familles les plus pauvres faisaient
ce geste. Mais même le jour où vous aviez donné votre
paquet de saucisses juste avant la classe, si cinq minutes après le
maître vous interrogeait et que vous ne saviez pas votre leçon,
vous étiez puni toujours aussi sévèrement.
Pour les élèves qui devaient passer le certificat d'études
dans l'année, il fallait venir à l'école une heure plus
tôt le matin, et le soir sortir une heure plus tard. Si par malheur,
un élève ne pouvait suivre son cours et réussir son certificat,
le maître en devenait malade. Lorsqu'il était content par contre,
il prenait une petite brosse dans la poche droite de son gilet et se brossait
la moustache.
Les récréations consistaient en des jeux auxquels le maître
participait. C'était parfois aussi du travail.
En été, il fallait arriver avant l'heure de la classe pour travailler
le jardin et sortir plus tard le soir pour l'arroser. Certains jours, c'était
la totalité des récréations qui se passaient à
arracher les mauvaises herbes.
En hiver, il fallait scier des bûches non pas pour l'école mais
pour le maître. Les grands sciaient, pendant que les autres, tels des
fourmis, montaient les bûches au galetas au-dessus du premier étage.
Pour nous remercier, le maître nous distribuait alors un bonbon ou un
nougat, mais il ne nous retirait pas pour autant les punitions.
Dans la classe,
il y avait un grand poêle à charbon qui était allumé
et entretenu par un élève de corvée. C'est à tour
de rôle que l'on devait s'en occuper. En plus de chauffage, il servait
à sécher les habits des élèves qui venaient à
pied, parfois de fort loin. Eté comme hiver, certains élèves
parcouraient une heure de route à pied en suivant les sentiers, et
malgré la pluie, la boue, la neige. Il n'y avait pas d'absents. Le
poêle servait à faire chauffer les gamelles car, à cette
époque, il n'y avait pas de cantine.
Chaque semaine, quatre élèves, deux grands et deux petits, étaient
de corvée pour faire le ménage, balayer, frotter les tables
et le bureau du maître. En hiver, les élèves du village
allaient le jeudi après-midi à l'école et autour du poêle
nous effilochions la laine des matelas du maître pendant que sa femme
nous faisait la lecture.
Nos parents faisaient tout pour que nous ne manquions pas l'école.
Eux-mêmes étaient trop malheureux de ne savoir ni lire ni écrire,
et c'est pour que nous ne devenions pas comme eux qu'ils nous y envoyaient.
Actuellement, lorsque nous nous retrouvons entre anciens élèves, c'est toujours avec beaucoup de respect que nous parlons de notre vieux maître que nous aimions autant qu'il nous aimait.
Guilhem
CASTAGNE
Auteur du livre "Saint Orens, mon village"
Couleur Lauragais N°28 - décembre 2000 / janvier 2001