Gens d'ici
Joseph Marcon, l'ancien chaisier de Caraman
A 80 ans, Joseph Marcon a pris sa retraite depuis de nombreuses années. Il a ouvert les portes de son ancien atelier pour nous expliquer ce qu'était son métier dans une région où le bois a toujours été un élément moteur de l'économie.
Une
histoire italienne
Comme Joseph l'explique lui-même, chaisier n'est pas réellement
le bon terme pour décrire son ancien métier. Lui se définit
plutôt comme un " bâtonnier ". Le chaisier ne s'occupe
en effet que du rempaillage des chaises alors que le " bâtonnier
" intervient sur toute la conception. Il doit donc à la fois maîtriser
le travail du bois et celui du rempaillage.
L'histoire de Joseph commence dans un petit village des Dolomites italiennes au début du siècle. Le métier de chaisier est une spécialité locale et les artisans italiens, par manque de travail, s'expatriaient souvent vers la Suisse ou la France. Ils passaient alors de ferme en ferme pour proposer leurs services, refaire une chaise ou fabriquer un siège. Les fermes du Lauragais étaient souvent meublées de bancs ou de sièges réalisés en saule dans la Montagne Noire et les italiens amenaient, à cette époque, une technique et un savoir-faire très réputés. En échange de leurs services, les paysans leur donnaient gîte et couvert.
L'installation
en France
Le père de Joseph quitte l'Italie dans les années 30. Il s'installe
d'abord à Villefranche de Lauragais, proche de Revel et déjà
réputée pour ses fabrications de meubles. La région manque
alors de main d'uvre : au début du siècle, en effet, chaque
canton du Lauragais comptait au moins un artisan-chaisier mais la première
guerre mondiale est passée par là, décimant les campagnes
de beaucoup de leurs hommes. Plusieurs métiers ont bien failli disparaître
à cette époque, par manque de main d'uvre bien sûr, mais
aussi et surtout par manque de maîtres apprentis, capables de transmettre
leur savoir-faire aux plus jeunes.
A douze ans, Joseph apprend le métier avec son père. A l'âge adulte, il reprend son atelier et continue son apprentissage lors de ses nombreux voyages en Italie. La famille a en effet conservé une maison dans les Dolomites et Joseph, à chacune de ses vacances, en profite pour aller rencontrer les artisans locaux et apprendre leurs techniques.
Les
différentes étapes de la conception
De la chaise la plus simple au siège le plus élaboré,
Joseph connaît les mille et une façons de concevoir un modèle.
Pour les chaises, trois types de bois pouvaient être utilisés
: en priorité le noyer et le merisier et plus rarement le hêtre.
Trois bois qui ont la particularité d'être à la fois solides
et d'avoir un grain très fin, capable de donner de belles et robustes
chaises. Un bois comme le chêne, explique Joseph, est solide mais son
grain est trop grossier : les chaises réalisées dans ce bois
ont un aspect rustique qui ne plaît pas aux clients.
On lui présentait une photo ou un croquis en lui demandant de réaliser
un exemplaire unique ou une série de six. On lui amenait aussi souvent
des morceaux de chaise dans un grand sac, en lui demandant de restaurer ou
plutôt de réparer tel ou tel modèle. On déterminait
les tailles et on commençait à façonner le bois pour
réaliser un modèle que l'on pouvait ensuite recopier avec les
machines. Les premières années de sa carrière, Joseph
travaillait intégralement à la main avant d'investir dans une
machine combinée qui lui permettait de tailler les planches, de creuser
le bois et de le polir pour arriver à la forme souhaitée. Venait
alors l'étape difficile de l'assemblage. Si les calculs avaient été
bons, les différentes pièces s'ajustaient naturellement et il
suffisait alors de les rentrer en force et de renforcer le montage par la
pose de quelques chevilles.
Un seul élément n'était pas réalisé dans l'atelier : la marquetterie. Le client choisissait dans un catalogue un ornement qui était ensuite confié à un artisan de Rabastens (Tarn). Pour l'habillage, on utilisait du jonc habillé avec une paille de seigle venu soit du département du Lot, soit de la Chine lointaine très réputée pour la qualité de sa paille. On entourait ainsi soigneusement le brin de jonc avec un morceau de paille de couleur naturelle ou teinté en bleu, rouge ou jaune. Outre l'aspect esthétique, cela permettait en effet de solidifier le rempaillage.
Des
modèles souvent liés à la mode
Une semaine était nécessaire pour fabriquer un siège.
Tout au long de sa carrière, Joseph a réalisé de nombreux
modèles : Louis-Philippe, chauffeuse, directoire, Louis XV , ainsi
que des chaises " Monastère ", massives, que l'on mettait
autour d'une table rustique de campagne ; ou encore cet ancien modèle
de chaise provençale, basse et trapue, qui a lui a valu un beau succès.
Des chaises d'enfants aussi, hautes sur pieds, et que l'on gardait dans la
même famille de génération en génération.
Mais la mode jouait déjà un rôle important. Autour des
années 40, note Joseph, dans la région on réalisait surtout
des chaises courantes pour les fermes alentour. Cela est resté vrai
jusque vers 1965 où la concurrence industrielle a commencé à
devenir féroce. Les artisans se sont alors repositionnés sur
les belles chaises, plus décoratives. Dans les années 70 et
80, certains modèles, très prisés jusqu'alors, ont quasiment
disparu (comme par exemple les modèles Louis-Philippe et Directoire).
Un
production de plus en plus industrielle
Aujourd'hui, plus personne ne semble intéressé pour faire le
métier de chaisier qui demande un long apprentissage. Les supermarchés
du meuble qui vendent une production industrielle ont imposé une concurrence
sans merci aux petits artisans. Des usines existent dans la région
sur Soual ou, un peu plus loin, dans les Landes. Le fils de Joseph avait lui
même pris sa succession, mais le métier devenant de moins en
moins rentable, il l'a finalement abandonné il y a une dizaine d'années
pour devenir chauffeur de taxi.
Le métier s'est progressivement tourné vers des produits haut de gamme où la région de Revel a su imposer sa réputation. Mais nombreuses sont encore les productions du chaisier de Caraman qui décorent les maisons du Lauragais.
Interview : Pascal RASSAT
Crédit
photos :
Collection Joseph Marcon
représentant ses propres modèles
Couleur Lauragais N°27 - novembre 2000