Légendes
Légendes et sorcières : les faudes de Montalbiau
Les collines du Lauragais, les bois de la Piège, les forêts de la Montagne Noire fourmillent d'histoires, de légendes reposant fréquemment sur le diable qui apparaît la nuit dans une clairière ou des sorcières qui séjournent dans des souterrains et qui dansent au clair de lune. Légendes ? Oui, certainement, et cependant des faits historiques bien établis scientifiquement et reposant sur des documents écrits, nous interrogent. Fiction et histoire sont souvent intimement mêlés. Couleur Lauragais vous rapporte une de ces légendes : celle des "Faudes de Montalbiau" ("les sorcières du mont au buf"), colline mystérieuse à Ayguesvives.
Cette colline (altitude au sommet 267 m) est une bosse aux formes arrondies. C'est un belvédère unique dominant la gouttière de l'Hers mort et permettant une vision directe depuis le seuil de Naurouze jusqu'à Toulouse, soit 45 kms. Comme on a découvert là haut de très nombreux vestiges archéologiques gallo-romains (céramiques, culs d'amphores, tuiles à rebords), des historiens ont émis l'hypothèse d'un établissement romain de surveillance de l'antique voie romaine (via aquitania) sur plus de 23 milles romains. Actuellement le sommet est occupé par un énorme calvaire du XVIIIème siècle, en briques, le plus grand du Lauragais en volume, et qui ajoute encore du mystère à la légende des Faudes car cette croix est appelée aussi "la Croix des Albigeois"; or Albigeois, en Lauragais, signifie cathare.
La légende
des Faudes
En occitan, Montalbiau signifie la colline du buf. Pour les faudes, la forme
toponymique languedocienne est aussi faudas ou fadas, signifiant sorcières
ou plutôt fées (dans le Lauragais, fées et sorcières
sont désignées par le même terme : faudas). Pour la sorcière
on dit de préférence "la fatiliera". Les sorcières
ont donné leur nom à la colline car c'est l'ensemble de la bosse
qui, dans le très vieux cadastre occitan d'Ayguesvives de 1489, s'appelle
"les faudes de Montalbiau".
Un souterrain traverserait la colline depuis l'église d'Ayguesvives jusqu'à la Fontaine des Fièvres, à Montgiscard. Ce lieu-dit montgiscardès est toujours bien localisé. C'est un bas fond humide au sud du village, entre l'agglomération et la gendarmerie. Dans ce cros vivaient trois femmes, les sorcières. Elles ne sortaient que la nuit, pour danser sous la lune ou pour aller laver leur linge au vivier (*) de Jany. Ce vivier est toujours là. Les sorcières exerçaient leurs maléfices avec une force mystérieuse et occulte qui attirait les passants empruntant les sentiers de la colline. S'ils transportaient des fagots de brindilles de bois par exemple, ils étaient obligés d'abandonner leur cueillette. Enfin les faudes font souvent appel au diable qui apparaît habillé de rouge et montant un cheval blanc. La venue du diable est presque banale tant elle est fréquente dans les légendes lauragaises et dans certains monuments : le château de Roquefort, entre les Cammazes et Durfort, est appelé souvent "la tour du Diable", de même pour la célèbre tour de Trébons.
Une histoire
transmise durant les veillées lauragaises
Les histoires de sorcières se transmettaient oralement par les veillées
hivernales au cours desquelles se réunissaient les paysans voisins
de plusieurs métairies. Pendant que les hommes jouaient aux cartes,
les femmes et les jeunes " triaient" les haricots ou égrenaient
le maïs. Les plus âgés racontaient l'Histoire, ou des histoires
légendaires du Lauragais. Les sources historiques sur les Faudes sont
diverses : la très sérieuse monographie communale de 1885 de
l'instituteur Amiel, les cadastres déposés aux archives municipales
ainsi que les témoignages de vieux ayguesvivois. Mes aïeules m'ont
fréquemment parlé des faudes et décrit la colline comme
un lieu dangereux, à fuir, avec un puits dans lequel "on jetait
les hommes" (?) accrochés à de puissants "crochets
de fer"(?). Une aura de mystère et de danger entourait cette colline
et je n'y grimpai qu'à l'âge de 18 ans et armé d'un fusil
de chasse ! Les crochets existaient bien enfoncés dans le fût
du calvaire, mais ils servaient à soutenir un autel portatif lors des
cérémonies religieuses des Rogations ...
Le souterrain
(ou cluzel) existe bien
En 1957, un habitant du village creuse un puits sur une parcelle de terrain
à proximité de l'église, sur les flancs de la colline
des Faudes. A environ 4 à 5 mètres de profondeur, on tombe sur
une cavité : le fameux cluzel. J'ai pu observer, sans y descendre,
une portion de souterrain, large de 1,8 mètre environ pour une hauteur
de 2 mètres. Non voûté ou construit, il est creusé
dans une roche dure, "le roc" (en termes scientifiques, le grès
de la molasse). Le fond était remarquablement sec. Le cluzel n'est
pas un mythe : des constructions de ce type sont très nombreuses en
Lauragais avec des appellations variées: traucs, tutas, cros, cluzels,
clusels, cluseaux. Le Moyen-Age a même connu une profession originale
: un crossaire, désignant celui qui creuse des cros ; on retrouve ce
terme dans des noms de personnes : Cros, Ducros, Ducroc. Les fonctions de
ces abris sont multiples ; ce sont rarement des hypogées mais surtout
des moyens de fuite (d'un château par exemple comme on peut le voir
aux Bastards). Des habitations provisoires aussi quand ils prennent l'allure
de pièces d'assez grandes dimensions (ainsi les cavités découvertes
à St Léon, au lieu dit Saint Sernin). La fonction principale
reste cependant celle d'un refuge provisoire lors du passage de bandes de
pillards (pendant la guerre de 100 Ans) ou une armée ennemie, par exemple
le fameux Prince Noir en 1355. La population se glissait dans le cluzel à
l'heure du danger et l'orifice était ensuite soigneusement dissimulé.
Les paysans en ressortaient après le départ des ennemis.
Les femmes
ont réellement vécu dans des cros au XIIIème siècle
Des hommes et des femmes, au XIIIème siècle, ont vécu
dans des cavités comparables à celle de Montalbiau. Ainsi un
cros servait d'habitation à la Parfaite cathare Arnaude de Lamothe,
à partir de 1234. Lorsque celle-ci est pourchassée par l'Inqui-sition,
elle se cache dans la région de Lanta dans " une petite maison
sous terre" où les Croyants du voisinage lui apportaient à
manger .
Une dame de Francarville (10 km au Nord de Lanta), révèle qu'en
1223 deux Parfaits prirent en ferme des terres de son mari : "Ces Parfaits
y firent un clusel et j'allai souvent les y voir avec ma nourrice Guillemette
de Valberaut ... Quand Francarville fut pris et détruit par les français,
j'allai avec mon mari Arnaud Guillaume d'Albiac et ma dite nourrice Guillemette
dans ce clusel, par peur des Français, où se trouvaient Pierre
Gaubert et son compagnon Pierre Rousaud, Parfaits, et nous y restâmes
pendant trois semaines".
On dénonce encore, en 1274, une femme, qui dit avoir vu, il y a de cela longtemps, trois belles hérétiques dans un clusel à Castelnau-Montratier (Lot) : "elle vit une fois trois très belles femmes, et ces femmes, en la voyant, rentrèrent dans ce clusel". Ainsi, l'existence des faudes s'explique-t-elle vraisemblablement au départ par des faits réels, des femmes réfugiées dans un clusel. Puis, progressivement, l'imaginaire paysan les a tranformées en sorcières et la légende est née.
Le mystère
du calvaire persiste
Le mystère du calcaire sommital persiste encore. Les joints à
la chaux permettent de dater l'édifice du XVIIIème siècle
ou de la première moitié du XIXème siècle. La
croix est en fer forgé, martelée par le forgeron du village.
Ses dimensions sont colossales : 3 mètres de haut, base carrée
de 1,4 mètre de côté environ. L'épaisseur du mystère
grandit lorsqu'on donne son nom : "la Croix des Albigeois", par
le témoignage de pèlerins de Nailloux cheminant vers le grand
sanctuaire catholique Notre Dame de Roqueville, principal lieu de pèlerinage
du Lauragais occidental. Pourquoi une telle appellation ?
Albigeois est ici synonyme de cathare. La colline a été terre
cathare, appartenant à la puissante famille des seigneurs de Roqueville
dont le château (supposé) est, à vol d'oiseau, à
1000 mètres environ, au Sud de Montgiscard. Notre Dame de Roqueville
est située à 800 m. Cela n'explique pas un calvaire du XVIIIème
siècle car une telle construction a toujours une localisation précise
: elle rappelle l'existence d'une église disparue, un cimetière,
un croisement de chemins. Ici rien de tel et nous n'avons aucune explication
à proposer
Couleur Lauragais vous mènera vers d'autres lieux insolites et inconnus du Lauragais, par exemple vers Montgey où, dit-on, rodent la nuit, des fantômes des Croisés massacrés en 1211, dans les ruines du château de Roquefort ou dans celles du château d'un célèbre troubadour toulousain, Raimon de Miraval.
Jean ODOL
(*) un vivier
est une mare
alimentée par un sourcin,
avec des poissons que l'on consomme le jour maigre
du vendredi.
Couleur Lauragais N°26 - octobre 2000