Les poteries culinaires lauragaises
Un
matin de Septembre...
Nous nous retrouvons sur les côteaux de Montgaillard, mon camarade Georges,
son père et moi-même, à la recherche des compagnies de
" rouges " qui hantent ces parages.
La
matière première permettant de fabriquer ces ustensiles d'antan
était l'argile, roche sédimentaire tendre et abondante dans
le sol du Lauragais.
Le filon d'argile se trouvait dans la carrière attenante à une
poterie, à une profondeur de trois mètres environ. Recouverte
par l'humus (50 cm) et une couche sableuse, l'argile ou terre à potier
se présente sous une forme compacte qui s'effrite rapidement. On l'extrait
à coups de pioche et à la pelle. Les blocs sont entassés
sur une aire. Au fur et à mesure des besoins, il faut la malaxer avec
de l'eau. Le potier tranche au fil de fer le morceau qu'il va travailler et
modeler. Pour réaliser sa poterie, il utilise le tour, mis en marche
au pied. Cet appareil se compose de deux plateaux en bois. Ils sont superposés
et fixés sur un axe. Un mouvement du pied sur celui du bas provoquait
la rotation et l'entraînement du plateau supérieur sur lequel
l'artisan modelait de ses doigts experts l'objet désiré.
Les pièces étaient réalisées en une seule partie.
Leurs accessoires (anses, becs ou poignées) faits à part, étaient
rapportés avant séchage. Le verdet (oxyde de cuivre) et l'alquifoux
(sulfure de plomb au galène) coloraient respectivement en vert et ocre.
Avant le séchage complet, sous abri, le potier passait l'engobe qui
donnait, sous l'action de la chaleur (1000 °), ce glacis ou cet aspect
émaillé. Les poteries réfractaires étaient constituées
d'un mélange d'argile et de silicate d'aluminium (conducteur de chaleur).
Le
four du potier (chauffé au bois).
Il se composait de trois parties : la sole ou foyer sur lequel le potier posait
les éléments à cuire, la voûte aux parois en briques
réfractaires et la cheminée d'évacuation de la fumée
lorsqu'il chauffait le four. Pour obtenir une cuisson en vase clos, l'artisan
fermait cheminée et ouverture (lourde porte du four).
Pendant de longues heures (36 h.), l'intérieur devenait incandescent
dans cette étuve chauffée à blanc. Le potier et son aide
se relayaient pour veiller à la cuisson. Ils n'ouvraient la porte du
four qu'après un complet refroidissement. Alors, ils retiraient les
poteries qui étaient entreposées dans un appentis.
Le potier (lé terralhé) fabriquait les ustensiles dont nos ancêtres
avaient besoin : vases destinés à conserver et récipients
indispensables à la cuisson.
Les
poteries, réserves d'eau potable
La cruche de ménage aux épaisses parois vernissées conservait
fraîche l'eau provenant du puit à roue (pouts roudié).
La forme variait d'une région à l'autre. La cruche de Gascogne
était plus élancée que celle du Lauragais. De plus, elle
était fermée par un couvercle. La cruche de chez nous "trapéto
et panséto" (courte et ventrue) était dotée d'un
col étroit et solide soutenant deux anses et un bec verseur. Ce populaire
récipient en terre argileuse était coloré en jaune (traces
d'oxyde de fer) ou en vert (présence d'oxyde de cuivre).
Si l'on en prenait soin, afin d'éviter des chocs mortels, une cruche
durait toute une vie. A force de l'incliner sur la vasque de l'évier
(traouc del dournié) pour faire couler l'eau, sa partie basse sous
le bec finissait par s'user.
D'autres utilisations
Une bassine à tout faire : la grazalo. Cette auxiliaire ménagère
servait à mettre au sel, avant cuisson, les quartiers (tailhous) de
confit d'oie, de canard ou de porc. On y malaxait la chair à saucisse
avant de l'empocher dans les boyaux. "Lé grazal dé terralho",
vase en terre vernissée ou bassine utilitaire était fabriquée
par le "grazalaïre". Cet artisan la colorait en jaune, mais
il ne passait l'engobe (vernis) que sur la paroi intérieure en contact
avec les viandes. Deux petites anses et un bec verseur caractérisaient
cette vasque épaisse et tronconique.
Des
pots de salé ou confit (lé salat).
À une époque où on ne connaissait pas les congélateurs,
les ruraux devaient constituer des réserves de viande par des procédés
éprouvés. L'alliance sel et graisse permettait à la ménagère
d'avoir des viandes à disposition, du début de l'hiver jusqu'à
Pâques. Pour conserver les morceaux d'oie, de canard, de dinde et de
porc, elle utilisait le "graïssié" (pot blanc pansu),
parfois rayé en "bleu lauragais". Elle fermait son ouverture
à l'aide d'un papier blanc, attaché au col par un fil de coton
ou de lin.
Ces pots garnis séjournaient sur une étagère dans un
endroit frais (chai ou remise), dans les dépendances des métairies.
Lorsque les menus demandaient un morceau de confit pour donner du goût,
la cuisinière extirpait du pot avec une longue fourchette, un cou ou
une cuisse ou un filet selon un choix parcimonieux. Les bas morceaux constituaient
la cuvée tout venant. On s'en servait pour les soupes. Ils étaient
dans un pot spécial.
Avant la découverte du procédé Appert, les maîtresses
de maison conservaient le foie gras cuit dans la graisse (la graïsso).
Elles utilisaient de petites soupières en terre émaillée
ou vernissée de couleur blanche avec décor. Lorsqu'une occasion
se présentait (repas convivial), elles dégagaient le foie de
son lit de graisse.
Poteries destinées
à la cuisson sur le trépied (trespès).
Leur forme arrondie et pansue présentait deux avantages :
- Réalisée sur le tour, l'arrondi était la forme la plus
logique.
- Leur ligne ventrue favorisait une suite page 39 meilleure répartition
de la chaleur. On distinguait le pot à manche (l'oulo) et la marmite
à oreilles (lé toupi) à cuire les potées ou soupes.
Les "sauteuses"
et "la cassolo" utilisées pour les ragoûts (estoufets)
et les sauces.
Les cafetières pour réchauffer le café, au coin du feu
(cafétiérous). Elles étaient unies ou bi-colores (jaune
et ocre).
Les pots de confiture
Des récipients cylindriques à large ouverture et fabriquées
en terre vernissée blanche gardaient les fruits cuits dans le sucre
d'une saison à l'autre. Ils provenaient des vergers des particuliers.
Bien rangés sur l'étagère au dessus de l'évier
ou dans le buffet (cabinét), ces pots dont l'embouchure était
recouverte de papier, renfermaient les desserts d'antan et les goûters
(lé vrespailla) des jeunes ruraux, à une époque où
l'on achetait qu'une orange à Noël. Une étiquette indiquait
la nature du fruit confit que le pot conservait.
Les poteries font ainsi toujours partie de notre Lauragais rural.
Textes
et dessins d'Odette BEDOS.
Crédit photo : C. LE MORVAN
Couleur Lauragais N°25 - septembre 2000