Coup fabuleux
Un
matin de Septembre...
Nous nous retrouvons sur les côteaux de Montgaillard, mon camarade Georges,
son père et moi-même, à la recherche des compagnies de
" rouges " qui hantent ces parages.
Dès le départ, nous avions décidé de rester en
ligne, afin de battre le plus de terrain possible et notre vétéran
de répéter :
- Doucement, doucement les enfants, ne laissons rien derrière nous.
Mais si cette tactique convenait à notre Ancien, peut-être gêné
par un léger embonpoint, elle s'accordait mal avec nos jambes de vingt
ans. A ce train-là, Georges et moi qui visions les rapides perdreaux,
n'étions pas près de leur mettre la main dessus. Véga
et Sisca, les deux bleus d'Auvergne, levaient quelques cailles immédiatement
saluées par notre aîné. Cela faisait beaucoup de bruit
J'entendis même des grains de plomb perdus tinter bizarrement sur l'acier
de mon arme.
D'un guéret, une compagnie de perdreaux se leva. Finies les bonnes
résolutions ! Nous galopions déjà à sa poursuite,
laissant sur place notre tireur de cailles, sourds à ses protestations
:
- Attendez, ne nous affolons pas !
Près d'une vigne, les premiers " rouges " se mirent sur l'aile
et Georges en stoppait un en plein travers, alors que j'en démontai
un autre que les chiens n'arrivèrent pas à capturer.
Après
une heure de course, nous retrouvâmes notre Ancien. Grande était
sa déconvenue, car en plus d'une " bredouille ", il avait
eu maille à partir avec un cultivateur qui n'avait pas apprécié
sa façon de fouler une luzerne. A la question lui demandant s'il savait
lire les pancartes " défense de chasser ", notre ami avait
cru bon de rétorquer :
- Mais je venais voir si ce terrain était à vendre !
Georges tua une paire de cailles tandis que notre héros _ il le
devint sur la fin _ ratait systématiquement. On l'entendit gronder
et parfois crier :
- Cà y est, je l'ai touchée, les plumes ont volé !
Oui, pensions-nous, mais pas dans la viande !
Très
haut, un oiseau rapide venait sur nous et ailes déployées, commença
à tourner au-dessus de nos têtes
Notre Ancien me dit :
- Une palombe, ne bouge surtout pas !
Le fusil bien calé à la verticale, il expédia son coup
: PAN ! L'oiseau replia ses ailes, tomba à nos pieds, foudroyé
!
Hélas, les manifestations de joie furent de courte durée. La
" palombe " n'était qu'un pigeon domestique regagnant le
bercail. Les doutes ne furent plus permis quand, de la métairie proche,
de véritables clameurs nous firent lever le nez. La fermière
poussait des cris et, armée d'une fourche, faisait de grands moulinets,
son attitude prouvant qu'elle n'était pas du tout contente.
Notre tireur malchanceux fit néanmoins disparaître son "
gibier " au plus profond de la veste et calmement, opéra un repli
stratégique. Encore aujourd'hui, le souvenir de ses paroles me revient
:
- Béni pitchoun, béni, nous cal parti d'aïci, autromen
ba calfa !
(Viens petit, viens, il nous faut partir d'ici, autrement ça va chauffer
!)
De cet exploit peu glorieux, nous tirâmes la seule conclusion : notre Ancien, ce matin-là, n'avait vraiment pas été aidé par la chance !
André
THOMAS
Illustrations et photos : André Thomas
Couleur Lauragais N°25 - septembre 2000