Gens d'ici
L'abbaye bénédictine d'En Calcat
Un peu en retrait de la route, à la sortie de Dourgne, l'abbaye d'En Calcat a été construite par une communauté de moines bénédictins qui vit là depuis plus d'un siècle. C'est là que nous sommes allés rencontrer le père Stanislas. Il a voulu nous montrer que, bien que les moines vivent retirés du monde, ils n'en sont pas pour autant hors du monde.
Les
origines
L'abbaye
bénédictine d'En Calcat a été créée
en octobre 1890 par le père Romain Banquet. En 1903, la loi anticléricale
de Jules Ferry est votée et les bénédictins sont chassés.
Ils ne reviendront pas avant 1918. Les bénédictins vivent selon
les règles écrites par Saint Benoît au VIème siècle.
La première est de rester lié à un groupe d'hommes et
à un lieu durant toute sa vie. Une règle qui n'est certes pas
toujours facile à suivre mais qui constitue un engagement fort de la
communauté. Si les moines bénédictins s'engagent sur
un lieu, une communauté bénédictine se doit aussi d'essaimer.
C'est ainsi que lorsque l'abbaye d'En Calcat a compté 120 moines, elle
a alors envoyé une mission de 30 d'entre eux au Moyen-Atlas. Ils y
ont créé une nouvelle communauté très fortement
liée à l'abbaye tarnaise.
70 frères vivent aujourd'hui dans cette abbaye, certains depuis plus de 50 ans. Des bâtiments ont progressivement été construits autour de la petite chapelle du début du siècle jusqu'à constituer un splendide ensemble au milieu de la campagne tarnaise. De magnifiques réalisations sont aussi venues décorer les bâtiments : vitraux colorés, Christ sculpté ou encore cette orgue majestueuse dans l'église. Son constructeur souhaitait la donner à une église qui possède une accoustique exceptionnelle. C'est ainsi qu'elle fut finalement léguée à l'abbaye d'en Calcat.
Le parcours
du novice
Devenir moine et "prendre l'habit" est un long chemin. Des étapes
le jalonnent, destinées à tester sa réelle motivation
pour l'engagement d'une vie. Le "candidat" est d'abord accueilli
pour un premier stage de quinze jours puis renvoyé chez lui. Il reviendra,
s'il le souhaite toujours, pour un second stage de six mois avant de quitter
à nouveau le monastère. Si sa détermination n'est pas
entamée, il deviendra postulant pour une durée d'un an, puis,
au bout de cette période, novice pour un an et demi. Il fera ensuite
ses Vux pour une période de un ou trois ans avant de faire ses Vux
définitifs au bout de ce long parcours. Pour les Vux définitifs,
c'est toujours la communauté qui juge le novice capable de prendre
l'habit. Elle le fait de la manière la plus démocratique qui
soit. Chaque moine donne son opinion sur le "nouveau" et vote pour
ou contre son intégration. Pour cela, chacun dispose de deux haricots
: l'un blanc marque son acceptation à accueillir le nouveau moine.
L'autre, de couleur noire, indique que le novice n'est pas prêt à
rejoindre la communauté.
Chaque décision importante est ainsi soumise au vote des moines. C'est
le cas lorsque l'abbaye se dote d'un "chef spirituel", le père
abbé, entouré d'un conseil élu de 9 moines. Son élection
s'étale sur une période de trois jours minimum. Le premier jour,
la communauté se rassemble et désigne plusieurs candidats. Le
second jour, chacun donne son point de vue et le 3ème jour, c'est l'heure
du vote. Ces trois jours sont animés par un moine extérieur
à la communauté, choisi pour sa neutralité.
Une
journée dans la vie d'un moine
La journée à l'abbaye commence à six heures du matin.
Après la toilette, les moines se réunissent une première
fois pour l'office et la prière du matin. Après le petit déjeuner,
on consacre 3/4 d'heure à la lecture de la bible dans le silence. "Le
silence", explique le père Stanislas "permet de rendre la
parole puissante et forte". C'est aussi un moyen de se rapprocher de
Dieu, de communier avec lui. De 9 à 10 heures, c'est la messe chantée
avant de commencer la journée de travail. Cette journée ne s'achève
qu'à 18 heures, seulement entrecoupée du déjeuner et
de pauses de prières. Chaque moment de la journée a sa prière
(Prim pour la première prière du jour, None pour la prière
de 14 heures, l'Oraison, prière silencieuse avant le dîner, ).
La prière, explique le père Stanislas, c'est le "signe
manifeste de la gratuité de la relation entre l'homme et Dieu".
La quête perpétuelle de Dieu amène une incroyable sérénité,
une plénitude qui vous remplit de plus en plus à mesure que
vous gagnez de l'âge. Et prier n'est jamais une contrainte : "prier,
ce n'est pas sentir qu'on prie, comme aimer, ce n'est pas sentir qu'on aime".
Ces prières étaient auparavant en latin mais le concile a conseillé le français comme langue de prière. Un changement qui ne s'est pas réalisé sans quelques résistances. Des intégristes, au moment du concile et afin de marquer leur réprobation à cette décision, ont plastiqué une aile du bâtiment de l'abbaye. Un plafond en métal remplace aujourd'hui la voûte en pierre et rappelle ce difficile moment. Tous les soirs, l'ensemble de la communauté se rassemble au moment du Chapitre. La fin de la journée constitue un moment propice à la discussion entre les moines. C'est aussi là que se prennent les principales décisions de la communauté.
Le travail
et la prière au centre de la vie de la communauté
Saint Benoît a dit : "C'est alors qu'ils seront vraiment moines,
quand ils vivront du travail de leurs mains". Le travail représente
en fait la dimension humaine de la vie monastique. L'abbaye accueille ainsi
des personnes de toutes les origines. On devient moine plus tard qu'autrefois
et les moines exercent, au sein de la communauté, le métier
qu'ils exerçaient auparavant au dehors. Si la communauté d'En
Calcat vit principalement de l'édition et la vente de cartes postales,
posters et d'objets de piété, elle compte bien d'autres compétences
en son sein. Intellectuels ou manuels, chacun a sa place.
Le père
Stanislas est pour sa part sémanticien. La communauté compte
également un ancien ingénieur américain, diplômé
de l'Université de Stanford, qui vit retiré à l'abbaye
depuis plus de dix ans. Des artistes ont également rejoint l'Abbaye
: tel le père Robert, tapissier de réputation internationale
qui a notamment réalisé des tapisseries pour la reine d'Angleterre
ou l'UNESCO. De nombreuses photos de ses oeuvres sont encore vendues à
travers le monde. Ou encore, ce moine mélomane qui a eu l'idée
de tripler la portée de la Cythare, inventant ainsi de nouvelles possibilités,
et dont les instruments se vendent également bien au delà de
nos frontières.
La communauté compte aussi des verriers, des mécaniciens, menuisiers,
apiculteurs (avec un miel particulièrement réputé).
L'accueil,
une autre vocation de l'abbaye
L'accueil est aussi un élément important dans la vie de l'abbaye.
Beaucoup de personnes, individuelles ou en groupes, s'arrêtent à
En Calcat. Un
parloir permet d'échanger avec des personnes issues de toutes les couches
de la société. Ils viennent souvent y exprimer leurs doutes
et leurs angoisses. La communauté, loin d'être coupée
du monde, le laisse au contraire rentrer régulièrement dans
ses murs. Le père Stanislas souligne d'ailleurs la vocation sociale
de ces parloirs et l'oreille attentive que les pères accordent aux
personnes qui les sollicitent. Des groupes sont également accueillis
dans un bâtiment tout proche : ils viennent ici pour se ressourcer et,
pendant quelques jours, vivent au même rythme que les moines. L'occasion,
en ces temps de pessimisme ambiant, de faire partager un moment de rare sérenité
et peut-être un peu de ce bonheur de vivre car, comme l'avoue le père
Stanislas, être moine, c'est être chaque jour un peu plus heureux
de vivre.
Interview
:
Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°25 - septembre 2000