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Couleur Lauragais : les journaux

Balade

"A la découverte d'Avignonet"


Après Castelnaudary et Labastide d'Anjou, la nationale 113 monte insensiblement jusqu'au col de Naurouze (à 190 mètres). Brusquement, à gauche, apparaît l'obélisque de Riquet et à droite deux castra (villages fortifiés au Moyen-Age) perchés sur leurs collines : Montferrand avec son château et son phare de l'Aéropostale, Avignonet et son énorme église, exceptionnelle par son volume, splendide vaisseau gothique. En pénétrant dans Avignonet, on trouve un panneau singulier : "site cathare, massacre des Inquisiteurs". Plus loin une "poterne des cathares" et une place "Raimon d'Alfaro". Des lieux lourdement chargés d'Histoire que nous visitons aujourd'hui.

Vue generale d'Avignonet

Une des clefs du seuil de Naurouze
Par le seuil de Naurouze se glisse l'une des routes les plus an-ciennes de France, une route qui réunit les régions drainées par la Garonne et ses affluents (les ruisseaux qui vont se jeter dans l'Hers mort) et les régions méditerranéennes (les ruisseaux affluents du Fresquel). Dès la Préhistoire, à l'âge du Bronze, des hommes transportent l'étain venu d'Angleterre et, passant par Naurouze, ce métal précieux gagnera la Méditerranée et la Grèce : c'est la fameuse route de l'étain. Les Romains s'installent à Narbonne et à Toulouse en 118 avant Jésus Christ. L'un de leurs premiers grands chantiers est la construction d'une route empierrée de Narbonne à Toulouse, en utilisant Naurouze : la voie d'Aquitaine (via aquitania). Pour contrôler cette voie et le seuil, des forteresses apparaissent dès l'épo-que des Romains et au Moyen-Age. Les Romains construisent Sostomagus (Castel-naudary) et Elusiodunum (Montferrand, à Saint Pierre d'Alzonne). Au Moyen-Age, deux villages fortifiés sont édifiés : Montferrand (sur la colline) et Avignonet ; sur le versant audois : le château du Présidial (à Castel) et plus tard, en 1376, le Roi de France fonde "la bastide d'Anjou". Il apparaît donc qu'Avignonet est l'une des quatre forteresses qui dominent Naurouze, un des verrous du seuil. Sa situation et le site expliquent ce rôle fondamental.

Un castrum médiéval
Les rempartsCe castrum est très ancien, sans doute pré gallo-romain. Les vestiges archéologiques (comme les tuiles à rebord pour les toits, les débris de céramique, les vestiges d'une villa à Cantarane) sont très abondants à Avignonet et sur les collines voisines. Au Moyen-Age, le castrum est fortifié par de puissantes murailles du XIIème siècle, période d'essor démographique et de construction de villages. Les restes des remparts sont très bien conservés vers le Sud et bien visibles depuis la RN 113. Pour accéder au castrum, on a le choix entre deux portes : à l'Ouest la porte de Cers et à l'Est la porte d'Auta. La porte de Cers a conservé une magnifique tour de défense (à côté du Croisé). Sur le point le plus élevé de la colline : le château dont il ne reste plus qu'un mur de soutènement aux énormes blocs. L'emplacement du château correspond à l'actuelle place d'Alfaro et la petite butte au Nord de celle-ci. Ce château résista en 1355 aux pillards anglo-gascons du Prince Noir (1) mais la ville fut incendiée.

Avignonet et le pastel
L'herbe du Lauragais, ou pastel, fut largement cultivée autour d'Avignonet et son commerce engendra une grande prospérité dans tout le Pays de Laurac. Le pastel est une plante mythique qui a donné l'expression "Pays de Cocagne". Comme nous l'avions déjà évoqué dans ce journal, les cocagnes sont des boules de feuilles écrasées et séchées. C'est dans les feuilles que se localise le principe chimique permettant de teindre en bleu les tissus de laine. La culture est un véritable jardinage avec cueillette des feuilles à la main, écrasement au moulin pastelier, puis longue préparation de l'agranat qui sert aux teinturiers. Le pastel du Lauragais a teint en bleu toute l'Europe, de l'Espagne à l'Angleterre, de l'Allemagne à Florence, Venise et Barcelone. Des fortunes colossales s'édifièrent sur le commerce de l'agranat permettant la construction à Toulouse des hôtels d'Assézat et de Bernuy et la floraison des châteaux du pastel en Lauragais : Baraigne, Lastours à Baziège, Marquein, les Varennes, St Papoul, Vallègue, Fourquevaux. L'or bleu est tué par la concurrence de l'indigo venu d'Amérique (des Antilles) vers 1562. Le pastel fit certainement la fortune d'Avignonet qui est toujours indiqué par les historiens comme un centre important de production et de commerce. De nombreux moulins pasteliers ont dû écraser les feuilles d'"isatis tinctoria" mais il n'en reste aujourd'hui aucune trace.

Une merveille gothique
La tour de défense à côte du Croisé et l'église en fondAvignonet baigne dans une atmosphère médiévale, que cela soit du côté de l'église ou de la Place d'Alfaro. Le château où le massacre eut lieu a disparu : il ne subsiste plus que la base d'un mur dont les blocs ont entendu les clameurs désespérées de Guillaume Arnaud, l'Inquisiteur. La porte de Cers a conservé une très belle tour et près d'elle un chevalier Croisé de pierre, minutieusement représenté avec la lance, l'écu, le heaume, le haubert. Cette statue est néanmoins récente. Un peu plus bas une stèle discoïdale est scellée au dessus d'un portail (beaucoup de stèles ont disparu). L'église est un splendide vaisseau gothique avec un clocher-tour octogonal s'apercevant de fort loin comme un donjon gardant la grande route. Commencée vers 1385, elle a dû être financée par les richesses tirées du pastel. Enorme par ses dimensions, elle est aussi un bâtiment religieux de la reconquête catholique dans ce Lauragais qui fut hostile à l'église romaine aux XIIème et XIIIème siècles. Le style est du gothique méridional, avec une nef immense, pas de transept, des chapelles latérales entre les piliers soutenant la voûte de la nef. Les fenêtres qui s'ouvrent à une grande hauteur au dessus du sol sont un signe de légère fortification. La population se réfugiait dans l'église lorsque des bandes de pillards sillonnaient la région. L'ensemble est un joyau gothique des XIV-XVème siècles, la partie la plus intéressante étant la voûte sur croisée d'ogives.

La tragédie des inquisiteurs
C'est dans la nuit de l'Ascension du 28 au 29 mai 1242 que fut massacré le tribunal de l'Inquisition (11 victimes). C'était le signal attendu d'un soulèvement général du Midi contre le Roi de France qui lentement, depuis 1209 et surtout 1229, annexait le comté de Toulouse au domaine royal. En 1229, le comte Raimon VII voit ses états amputés et sa fille Jeanne est dans l'obligation d'épouser un frère de Saint Louis. Pour se libérer il met sur pied une vaste coalition avec les comtes de Foix, de Comminges, de la Marche, les rois d'Angleterre et d'Aragon. Le massacre d'Avignonet devait donner le signal des opérations.
Le tribunal d'Inquisition est chargé de rechercher les suspects accusés d'être des Croyants cathares. Avec l'organisation méthodique de la délation, de fichiers dignes d'un système policier moderne, le Tribunal se fait remarquer par sa violence et ses exactions qui le conduisaient à exhumer et brûler les ossements d'hérétiques inhumés en terre consacrée. En janvier 1242, Guillaume Arnaud et Etienne de Saint Tibéry entreprennent une grande tournée en Lauragais : ce sera la dernière. Ils passent à Auriac, à Saint Félix, Labécède, Laurac, Fanjeaux. Le 20 mai ils sont à Sorèze puis à Avignonet dans le château du comte de Toulouse et dont le bayle est Raimon d'Alfaro. Ce dernier était un fils de Guillemette, elle-même fille naturelle de Raimon VI. Le soir du 28 mai, une troupe de chevaliers faydits, des cavaliers, des sergents, des habitants de Gaja la Selve sont sur une colline dominant le Mas Saintes Puelles et attendent la nuit pour pénétrer dans le castrum. Cette troupe est venue de Montségur. Dans Avignonet, une trentaine de personnes participent au complot. La nuit venue, la troupe atteint l'abattoir, force les portes du château à coups de hache, pénètre dans la pièce où dormaient les Inqui-siteurs, puis c'est la ruée sauvage et aveugle ; un véritable carnage : 11 victimes ("N'oublions quant même pas qu'ils avaient envoyé au bûcher une trentaine de personnes", écrit Michel Roquebert).
L'insurrection générale éclate en juin 1242 mais les défaites s'accumulent, le roi d'An-gleterre est battu à Taillebourg, le comte de Foix fait défection et Raimon VII vaincu doit signer la paix de Lorris (1243). L'église catholique et le Roi de France décident de s'emparer de Montségur pour abattre définitivement la capitale spirituelle du catharisme. Le siège commence au printemps 1243 et le bûcher final a lieu le 16 mars 1244.

Autour d'Avignonet
Autour d'Avignonet les balades sont nombreuses. A Montferrand il faut voir le château, le phare utilisé par Mermoz et Saint Exupéry, les thermes romains, l'église paléochrétienne du IVème siècle, les sarcophages, l'église romane, les stèles. Labastide d'Anjou est une bastide de 1376. Castelnau-dary, tout proche, avec son Présidial, le musée, l'église. A Baraigne, voyez l'église romane, les stèles et un château splendide du pastel. Port Lauragais enfin propose une exposition permanente sur le canal.

Là haut, à Avignonet, le Croisé a fière allure, avec son regard tourné vers le Sud, scrutant l'horizon d'où vont surgir " ceux de Montségur ".

Jean ODOL

(1) Le Prince Noir est le fils du Roi d'Angleterre. Parti de Bordeaux avec 10 000 cavaliers, il opére une chevauchée en Toulousain, passant la Garonne vers Portet, il incendie tous les villages du Lauragais et poursuit jusqu'à Narbonne. 500 villages seront brûlés, en 1355.


Couleur Lauragais N°25 - septembre 2000