Le Lauragais a porté des centaines de moulins à vent. Un moulin est nécessaire pour les besoins en farine de deux cent personnes environ, d'où leur nombre spectaculaire (pas moins de trente autour de Castelnaudary au XVIIIème siècle !). Presque tous ont malheureusement disparu. Il reste aujourd'hui peu de traces de ce patrimoine si riche et parfois, seul le fût et quelques poutres subsistent encore. Cependant, un mouvement se dessine dans la population lauragaise pour sauver ces ruines et quelques restaurations sont fort bien réussies. Couleur Lauragais vous conduit ce mois-ci sur la route de ces moulins.
Le vent entre
dans l'histoire
Pendant près d'un millénaire, la civilisation rurale française
a reposé sur le travail quotidien du moulin et de son meunier. Le moulin,
progressivement adopté par tous les pays d'Europe au cours du XIIIème
siècle, mérite que l'on réfléchisse aux conditions
de son apparition dans
" le laboratoire historique " du XIIème siècle occidental.
Les Chinois avaient utilisé la force du vent pour faire flotter des
cerfs-volants ou encore pour faire fonctionner le moulin à prières
(400 avant J.C). Mais le moulin à vent tel que nous le connaissons
est une invention occidentale qui doit peu à l'Orient. Les Croisades
en Terre Sainte font mention d'un moulin en 1189 construit pendant le siège
d'Acre par Richard Coeur de Lion et Philippe Auguste. " Des croisés
allemands construisirent un moulin sous les murs de la ville. Ils firent le
tout premier moulin à vent qui jamais fut fait en Syrie " (d'après
Claude Rivals). En Angleterre, le premier moulin à vent remonte à
1181 sur une terre de l'abbaye de Saint Mary de Shineshead près de
Bristol. En France, c'est en 1180, près de l'abbaye de Saint Sauveur
le Vicomte que se dresse le premier moulin à vent. En Lauragais, sur
le cartulaire de Notre Dame de Prouille (à Fanjeaux), on relève
qu'en 1223, se dressait le premier moulin. C'est la plus ancienne mention
connue entre Rhône et Garonne. La motte est toujours là, bien
visible, bien conservée, mais plus de moulin. En 1245 les villages
proches de Pexiora et de Besplas construisent des moulins et deux autres de
ces édifices sont construits, en 1255 à Saint Papoul et en 1309
à Montgiscard. Ce n'est en fait qu'au XIIIème siècle
que le moulin s'est répandu dans toute la France et en Lauragais.
De Montbrun
à Caragoudes en passant par en Cos
Je vous propose, amis lecteurs, une route des moulins s'appuyant sur une carte
Michelin 82 et le croquis joint. Le point de départ, c'est Montgiscard,
sur la RN 113. L'église de ce village est
célèbre par son clocher, de type mur, avec six baies campanaires
du XVIème siècle, construit par Nicolas Bachelier, célèbre
maçon de Toulouse. Il s'agit d'une très belle construction du
Pastel. Au Sud de Montgiscard, on peut voir le moulin de Montbrun, très
bien restauré en 1999. Nous filons ensuite vers Baziège en empruntant
la D 24 qui correspond à l'ancienne voie romaine, la via aquitania,
de Toulouse à Narbonne. Cette voie traverse la plaine marécageuse
sur de petits ponts (les pountils) toujours parfaitement visibles. Baziège
est l'antique cité gallo-romaine de Badera, avec une borne milliaire
dans l'église, des amphores (à la mairie), des mosaïques.
Depuis Baziège, allons à Montlaur, au moulin d'En Cos, véritable
trésor pour l'historien. Il ne lui manque que les ailes car, à
l'intérieur, tout est complet : les meules d'origine, le grand rouet,
le cavalet (*). Ce dernier est vraiment joli avec sa crinière noire,
les naseaux et les oreilles bien entaillés, profondément dans
le bois, avec en plus, des harnais, des grelots, des pompons en laine, rouges,
bleus, jaunes.
De Caragoudes
à Castelnaudary
En traversant Labastide Beau-voir nous retrouvons le pastel. Beauvoir était
en effet un marchant pastelier de Toulouse qui acheta la seigneurie qui prit
ainsi son nom. A Caragoudes, sur la colline dominant le village, le moulin
de la Paillasse, avec des murs extérieurs fort bien restaurés.
Vers le Nord, à 2 km, sur la rivière Saune, le moulin à
eau d'Angras, en excellent état. La gourgue (bassin creusé en
aval par les eaux qui jaillissent du moulin) est immense. De Caragoudes, nous
filons sur Saint Félix où il faut voir le château, la
place de la bastide avec la halle et le beffroi, la Commanderie et la très
belle église collégiale (1316). Poussons maintenant jusqu'à
Revel. C'est une autre bastide de 1342, la plus vaste du Lauragais, avec sa
place, ses couverts ou garlandes. Il est nécessaire d'aller à
l'office du Tourisme sous la halle où une abondante documentation vous
sera remise. De Revel faisons un détour par les Cassés et son
bûcher de 1211 (à 500 mètres à l'Est du village,
au lieu dit le Fort).
De Cugarel
à Fanjeaux
Prenons le repas de midi à Castelnaudary, capitale du cassoulet. Chaque
restaurant vous présentera le sien, spécifique. Tous sont également
délicieux. Sur la colline du Pech : le moulin de Cugarel, certainement
le plus célèbre et le plus connu du Lauragais. Il est le survivant
des 32 moulins qui tournaient autour de Castelnaudary au XVIIIème siècle
et de la douzaine encore existants vers 1900. Cugarel a été
abandonné en 1921. Il était la propriété de la
famille Dimur, meuniers de père en fils, qui portaient également
le surnom de Cugarel. La légende dit que le meunier avait l'habitude,
pour éviter de salir sa chevelure avec la farine, d'attacher ses cheveux
longs en faisant une sorte de boule ou de queue semblable aux coques de pastel
(de là viendrait le surnom de Cugarel d'après Jean Rouzaud).
La restauration a été rigoureusement menée avec le bue,
implanté sur la motte et qui a la même forme que le moulin de
la famille Dimur, la capelada et les grandes ailes aux dimensions traditionnelles
de 7,70 mètres. A l'intérieur, les meules et les mécanismes
en font le moulin farinier type du Lauragais. Flânons quelques instants
dans les vieilles rues du côté du Présidial, de la collégiale
(gothique), de la chapelle Notre Dame de Pitié, ou encore vers le grand
bassin et le port au blé.
Au Sud Ouest
de Castelnaudary, au Mas Saintes Puelles des affleurements de gypse ont supporté
des constructions originales aujourd'hui disparues : des moulins à
plâtre, dans lesquels les meules écrasaient les pierres en donnant
du plâtre. Le Mas est célèbre encore comme étant
le lieu de naissance de Saint Pierre Nolasque (né vers 1189). Ami du
roi d'Aragon, Jacques ler le Conquérant, il fonda à Barce-lonne
en 1218 l' "Ordre de la Merci" pour le rachat des captifs chrétiens
des Maures.
A Villasavary, le moulin farinier reste fort bien conservé. A Prouille,
au pied de Fanjeaux, le monastère de moniales dominicaines fondé
en 1206 par Saint Dominique est toujours là (bien que son architecture
soit plus récente). Un peu avant les bâtiments, à droite,
on distingue les restes de la motte féodale sur laquelle s'est dressé,
vers 1223, le premier moulin à vent du Lauragais. A Fanjeaux, il faut
voir la maison de Saint Dominique, le belvédère du Seignadou,
la chapelle des Dominicaines près de la halle, les vieux murs de la
rue des cavaliers (ou chevaliers) ainsi qu'un très beau pigeonnier
à la Hille.
De Fanjeaux
à Belpech
A Fanjeaux nous prenons la route de Belpech en descendant le cours de la Vixiège
(D 102). Ribouisse est une bastide du XIIIème siècle, avec un
moulin habilement restauré. Cazalre-noux a conservé des murailles,
une porte fortifiée et surtout une belle église romane, forteresse
aux gros blocs sommairement façonnés. Plaigne possède
dans l'église un sarcophage gallo-romain et un très beau clocher
peigne. Belpech nous permet d'admirer le portail roman de l'église,
le plus beau et le plus complet du Lauragais. A l'intérieur, on trouve
aussi une belle collection de stèles discoïdales.
Deux moulins à eau sur le Gardijol
Au Nord Ouest de Belpech le ruisseau le Gardijol est un affluent de rive gauche
de l'Hers mort, avec deux moulins à eau. Le premier, celui d'en Jacquou,
est situé sur la commune de Caignac, domaine appartenant avant 1789
à l'Ordre de l'Hôpital Saint Jean de Jérusalem. Il subsiste
encore de très beaux restes du château, église du gothique
méridional.
A Seyre, le moulin restauré a été dessiné par
un groupe d'enfants juifs allemands et autrichiens qui s'étaient réfugiés
dans ce petit village en 1940-41. Ces enfants (ils étaient 80) ont
vécu une épopée tragique qui en conduisit une dizaine
vers le camp de la mort d'Auschwitz. Après Seyre, nous voici à
Villefranche, encore une bastide, un autre moulin à eau (à proximité
de la route de Caraman), et l'autoroute vers Toulouse.
Notre Odyssée sur la route des moulins lauragais nous a permis de découvrir des églises romanes, des châteaux. La richesse architecturale du Lauragais est immense pour qui sait localiser "ces mille choses à voir". Couleur Lauragais vous conduira, avec d'autres circuits, dans les sites les plus secrets du Pays des Mille Collines.
Jean ODOL
*) désigne une petite tête de cheval, en bois, qui orne un auget (sorte de caisse) dans lequel tombe le grain avant de glisser sous la meule.
Couleur Lauragais N°24 - Juillet-Août 2000