Gens d'ici
Le battage à l'ancienneAujourd'hui à la retraite, Roger ALIBERT a travaillé toute sa vie comme exploitant agricole sur le canton de Caraman. En compagnie de son épouse Marceline, il nous raconte les moissons au temps du battage à l'ancienne.
Après son certificat d'études, Roger a quatorze ans. Il entre comme ouvrier agricole chez un entrepreneur de Toutens, Mr Capel. Il fait alors la tournée des exploitations sur un rayon d'une dizaine de kilomètres autour de Caraman et travaille pour 4 à 5 métairies selon le saison et les besoins en main d'uvre. En 1934, il est employé chez un nouveau patron à Caraman, Mr Cazeneuve. Cette expérience lui permet de s'installer à la tête de sa propre exploitation en 1938.
Le temps des
moissons
La période des moissons avait une place très particulière
dans l'année pour les ouvriers agricoles comme pour les exploitants.
C'était l'occasion de repas conviviaux qui réunissaient tous
les voisins venus se donner des coups de main mutuels afin d'accélerer
le travail et garantir une récolte de bonne qualité. Roger et
Marceline se souviennent avec un peu de nostalgie de ces repas durant lesquels,
malgré un travail souvent éprouvant, on partageait une ambiance
chaleureuse et festive autour d'une poule au pot ou d'un poulet rôti.
La
période des récoltes démarrait dès que le blé
était mûr, en général au début du mois de
juillet. On vérifiait sa maturité en égrenant un épi
dans la main : le grain devait être jaune et sec pour pouvoir démarrer
les moissons. On établissait alors le planning de travail sur les différentes
exploitations des alentours, et la tournée pouvait commencer pour ne
se terminer qu'à la fin du mois de juillet.
Une journée type pendant l'époque des moissons commençait
très tôt. Il fallait être debout dès le lever du
jour et aux premiers rayons du soleil, on était déjà
dans les champs. En effet, il fallait travailler le plus possible tant que
la chaleur était supportable. La journée s'écoulait alors,
tout juste coupée par les pauses du déjeuner et les casses croûtes
qui rythmaient le temps de travail. On ne s'arrêtait qu'avec la tombée
du jour et uniquement lorsque le manque de lumière rendait toute tâche
impossible.
Un matériel
rudimentaire
Lors des premières moissons auxquelles Roger a participé, vers
le milieu des années 30, le matériel demeurait encore très
rudimentaire : une faucheuse, une charrette et la batteuse-lieuse qui restait
alors à la ferme et n'était pas directement amenée dans
les champs à moissonner.
On vérifiait d'abord la hauteur de coupe de la faucheuse en utilisant
un levier qui permettait de régler la taille de fauchage. Une fois
le blé coupé, on le ramassait pour former, à la main,
de petites gerbes que l'on entassait dans les champs. On passait ensuite avec
une charrette pour ramasser ces gerbes et les ramener à la ferme. C'était
là, dans la batteuse-lieuse, que l'on séparait le blé
de la paille. On montait d'abord sur la batteuse avec une échelle et
on plaçait le blé par un orifice situé au dessus de la
machine. Les épis passaient alors dans une presse à l'intérieur
de la machine. La paille était ensuite expulsée d'un côté
en grosses balles maintenues par des fils de fer, alors que les grains remplissaient
des sacs en toile de jute de l'autre côté.
Pour les plus grosses exploitations, une journée complète était nécessaire pour couper le blé et le mettre dans des sacs. Ceux ci avaient une contenance moyenne de 80 kg et on pouvait en remplir, pour certaines grosses exploitations, jusqu'à une centaine. Pour les plus petites fermes, le travail était terminé en une demi journée seulement, avec une production d'une cinquantaine de sacs. Les balles pouvaient facilement peser entre 50 et 60 kg en fonction de la pression que l'on donnait au fil les reliant et donc de la quantité de paille que l'on y mettait.
Les moissons
pendant la guerre
Roger raconte comment, pendant la seconde guerre mondiale, on était
obligé de faire des balles plus petites et moins lourdes pour que les
femmes et les plus jeunes, souvent les seuls à rester sur l'exploitation,
puissent monter les bottes dans la grange.
A l'issue de la première guerre mondiale et dans les années qui suivirent, la technique a fait des bonds formidables modifiant profondément le travail des agriculteurs. La démocratisation des tracteurs a d'abord permis d'automatiser le travail de la batteuse et de la lieuse. C'était en effet le moteur du tracteur qui permettait d'actionner, par de grosses poulies, les différents mécanismes. Progressivement, tout le travail a été réalisé dans les champs, la batteuse étant directement transportée sur les lieux de travail.
Un changement
de rythme : l'arrivée des moissonneuses batteuses
A la retraite depuis 1985, Roger ALIBERT se souvient de l'époque des
moissons comme d'un formidable moment de convivialité et d'entraide
mutuelle où chacun mettait du cur à l'ouvrage pour assurer la
réussite de la récolte de son voisin. Un période difficile
aussi car le travail était très pénible : travailler
sous la canicule, dans une poussière incessante soulevée par
la fauche des blés, et ce du petit matin jusqu'à la fin du jour.
A partir des années 50, cette convivialité s'est un peu perdue
avec l'apparition des premières moissonneuses batteuses. Une révolution
qui s'est mise en place très progressivement : Roger se souvient encore
des craintes exprimées par rapport à la trop forte mécanisation
et l'inquiétude que l'utilisation des machines gâche la récolte.
D'abord détenues par de grosses exploitations, elles se sont progressivement
démocratisées. La main d'uvre agricole nécessaire pendant
les moissons a bien sûr beaucoup baissé et elles se sont depuis
lors déroulées sur des périodes plus courtes. Autre différence
majeure, au début du siècle on conservait la quasi totalité
de la récolte pour nourrir les bêtes de l'exploitation. Peu à
peu, la part de la récolte mise à la vente a largement augmenté
pour arriver aujourd'hui, à la vente quasi intégrale de la production,
la plupart du temps aux coopératives.
En contrepartie, le travail est bien sûr plus rapide, ce qui est essentiel
pour assurer une bonne qualité des grains en cas de grosse pluie au
moment de la moisson. Il est aussi beaucoup moins pénible : les cabines
des moissonneuses batteuses sont désormais climatisées, insonorisées
et équipées confortablement.
Le progrès a certes limité la convivialité de ces périodes traditionnelles mais en contrepartie il a apporté plus de confort de travail aux exploitants. Aujourd'hui, Roger retrouve un peu de cette convivialité oubliée dans les fêtes locales célébrant le battage à l'ancienne, qui montrent aux plus jeunes comment la moisson se déroulait auparavant. Et c'est toujours avec grand plaisir que Roger continue à y faire quelques démonstrations de son activité d'antan.
Interview : Pascal RASSAT
Couleur Lauragais N°24 - Juillet-Août 2000