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Couleur Lauragais : les journaux

Gens d'ici

Antoine et Bernard OLIVARES,
deux générations de bateliers sur le canal du Midi

Couleur Lauragais a rencontré deux générations de bateliers. Antoine Olivares, le père, a navigué sur le canal du Midi de 1937 à 1983. Son fils, Bernard, a lui même démarré son activité dans les années 70. Ils nous livrent leurs sentiments sur l'évolution du métier depuis plus d'un demi-siècle.


La batellerie des années 30
Antoine a commencé a naviguer dans les années 30. La péniche sur laquelle il est employé comme matelot s'appelait la "Fernande". C'était un bateau en bois du style "sapine" (1), qui convoyait des marchandises de Bordeaux à Marseille. Au début du siècle, ces sapines étaient encore halées par des chevaux. Selon le tonnage, deux à trois chevaux étaient nécessaires pour couvrir une trentaine de kilomètres par jour. Les premières péniches étaient équipées d'une barre franche(2) qui nécessitait la présence constante d'une personne sur le pont. Puis progressivement, elle fut remplacée par une barre à roue qui permettait de diriger le bateau à l'abri de la cabine. Le canal comptait alors près de 180 bateaux naviguant sur ses eaux. Jusqu'en 1939, on naviguait encore de jour et de nuit. Au passage d'une écluse, on allait réveiller l'éclusier afin qu'il actionne le mécanisme d'ouverture.

Le Mascaret, le long de la rive

La première péniche familiale
Le batelier est alors payé au pourcentage sur le frêt transporté (de l'ordre de 30% à cette époque). Antoine économise pendant quelques années et, en 1949, il achète son premier bateau le "René-Germaine". C'est une péniche en bois de 160 tonnes qui servira d'abord au transport de marchandises avant d'être transformée en pinardier (la péniche est équipée de cuves pour servir au transport du vin). Pendant neuf ans, Antoine sillonne le canal de l'Aude à la Gironde. C'est à cette époque, sur le "René-Germaine", que naissent une fille et un fils. Leur destin est déjà tout tracé, il seront bateliers comme leurs parents. Les deux enfants Olivares sont confiés à leur grand mère paternelle pour qu'ils puissent suivre normalement l'école pendant que leurs parents naviguent. Mais le fils Bernard n'a déjà qu'une idée en tête : naviguer.

Les années soixante : l'âge d'or de la batellerie
En 1966, le père, Antoine achète le "Banco" qu'il revend quelques années plus tard pour payer le "Surcouf", une péniche métallique avec un moteur de 150 chevaux et un tonnage de 180 tonnes. Plus moderne, ce type de bateau réclame moins d'entretien et présente également un plus grand confort que les antiques péniches en bois. Les années 60 marquent la grande époque de la batellerie : plus de 200 bateaux naviguent alors sur le canal de Sète à Bordeaux (pinardiers, céréaliers, pétroliers,). On parle alors de faire des travaux sur le canal du Midi et de l'adapter aux grands gabarits (seules les petites embarcations pouvaient en effet l'emprunter)(3). Antoine et Bernard se souviennent avec un peu de nostalgie de cette période. Tous les bateliers se connaissaient avec une solidarité hors du commun entre naviguants et éclusiers. A cette époque, quand on naissait fils ou fille d'éclusier ou de batelier, on le restait toute sa vie. Des bureaux d'affrêtement permettaient de trouver un client pour lequel on convoyait une marchandise sur le parcours Marseille / Bordeaux (4). Et les clients, tout au long du canal, ne manquaient pas. C'est durant cette époque faste, que Bernard embarque, à l'âge de 14 ans, comme matelot, sur le bateau de son père.

Un déclin progressif
A bord du René-GermaineEn 1975, Bernard achète son propre bateau, le "Jean Mermoz". Mais on observe déjà les premiers signes de la mort annoncée du transport de marchandises sur le canal. En 1977, Bernard est obligé de déposer le bilan à une époque où les mariniers s'arrêtent par groupes de dix tous les mois. L'Office National de la Navigation promet alors une prime en contrepartie de la destruction de la coque des bateaux. Le transport par péniche est pourtant économique, souligne Bernard : un demi cheval de puissance par tonne suffit sur le canal là où 18 chevaux par tonne sont souvent nécessaires sur la route. Mais vers la fin des années 70, les priorités politiques en ont décidé autrement en orientant le canal, vers la plaisance et l'agrément. Le classement du canal au patrimoine mondial de l'Humanité a définitivement tourné la page de toute une époque. Comme l'explique Bernard, il est interdit en effet de toucher aux ouvrages d'art construits le long du tracé. Or, seule une mise aux grands gabarits aurait permis de redémarrer une activité de transport de frêt rentable sur la voie d'eau de Riquet. Celle-ci est donc désormais devenue impossible.

Un nouveau paysage
Aujourd'hui, il n'y a plus de transport régulier sur le canal, ni de bureau d'affrêtement. Le canal s'est désormais résolument tourné vers le tourisme. Une association (l'ATUVE) s'est créée pour défendre ses usagers, notamment sur les problèmes de droit de stationnement à acquitter aux voies navigables de France. Bernard s'inquiète aujourd'hui de voir se construire un "Riquet land", un lieu aseptisé où tout le parcours le long du canal serait aménagé avec des aires de pique nique et des voies cyclables. Il plaide pour un canal sauvage, plus proche de son caractère d'origine. Car un canal du Midi uniquement touristique aurait aussi ses inconvénients. Faute de passage réguliers de bateaux avec un tirant d'eau suffisant, le canal a en effet tendance à s'envaser dangereusement. "Le seul passage d'un ou deux gros bateaux", explique Bernard, "permettrait d'entretenir naturellement la voie d'eau".

Antoine Olivares actionne une écluseDeux générations de bateliers
La famille OLIVARES s'est adaptée à ces changements inéluctables. En 1983, Antoine a pris sa retraite et s'est installé dans une maison proche du quartier toulousain des Amidonniers. La sur de Bernard est restée dans le métier mais a été obligée de s'expatrier plus au nord : elle s'est en effet mariée avec un marinier spécialisé dans les transports internationaux sur les canaux de la Belgique et des Pays-Bas. Bernard a, quant à lui, acheté un bateau plus petit, le Mascaret une vedette de 19 places assises qui permet aux touristes de naviguer sur la voie d'eau de Riquet d'avril à octobre(5). En dehors de la saison touristique, Bernard devient capitaine de gros bateaux qu'il va chercher dans le nord de la France et dont il assure le convoyage. Il garde ainsi le contact avec le métier de transporteur de fret qu'ont assuré avant lui plusieurs générations de bateliers.

 

Interview : Pascal RASSAT

 

(1) La sapine a une forme carrée et transporte environ de 120 à 160 tonnes.
(2) Sorte de grand gouvernail qui permet de diriger le bateau.
(3) Les petits gabarits ont un enfoncement inférieur à 1,60 mètre pour une longueur de 28 à 30 mètres et un tonnage inférieur à 180 tonnes.
(4) Le canal du Midi se termine à Sète mais on peut ensuite prendre le canal du Rhône puis le canal des Étangs qui rejoint le Rhône par Frontignan, Palavas et Aigue-Morte.
(5) Le Mascaret propose des balades d'une heure à la demi journée avec passage d'écluse. Il est ancré à l'écluse de Gardouch (près de Villefranche de Lgs).

 

Couleur Lauragais N°23 - juin 2000