"Balade
sorézienne"
Venu de Toulouse, le pont sur l'Orival passé, j'opte pour le «Chemin du tour du Parc». Le parc, c'est celui de l'Ecole. Le chemin qui le borde semble fait pour les rêveries d'un promeneur solitaire. Mais n'allons pas trop vite. Cette haute grille flanquée de colonnes et d'urnes de pierre laisse deviner un jardin échappé à Gustave Doré. Quelques pas et c'est un portail imposant, uvre du sorézien Rivenq sous Napoléon III. Les Pasturin ont inscrit dès l'entrée du village, aux premières années du XIXème, le dessin d'une belle demeure cachée en ses jardins. Je
dois un regard au paysage. Peintres et lithographes ont trouvé
là le visage même de Sorèze. Des prairies, quelques
arbres et, tirant peut-être de ses pentes abruptes, le secret
de son nom charme : Berniquaut. Montagne ? Grosse colline ? Qu'importe!
Connaît-il Sorèze, celui qui n'a jamais accédé
au sommet ? Là-haut, les origines : les restes discernables d'un
village perché où l'homme vécut au moins deux mille
ans, avant d'établir sa maison dans la plaine, tout contre l'Abbaye.
Là-haut, un paysage insoupçonnable : le bassin de St Ferréol,
les gorges du Sor, la vallée de la Mandre, le Causse, mais aussi
tout le Lauragais tant de générations ont cherché
le Veau d'Or, entrevu la Dame Blanche, où le sorcier invoquait
le diable. Cordonniers et tailleurs faisaient partie du personnel. Les élèves, en effet, ignoraient les vacances en famille. On ne sortait de l'Ecole qu'à la fin de ses études. Ce long bâtiment (aujourd'hui brasserie) est l'ancienne Cordonnerie. La rue de Puyvert avec ses quelques modillons sculptés dans le marbre de Berniquaut, au XIIème siècle nous convie... mais les nécessités d'un itinéraire... Elle a perdu, cette rue, son ruisseau des Teinturiers. Restent leurs maisons. Celle de Jean Leignes dit son âge : une date, 1612. Une forteresse ? Mais non, un clocher. Celui de l'Abbaye ? Pas du tout. Ici, s'élevait l'église paroissiale St Martin. Seul, le clocher survécut aux Guerres de Religion du XVIème siècle. Il surmonte ce qui était le chur. De jolis bandeaux sculptés dans le grès, des fenêtres d'un gothique tardif et, à l'extérieur, bien visibles, des pierres de ré-emploi. Sans doute témoignent-elles d'une reconstruction de l'Abbaye à l'époque romane. La rue Lacordaire a failli garder intact l'alignement de ses encorbellements. Ici, naquit l'un des auteurs de l'Histoire Générale du Languedoc, Dom Devic ; là, Jean Mistler... Ce dernier, ministre puis secrétaire perpétuel de l'Académie Française, nous a laissé «le Bout du Monde» (récit d'une jeunesse immergée dans le Sorèze de la fin du XIXème, des premières années du XXème). L'enfant attentif enregistre le geste, la parole. Mistler nous les transmet plus tard avec une simplicité apparente : un arrière-plan de croyances, de traditions nous est révélé. Nous sommes
sur la place Dom Devic. Nous le remarquons, les rues de Sorèze
sont le reflet de son histoire. Ceux qui ont vécu à Sorèze,
participé à son rayonnement, nous retrouvons leur nom
qui est celui des rues. Rejoignons la rue Rastoul. Elle n'a (et c'est bien la seule) jamais changé de nom depuis 1595. Face à deux jolies maisons à pans de bois, se trouve l'ancien atelier Metge (aujourd'hui Prom). Le nom a changé. C'est toujours la même famille qui depuis Louis XV uvre là. Attirée par les énormes travaux que nécessita la création de l'Ecole Royale Militaire, elle installa son établi de menuisier. Famille d'ébénistes et, depuis quatre générations au moins, de sculpteurs, elle continue de créer de beaux meubles et en particulier des sièges d'une rare qualité. L'ancienne
rue de Castres (aujourd'hui «du Maquis») présente
le plus bel ensemble de maisons à encorbellement et colombages.
Ne passons pas sans voir tant de poutres sculptées. Trois pas,
et c'est la Ville Vieille. C'est ici, adossé à l'Abbaye
carolingienne, que serait né notre village. Les cartes postales
de la Belle-Epoque nous disent le bouillonnement de vie que connut ce
quartier, autour d'un marronnier à l'ombre généreuse. Yves BLAQUIERE
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