Histoire
Le Lauragais de l'An 1000Le Lauragais
de l'an 2000 laisse flotter au vent d'autan ses immenses champs de blé
et de tournesol. Des cathédrales de ciment parsèment les paysages
découverts de nos molles collines. A Bram, sur l'autoroute A61, d'énormes
camions transportent des légumes venus du Maroc. Mais à Fanjeaux,
dans le vieux village, l'Histoire s'est figée au Seignadou et la maison
de Saint Dominique nous ramène au XIIIème siècle. Ce
Lauragais 2000 si contrasté, comment se présentait il vers l'An
1000 ? Jean Odol vous le fait découvrir.
Fin
du monde ou printemps des hommes ?
Nous devons tout d'abord insister sur l'importance historique de l'An 1000.
Le monde chrétien attend fébrilement la Fin du Monde annoncée
par l'Apo-calypse de Saint Jean. Des foules immenses se ruent vers les grands
lieux de pèlerinage ou dans les églises pour invoquer les reliques.
D'énormes rassemblements se forment autour de la statue de Saint Foy
de Conques. A Limoges, des centaines de personnes sont étouffées
dans l'église. Après l'an 1000, le retour du Christ sur la terre
est annoncé pour l'an 1033. Mais après ces dates fatidiques,
rien ne se produit et les populations de l'Occident recommencent à
vivre : c'est un véritable réveil des hommes, c'est le printemps
du monde. On pénètre dans une longue période de développement
économique jusqu'au XIVème siècle, en 1348, date terrible
avec le retour de la Peste Noire. Des progrès agricoles (faibles) font
reculer les famines, la population augmente lentement et surtout l'on construit
de nombreuses églises romanes jusqu'en 1150-1200 (environ). Le pays
« se couvre d'un blanc manteau d'églises ». Au XIIIème
siècle, la population de la France est la plus importante de toute
l'Europe.
Le toponyme
Lauraguès (for-me occitane du français Lau-ragais) existait-t-il
en l'An 1000 ?
Certes le petit village de Laurac qui a donné son nom au Lauragais
apparaît dans un premier document historique en 932 mais le Lauragais
ou Pays de Laurac était certainement peu connu, voire carrément
inconnu. Les hommes vivaient dans le cadre d'une paroisse et n'en sortaient
pas.
D'immenses
forêts
De vastes forêts subsistaient en Lauragais. La plus grande d'entre elles
était celle de la vallée de l'Hers mort-Marès. Elle commence
vers Toulouse-Mon-taudran et par Baziège atteint le seuil de Naurouze
avec des milliers d'hectares marécageux où l'on chassait l'auroch
au IXème siècle. La forêt de Vauré (où sera
créé Revel en 1342) est immense et vers le Sud, vers Dreuilhe
se rattachait aux étendues boisées de la Montagne Noire.
Mais d'autres forêts marquent aussi ce Lauragais d'antan :
- celles de Pouze, Montgiscard, Espanès,
- la forêt des Hospitaliers à Montesquieu,
- la forêt de Nailloux (où sera créé Montgeard
en 1317).
- la Piège elle même, était une immense étendue
forestière dont il demeure aujourd'hui encore quelques beaux restes
vers Gaja la Selve,
- la région de Saint Papoul enfin : le finage du village a d'ailleurs
toujours l'allure d'une clairière.
La voie romaine,
Via Aquitania
Traversant d'Est en Ouest ces immensités forestières une lon-gue
trouée supportait une route, unique et prestigieuse, la via aquitania
ou voie romaine de Narbonne à Toulouse, par Car-cassonne, Bram, Castelnaudary,
Baziège. Quatre villages-relais devaient subsister en l'An 1000 : Badera
(Baziège), Sostomagus (Castelnaudary), Elusiodunum (Montferrand), Eburomagus
(Bram). Cette voie était dallée, donc, en principe, utilisable
en toutes saisons. Elle s'appelera plus tard « le cami ferrat »,
c'est à dire dur comme du fer. Son tracé correspond, en gros,
à celui de la nationale 113 de Toulouse à Castelnaudary, puis
de la route de Bram-Carcassonne. La présence de cette grande transversale
explique la localisation des nombreuses batailles du XIIIème siècle
(Bram, Baziège, Castel-naudary). En dehors de cette route, seulement
des pistes im-praticables en saison pluvieuse.
Le marché
au sel de l'an 1000 à Baziège
Une charte datée de 1005 atteste que les seigneurs de Caraman donnent
le marché de Baziège au monastère Saint Sernin de Toulouse.
Le sel venait de Gothie (région de Narbonne), porté par des
ânes conduits par des marchands goths. Le marché devait rapporter
gros car le comte de Toulouse en personne s'y intéresse pour lever
des taxes ainsi d'ailleurs que les puissants seigneurs lauragais de la famille
des Laurac. Le marché se tient d'abord hors des murailles de la ville
de Baziège, le long de la voie romaine, en bordure des champs dans
lesquels les ânes font des dégats. Puis les transactions se font
à l'intérieur des murs, dans un bâtiment spécial,
un « salinum ». Ce marché a dû perdurer plusieurs
siècles et des traces des péages sont encore perceptibles au
XVIIIème siècle.
Villages
lauragais, abbayes, châteaux
Les villages fortifiés (murailles en terre) sont peu nombreux au milieu
des clairières. C'est plus tard, au XIIIème siècle, que
se fixent toutes les paroisses actuelles. Si on dénombre 270 églises
et chapelles à cette époque, leur nombre était bien moindre
au XIème siècle. Les vieilles abbayes bénédictines
sont déjà là : Sainte Marie de Sorèze, St Pierre
de Venerque, St Papoul. Les abbayes de l'ordre de Citeaux sont plus tardives
: Boulbonne 1 (Mazères), Villelongue (XVIIIème siècle).
Pour les villages, existaient sans doute : Lanta, Caraman, Puy-laurens, Montgiscard,
Montes-quieu, le fort de Nailloux, Belpech, Auterive, Vauré. Les restes
de châteaux de l'an Mil sont rarissimes : Roquefort de la Montagne Noire,
les donjons de Salles et d'Auriac sur Vendi-nelle, la base des murs de la
Pomarède et celui de Montgey.
Les clairières
des zones cultivées
Les zones cultivées n'ont guère changé depuis les Gallo-Romains.
Dans la « Guerre des Gaules », Jules César parle, au premier
siècle avant Jésus Christ, de Toulouse et des collines «
couvertes de céréales » qui l'entourent. Les collines
du Lauragais supportaient donc, à cette époque, blé et
orge. Les paysans de l'An 1000 sont toujours établis sur des sols légers,
faciles à travailler avec des araires (charrues) en bois. S'il existe
une partie métallique, la pièce s'appelle la reille, sorte de
triangle qui tranche la terre horizontalement. Les sols lourds, les fonds
humides des vallées sont abandonnés à la forêt.
Les travaux reposent sur l'énergie humaine et animale. Les boeufs sont
de petite taille comme en témoignent des découvertes récentes
(juin 1999), dans des silos médiévaux, d'ossements de boeufs
adultes dont la taille serait de 1,55 m.
Les plantes cultivées sont les céréales de base : froment (blé) et orge, dont avec la farine on fabrique le pain, aliment très largement consommé. Il y a aussi l'épeautre (variété de blé très rustique), le seigle, dans la Montagne Noire et la Piège, beaucoup de fèves, pois chiches, lentilles, vesces. La base de l'alimentation repose sur le pain et les fèves. Les moutons sont nombreux avec deux races différentes, l'une pour la laine, l'autre plutôt pour la viande. On peut établir ces distinctions d'après une enquête très précise sur les granges de l'abbaye de Prouille (Fanjeaux) de 1340, et en l'an 1000 l'agriculture était la même qu'en 1340. Les rendements sont très faibles : 3-4 pour 1, ce qui signifie que pour un grain semé, on en récoltait 3 ou 4, d'où la fréquence des disettes et des famines dans cette agriculture de subsistance.
Un seigneur
du Lauragais et comte de l'an Mil
C'est ainsi que les historiens appellent le comte de l'An Mil, comte de Toulouse
et seigneur du Lauragais. Il s'agit d'un squelette et des résultats
de l'ouverture en 1989 d'un sarcophage contenant les restes de plusieurs comtes
de Toulouse et situé à « la porte des comtes » de
la basilique Saint sernin de Toulouse. L'étude par des spécialistes
a permis de découvrir des choses surprenantes sur un comte (on ne sait
pas exactement lequel car le squelette principal peut être attribué
à quatre personnages : Hugues, un deuxième Hugues, Raimon I
ou Raimon II). Le défunt était un adulte jeune, de sexe masculin,
mort entre 30 et 40 ans, en 957 (datation réalisée au carbone
14), aux mois de mars-avril. Sa taille est estimée à 1,89 m
et l'on a même reconstitué son visage, avec des cheveux blond
vénitien, donc un personnage typique de l'aristocratie des Francs.
Un détail intéressant, le comte, à l'âge de 10-11
ans a été victime d'une fracture du fémur droit et il
a été soigné selon des méthodes inspirées
de celles d'Hippocrate dans la Grèce antique (mise en traction de la
cuisse) et connues à Toulouse grâce aux médecins arabes
installés en Espagne d'où l'importance des liaisons très
faciles entre Toulouse et Barcelone et qui nous ont permis de connaître
les sciences antiques grâce aux Arabes d'al Andalous. Dans son sarcophage,
notre seigneur du Lauragais An 1000 était vêtu de chausses rouges,
une fine chemise de lin écru, une tunique de futaine à la mode
de l'aristocratie franque.
Le Lauragais
An 1000 était donc bien différent du Lauragais 2000. Les constructions,
vieilles de dix siècles, ont pratiquement disparu. Cependant on remarque
la pérennité de la culture des céréales, blé
et orge. La végétation naturelle (chênes) est également
demeurée la même. Enfin un héritage spectaculaire : le
vent d'autan, toujours aussi fou, aussi violent, tonique ou dépressif,
il devait bien sûr exister en 1000 avec ses caractères spécifiques
et apparaît d'ailleurs dans l'Histoire dans un document écrit
(la Chanson de la Croisade) en 1218.
Jean
ODOL
Crédits photos : Jean Odol.
Couleur Lauragais N°18 - Décembre 1999 / Janvier 2000