Histoire
L'insurrection royaliste d'août - septembre 1799 en LauragaisCouleur Lauragais
offre aujourd'hui à ses lecteurs, le privilège de la présentation
d'un tragique épisode d'histoire régionale : l'insurrection
royaliste de 1799. Les historiens n'ont guère été intéressés
par le soulèvement et le dernier ouvrage synthétique remonte
à 1887. Jean Odol rédige ici quelques généralités
qui sont une introduction à d'autres articles sur les régions
de Lanta, Caraman, Baziège, Nailloux et Cintegabelle. Un long parcours
historique commence aujourd'hui.
On a trop
souvent tendance à considérer la révolution de 1789 comme
pratiquement achevée avec la prise de la Bastille (juillet 89) et l'élaboration
de la déclaration des Droits de l'Homme. En réalité,
les convulsions révolutionnaires s'étalent sur dix longues années
jusqu'à la prise du pouvoir par un général victorieux
_ Bonaparte _ en novembre 1799. La fin des années révolutionnaires
est marquée dans la région toulousaine et en Lauragais, par
une très violente et massive insurrection royaliste et anti-républicaine.
Le Lau-ragais a été un des centres principaux du soulèvement
avec de très nombreux combats. Les royalistes ont échoué,
mais le bilan est lourd avec 4 à 6000 morts.
La France
du directoire 1795-99
De 1795 à 1799, la période appelée le Directoire est
marquée par l'application d'une Constitution républicaine (la
première République). Les institutions nouvelles fonctionnent
mal car les Directeurs se heurtent à une double opposition, royaliste
et jacobine. Des coups d'État, un tous les ans, permettent seulement
la survie du régime. De coup d'État en coup d'État, on
aboutira au dernier, celui de Bonaparte qui confisque le pouvoir. La situation
économique est dramatique et la misère du peuple est grande,
même dans la campagne lauragaise où de mauvaises récoltes
provoquent de graves disettes voire des famines. À l'extérieur,
la guerre contre l'Europe est marquée par de brillantes victoires en
Italie, en Allemagne, en Égypte. Après une courte accalmie,
la guerre reprend au printemps 99 avec l'Autriche, la Russie, l'Angleterre.
Les armées russes font leur apparition en Suisse. Contre le régime
républicain, la contre Révolution est de plus en plus active.
Des milliers d'émigrés, en Espagne ou en Allemagne, servent
dans les armées ennemies. Ceux d'Es-pagne passent facilement la frontière
et préparent un soulèvement en France. Le Directoire maintient
une violente politique anticléricale et antichrétienne avec
l'apparition d'une sorte de nouvelle religion : le culte décadaire.
La France est alors à 80% composée de paysans analphabètes
très fortement attachés à leur foi catholique et à
leurs curés. En Lauragais, ils sont demeurés sous l'influence
des grands propriétaires, souvent leurs anciens seigneurs. Les paysans
formeront l'essentiel de « l'armée » royaliste insurgée
en août 99. La majorité des Français est alors hostile
à la République.
La préparation
du soulèvement
L'Angleterre,
en 1797-99, avec de gros moyens financiers, prépare un vaste soulèvement
de tout le Midi de la France, de la Vendée, de la Bretagne, en liaison
avec l'arrivée des armées russes et autrichiennes sur les frontières
du pays. Au printemps 1799, l'Italie est perdue (sauf Gênes), les Autrichiens
avancent en direction du Rhin, une armée anglo-russe doit débarquer
en Hollande pour la fin août 99. Une association secrète, l'Institut
philanthropique, bien implantée de Bordeaux à Toulouse, recrute
clandestinement des combattants dans les Hautes-Pyrénées, en
Gironde, dans les Landes, surtout dans le Gers et la région toulousaine.
Ces volontaires sont organisés en bataillons et compagnies, avec des
officiers qui sont généralement des nobles émigrés
en Espagne et rentrés clandestinement. Des chefs sont nommés
dont le principal est le général Rougé. Originaire de
Saint Domingue, ce dernier a fait la guerre d'indépendance des Etats-Unis
(1776). A son retour, il devient général républicain,
sert dans l'armée des Pyrénées Orientales puis change
de camp pour des raisons demeurées obscures et devient le chef militaire
des insurgés. Il est mort à Saint Orens en 1832. L'autre chef
est le comte de Paulo, seigneur de Calmont et Terraqueuse (où les restes
de son château sont toujours là, sur les bords de l'Hers vif).
Paulo émigre en Espagne puis rentre clandestinement. Il s'entendra
très mal avec Rougé. Cette armée royaliste clandestine
était pratiquement désarmée, notamment en artillerie.
Les royalistes sont nombreux : 40 000 disaient-ils, mais sans un seul canon.
Le soulèvement
: 5-6 août 1799 ou An VII
Les autorités républicaines, à Toulouse sont très
au courant des préparatifs grâce à de nombreux agents
infiltrés chez les royalistes tels l'abbé de Montgaillard qui
fournira des renseignements très précis aux républicains,
notamment la date de l'attaque de Toulouse. Une loi des otages permet l'arrestation
des parents d'émigrés (juillet 99) : les rapports affluent à
Toulouse, restée une citadelle jacobine entourée de bourgades
royalistes (Go-dechot écrit d'ailleurs : "une ville rouge entourée
de campagnes blanches"). Le commissaire du canton de Castanet contacte
l'administration départementale : "nous ne pouvons nous dissimuler
qu'il se forme dans nos parages une petite Vendée".
Avant le mois d'août 99, le Lauragais est agité par des bandes
royalistes qui tiennent la campagne. Ainsi, à Cintegabelle, Gotty-Roquebrune,
seigneur du Bouissou (où se trouve le célèbre pigeonnier)
se fait remarquer par de nombreux attentats contre des républicains.
Il sera tué à Bruguières en 1796. À Escalquens,
à la Cousquille, un détachement de gendarmes tombe dans une
embuscade (automne 98) et leur commandant est tué. A Nailloux, au lieu
dit en Cuns, un habitant de Cintegabelle, Soumet, acquéreur de biens
nationaux est massacré. Les archives municipales de Nailloux ont conservé
le procès verbal de l'enquête du maire. Un membre de la famille
noble d'en Cuns sera chef d'état major des royalistes.
La cause immédiate du soulèvement est surtout le vote de la
loi Jourdan-Delbrel sur la conscription, ou service militaire obligatoire
et universel, pour tous les français. Les jeunes paysans refuseront
de partir : on compte 70% de réfractaires dans le Lot, 28% dans l'Ariège,
22% en Haute-Garonne.
L'état major royaliste décide de passer à l'action au
début du mois d'août (c'est à dire bien trop tôt
pour être efficace) et de se tenir en liaison avec l'avance des armées
étrangères. Le manque de synchronisation est une des causes
de l'échec du soulèvement. À Toulouse, très au
courant, le nouveau commissaire central du Directoire (sorte de Préfet),
Lamagdeleine, fait arrêter des suspects et doubler ou tripler les postes
de gardes nationales aux différentes portes de la cité. Toulouse
la rouge est cependant désarmée car elle n'abrite dans ses murs
qu'une trentaine de cavaliers. Par contre, les gardes nationales sont nombreuses,
farouchement républicaines, mais formées de bien piètres
soldats.
L'échec
royaliste devant Toulouse
Dans la nuit chaude du 5 au 6 août 99, 6 000 paysans royalistes, avec
Rougé, cheminent le long du canal du Midi, arrivent au pont des demoiselles
et se dirigent silencieusement vers la porte Montolieu. On attend le signal
de plusieurs fusées pour attaquer.
Pourquoi cette attaque surprise ? Le but était de s'emparer des canons,
des milliers de fusils et des munitions abondantes. Les royalistes toulousains,
de l'intérieur, devaient s'emparer des portes Montoulieu et de l'Inquisition
et les ouvrir aux insurgés extérieurs. Mais les toulousains
n'osèrent pas attaquer les très forts piquets de gardes nationales
protégeant les portes. A onze heures, aucune fusée ne vint éclairer
le ciel. À trois heures, un enfant de douze ans arrive à se
glisser hors des remparts, vient trouver Rougé et lui explique la non
intervention des royalistes de l'intérieur. La prise de Toulouse par
surprise a échoué. Rougé ordonne à ses troupes
de prendre position sur les coteaux de Pech David, c'est à dire une
très forte position qui domine la ville, vers le sud est. Les autorités
républicaines connaissaient la date et le lieu de l'attaque royaliste.
Il semble bien que les insurgés aient été trahis par
l'abbé de Montgaillard, originaire de Villefranche de Lauragais. Rougé
attendait des renforts venus du Gers et de l'Ariège pour reprendre
l'attaque de la ville. À Toulouse, les gardes nationales sont mobilisées,
des appels au secours sont lancés vers Cahors, Albi, Carcassonne. Un
embryon de force armée est mis sur pied et commandé par le général
Aubugeois. Le 7 août, les royaux (ou royalistes) descendent de Pech
David et attaquent la porte de Salin qui faisait face à la route de
Narbonne. Ils sont repoussés difficilement, mais le soir, Toulouse
est renforcée par des soldats venus de Cahors, de Montauban et d'Albi,
avec de l'artillerie.
Le 8 août, Aubugeois prend l'offensive et, à la tête de ses soldats, monte à l'assaut de Pech David. Ses troupes, peu homogènes, mal aguerries, sont prises à revers par les royalistes qui s'insinuent le long de la Garonne. La garnison de Toulouse reflue en désordre vers la porte Saint Michel.
Le 9 août, Aubugeois repart à l'attaque avec de l'artillerie et quelques cavaliers. Les insurgés sont repoussés vers la colline de Pech David puis refoulés vers la Garonne. Pour eux, il n'est plus qu'une issue : traverser le fleuve à la nage. Plusieurs centaines se noient. Toulouse est sauvée mais l'insurrection n'est pas anéantie.
Les succès
initiaux des royaux
Les royaux occupèrent dès le premier jour l'ensemble du département
du Gers sauf Auch, de vastes régions du Lot et Garonne (vers Auvillar),
l'Ariège sauf Foix, Pamiers et quelques bourgades protestantes. Dans
la Haute-Garonne, Lanta, Caraman, Nailloux, Montgis-card, Montesquieu sont
occupés, de même que Salles sur l'Hers. Restent des "citadelles"
républicaines : Baziège, Villefranche, Revel et Castelnaudary.
À Lanta, une colonne partie de Toulouse est écrasée.
À Nailloux, les royaux se concentrent et rejoignent les bandes de Paulo
au château de Terraqueuse (commune de Calmont). Le comte de Paulo qui
s'intitulait "général de la province de Foix" avait
bien organisé l'insurrection et sa troupe s'empare de Cintegabelle
le 20 thermidor, avec quelques cavaliers et une petite pièce de canon.
Ils occupent ensuite Calmont, fusillent des gardes nationaux venus de Mazères,
se dirigent vers Saverdun qu'ils occupent, puis marchent sur Pamiers. Au Vernet,
se déroule le combat décisif car les républicains de
Pamiers ont reçu des renforts du Mas d'Azil et barrent la route du
Vernet avec de l'artillerie. Paulo est battu et ses troupes se replient en
désordre vers Muret.
L'échec
final à Montréjeau
À Muret, Rougé et Paulo concentrent toutes les bandes en attendant
des renforts du Gers et de l'Ariège qui ne viendront jamais. Les deux
chefs comptaient reprendre leur attaque vers Toulouse. Pendant une semaine,
les républicains de Toulouse reçoivent des hommes et des munitions
de Carcassonne, d'Albi, surtout des unités de cavalerie de Perpignan
(de l'armée des Pyrénées Orientales, avec le général
Commes). Ils attaquent et réoccupent Saint Lys, l'Isle Jourdain, ouvrent
les communications avec Auch, puis menacent Muret par la convergence de plusieurs
colonnes.
Les royaux quittent alors Muret et marchent vers le Sud avec l'espoir d'atteindre
les Pyrénées et l'Espagne par le Val d'Aran. Ils remportent
un succès à Carbonne, occupent Saint Gaudens et Montréjeau.
C'est ici que se déroule la bataille décisive qui leur fut fatale.
Trois colonnes républicaines convergent vers Montréjeau, l'une
venant de Tarbes, l'autre par la grande route de Toulouse, la troisième
vient de l'Ariège. Le 20 août 99, les royaux sont écrasés
et perdent 2 000 tués et 1 000 prisonniers. Beaucoup se noient dans
la Garonne. L'armée royaliste est détruite. Rougé et
Paulo réussissent cependant à gagner l'Espagne.
La répression
La répression ne fut pas très violente. Des milliers d'arrestations
(6000) eurent lieu mais peu d'exécutions car le gouvernement du Directoire
craignait d'être débordé par les jacobins vainqueurs.
Les agriculteurs sont rapidement libérés. Les conseils de guerre
procédèrent très lentement, il y eut onze condamnations
à mort qui furent exécutées en octobre 1799. Bonaparte
devenu Premier Consul après le 18 Brumaire avait décidé
une politique d'apaisement et il fait remettre en liberté tous les
prisonniers.
L'insurrection
de l'An VII (1799) a fait, dans la région toulousaine, beaucoup plus
de victimes que la Terreur de l'An II (1793). Selon l'historien Godechot,
la Terreur a fait, dans les sept départements du Midi toulousain, 200
victimes. Par comparaison, en l'An VII, il y eut plus de 4000 morts, peut
être 6000, tués au combat, massacrés, noyés dans
la Garonne.
La révolte de la région toulousaine et du Lauragais a été
prématurée. D'autre part, la tactique adoptée par Rougé
_ une grande guerre entre armées _ avait échoué en Vendée
et en Italie (en Calabre). Une guérilla semblable à la chouannerie
bretonne aurait sans doute beaucoup plus gêné les républicains,
mais les collines découvertes du Lauragais et de la plaine de la Garonne
ne s'y prêtaient guère. Enfin, s'attaquer à Toulouse,
représentait une tentative suicidaire car c'était la ville la
plus jacobine du Midi et certainement la plus difficile à prendre.
Le soulèvement des Chouans du Midi est bien oublié depuis.
Couleur Lauragais
le fera revivre dans plusieurs articles à paraître. Nous marquerons
ainsi le bicentenaire (1799-1999) de la fin de la Révolution et de
la Contre-Révolution.
Jean
ODOL
Crédits photos : Jean Odol.
Couleur Lauragais N°17 - Novembre 1999