Au fil de l'eau
Un ruisseau doté d'un pouvoir magique : "Le Garde-Jol"Jadis les populations rurales vénéraient les éléments naturels, sources de richesse et d'abondance : l'eau vive, la terre nourricière et la forêt prodigue en fruits sauvages, en gibier, en bois d'uvre et de chauffage. En Lauragais, pays de sécheresse, l'eau était particulièrement respectée. Pour nos ancêtres, elle était source de vie et un don de Dieu.
Bienfaits
de ce ruisseau producteur de la force motrice
Le Gardijol arrose Gardouch. Il prend sa source dans la Piège, au-delà
de Mézerville, à 330 mètres d'altitude. C'était
un "torrent de plaine". Tout au long de son parcours évalué
à une dizaine de kilomètres, il distribuait son flot abondant
qui fertilisait la terre par ses
limons (les boulbènes). Il abreuvait le bétail et apportait
sa contribution liquide à toutes sortes d'opérations (lavage
du linge et des tonneaux, ravitaillement en eau des métairies, rouissage
du lin et du chanvre, plantes textiles) avant de se jeter dans l'Hers mort.
Il mettait en mouvement "six moulins hydrauliques ayant chacun deux paires
de meules mues par un rouet" (Dictionnaire topographique A.D.H.G.). Il
baignait les bas-fonds de Mézerville, de Marquein où l'on recevait
le "ruisseau du château".
Après avoir abordé le Ribigou, il faisait tourner le moulin
à eau de l'ancienne Commanderie de Caignac. Au bas de Lagarde, le ruisseau
d'En Garric venait augmenter son débit.
A la saison des pluies, alimenté par les fossés descendants
des "cambals" (versants des côteaux), il actionnait les meules
d'En Jacou.
Un peu plus bas, près du hameau des Amiel, le Gaffarel le rejoignait
pour produire la force hydraulique nécessaire au fonctionnement du
moulin de Seyre.
Au pont de la Pierre (la Peïro) où l'on ramassait ses galets pour
consolider les murs des maisons, le Gardijol, grossi du ruisseau du Salvatgé
et du Caransou, déclenchait le mécanisme du moulin de Gardouch
(lé moli de l'aygo : moulin hydraulique très ancien). La tuilerie
située tout près, utilisait l'eau de la "Gourge" (trou
d'eau ou déversoir du moulin).
La légende
du "Garde-jol"
Il y a bien longtemps, les riverains ou "vilains serfs", peu instruits
et superstitieux, croyaient que les eaux bienfaisantes de ce ruisseau possédaient
un pouvoir surnaturel : celui de détruire l'ivraie (le jol), plante
maudite par la Bible, envahissante et nuisible en ces époques où
l'on n'utilisait pas les désherbants.
Le "jol" était une graminée néfaste, créée
par le diable. On l'accusait de "manger le blé", la céréale
de base. De plus, celle-ci portait malheur (porta pérel) à celui
qui la touchait. Les paysans s'aperçurent que cette plante enivrante,
maléfique et tant décriée, avait disparu du bassin de
ce ruisseau. Dès lors, cette constatation collective valut à
ce cours d'eau l'appellation de "Garde-jol", nom déformé
en "Gardijol".
Les voûtes
du Gardijol
Vers 1668, époque du creusement du Canal Royal de jonction des Deux
Mers à Gardouch, près du cimetière Saint Valentin, il
fallut détourner le lit du Gardijol et construire un bâti en
brique foraine pour faire passer sur ce ruisseau la nouvelle voie d'eau.
Le principe ingénieux de la construction des Voûtes a été
copié sur les aqueducs des Romains. C'était une arche soutenant
le canal. En Lauragais toulousain, pays de l'argile, l'ouvrage concernant
l'enjambement d'un ruisseau était réalisé en maçonnerie,
à l'aide de briques fabriquées dans les tuileries locales.
Citons les Voûtes du Gardijol et les Voûtes de l'Hers (secteurs
de Villefranche). En Lauragais audois, au-delà du seuil de Naurouze,
ligne de partage des eaux, on utilisait la pierre grise de Carcassonne.
La vengeance
du Gardijol
Lorsque l'ingénieur Riquet creusa le canal au niveau de Gardouch, il
fallut faire passer ce ruisseau sous le Canal Royal.
Abaissé au rang de vassal soumis au canal, son suzerain, le Gardijol
dont on avait oublié les bienfaits au profit d'une voie d'eau moderne,
décida beaucoup plus tard de se venger des hommes si ingrats.
En août 1939, à la suite de violents orages, ses eaux grossirent
à tel point que le modeste ruisseau devint un fleuve déchaîné.
Ses eaux envahirent le bas de Gardouch et s'étalèrent jusqu'à
l'écluse. La route de communication Gardouch-Villefranche fut coupée.
Marius Armengaud, meunier au Moli de l'Aygo et son cheval de trait, enfermé
dans son écurie inondée, en ont gardé longtemps le souvenir.
De mémoire d'homme, on n'avait jamais été confronté
à une telle fureur.
Odette
Bedos
Couleur Lauragais N°17 - Novembre 1999